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La politique européenne de Cameron

Équivoque sur son approche de l’intégration européenne, David Cameron joue une partie à la mise élevée et qui pourrait avoir des conséquences à long terme pour le Royaume-Uni et l’Europe.

Intime de David Cameron et confident chargé de l’enseignement dans le Cabinet fantôme, Michael Gove déclarait un jour à propos du leader conservateur : “Ce n’est pas un fanatique de l’idéologie. C’est le genre de joueur qui, au poker, attend, lit le jeu de ses adversaires et mise quand il est sûr que les cartes sur la table sont en sa faveur” .

Policy NetworkRoger Liddle est le président du Policy Network et a été le conseiller spécial de Tony Blair sur l’Europe de 1997 à 2004. Simon Latham Simon Latham est son principal conseiller.


Quand il s’agit d’Europe, Cameron est souvent tenté d’adopter un jeu agressif. D’après Francis Elliot et James Hanning, les biographes du leader conservateur, c’est à Cameron que l’on doit le tristement célèbre discours « No one would die for Europe » prononcé par Norman Lamont devant le Conservative Political Centre avant la conférence du parti conservateur en 1992. Sur cette question, comme le notent Elliot et Hanning, l’eurosceptique Cameron s’est toujours montré fidèle au thatchérisme.

Il n’est pas étonnant, dès lors, que les conservateurs cameroniens se trouvent en porte-à-faux avec les réalités de l’intégration européenne. L’opinion commune veut aujourd’hui que l’UE doive se trouver une nouvelle vision, la vision fondatrice, reposant sur la fin des conflits et de la division de l’Europe, ayant été réalisée avec brio comme en témoignent les récentes cérémonies qui ont marqué le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. La mondialisation est désormais considérée par une majorité comme le cadre évident de cette vision renouvelée.

Pour dire les choses simplement, en tant qu’Européens, voulons-nous que l’avenir de notre monde soit déterminé par un nouveau G2 réunissant la Chine et les États-Unis ? Ou préférons-nous un G3 au sein duquel les États-nations de l’Europe auront la volonté nécessaire pour agir de concert ?

En première analyse, cette évolution est une bonne nouvelle pour le courant de pensée incarné par les eurosceptiques pragmatiques britanniques : ce courant, s’il a toujours reconnu les contraintes politiques liées à l’engagement du Royaume-Uni dans l’intégration européenne, avertit qu’il serait pure folie de finir par se retrouver dans la position que Lyndon Johnson qualifia jadis de “the outside pissing in” , à savoir la position d’un acteur forcé d’agir de l’extérieur plutôt que déjà dans la place.

À y regarder de plus près cependant, le raisonnement sous-jacent à la vision de l’« Europe au sein du monde global » n’est pas aussi rassurant qu’il n’y paraît pour ces eurosceptiques. Une action concertée sur les enjeux mondiaux - échanges et économie internationaux, énergie et changement climatique, développement international, immigration et sécurité - toucherait des points sensibles en matière de souveraineté nationale, et cela bien davantage que les réglementations européennes d’un autre âge qui avaient conduit Douglas Hurd à vitupérer contre une Europe qui s’inviterait dans “les moindres recoins” de notre vie quotidienne.

Aujourd’hui, si travaillistes et conservateurs affirment l’un et l’autre vouloir faire un succès de l’adhésion britannique à l’UE, encore faut-il prendre en considération la perception que l’état-major de ces partis a du genre d’Union envers laquelle le Royaume-Uni s’est engagé. Le consensus est sans aucun doute fragile.

En effet, dans son discours le plus sincère sur l’Europe à ce jour - discours destiné à clarifier la position des Tories sur un traité de Lisbonne depuis ratifié, mais qui a plutôt contribué à rendre moins lisible l’engagement préalable de “ne pas laisser les choses en rester là” en cas de ratification -, David Cameron plaidait en faveur d’une stratégie du ” Plus jamais ça” . Il entendait par là qu’en cas de retour au pouvoir des conservateurs, il serait fait appel au Parlement pour mettre en place un “blocage référendaire” , une “charte de la souveraineté ” et qu’il serait mis fin à “l’utilisation de clauses de ratchet” pour que cesse “l’intrusion incessante et irresponsable de l’Union européenne dans la plupart des aspects de notre quotidien” . En conclusion, Cameron ajoutait qu’en ce qui concerne” la relation du Royaume-Uni avec l’Europe, les citoyens attendaient de leurs responsables politiques franchise et propos sans détours” . Mais le franc-parler à la Cameron se traduira au mieux par des frictions douloureuses avec nos partenaires européens s’il est du même tonneau que celui de sa dernière conférence, quand il évoquait les membres de la gauche progressiste britannique qui tombent “amoureux d’une institution que personne n’élit, que personne ne peut dissoudre et qui n’a pas de quitus pour ses dépenses depuis plus d’une décennie” .

D’après nous, pour Cameron le joueur de poker, trois scénarios sont possibles pour l’avenir de la politique britannique à l’égard de l’Europe sous un gouvernement conservateur. Le premier peut facilement être écarté comme une main isolée (no-pair) dans la partie en jeu puisqu’il prône un “engagement pro-européen plus marqué” qui consacrerait l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE en tant que meilleur moyen d’affirmer les valeurs et les intérêts britanniques dans une ère de mondialisation. Ce scénario pourrait, à terme, donner une place prépondérante à la défense européenne et à la politique étrangère, voire au réexamen de l’intérêt du Royaume-Uni à rejoindre la zone euro.

Le deuxième scénario politique est celui d’un européanisme à géométrie variable et conditionnel. C’est le programme qui caractérise le mieux la politique du gouvernement sous le New Labour depuis 1997. Au poker, il s’agirait d’un flush - pour un gouvernement Cameron prudent autant que pour le lobby politique britannique pro-européen - car cette politique prolongerait la politique actuelle du gouvernement à l’égard de l’UE. Dans ce scénario, le Royaume-Uni soutiendrait l’Europe avec prudence, tout en se montrant parfois difficile, voire récalcitrant dans son engagement sur certaines questions, car bien que le Royaume-Uni compte de plus en plus sur l’UE pour atteindre ses objectifs politiques à l’échelle mondiale tels que le commerce, l’économie internationale et les changements climatiques, de fortes tensions politiques demeurent dans des domaines tels que la réglementation financière, le budget de l’UE et le futur développement des institutions européennes.

Enfin, le dernier scénario - le plus effrayant du point de vue pro-européen - est celui d’une ère “de réticence, de blocage et, éventuellement, de crise” . C’est la quinte flush que nombre d’eurosceptiques thatchériens appellent de leurs vœux. Un programme politique qui pourrait conduire à une période d’affaiblissement de l’efficacité de l’Union européenne comparable à celle qu’avait entraîné, au début des années 1980, le “I want my money back” de Margaret Thatcher, qui avait été suivie d’une querelle sur le budget communautaire avec nos partenaires de la CE d’alors. Il pourrait aussi déboucher sur une crise politique existentielle dans les relations du Royaume-Uni avec l’UE.

La question inquiétante en ce qui concerne un éventuel gouvernement conservateur est de savoir quelles cartes David Cameron aura en main, comment il sentira le jeu et avec quelle agressivité il souhaitera mener la partie. C’est le test qui nous dévoilera le genre de Premier ministre que pourrait être Cameron : conservateur pragmatique à l’ancienne, comme l’espèrent encore les rares pro-européens dans son camp, ou homme à la trempe idéologique bien plus marquée ?

Roger Liddle et Simon Latham

Le présent article a été publié dans le Public Servant Magazine.



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