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La loi El Khomri, dernière-née des réformes du travail en Europe

Présenté officiellement en Conseil des ministres le 24 mars dernier, le projet de loi El Khomri portant sur la réforme du travail apparaît comme un nouveau parcours du combattant pour le gouvernement français. Amplement commenté et critiqué par les syndicats, la société civile et une partie du spectre politique, il devrait faire l’objet de nouvelles manifestations le 31 mars, après celles du 9 mars.

Si elle va à son terme, la loi El Khomri s’inscrirait dans la lignée d’autres réformes du travail en Europe, sources d’inspiration assumées par le Premier ministre Manuel Valls. Avant la France, des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Espagne ont en effet fait le choix de s’attaquer au chômage par des mesures d’inspiration libérale, avec des fortunes diverses. Tour d’horizon européen.

Myriam El Khomri

Une réforme édulcorée qui peine à convaincre

La loi El Khomri, le “CPE” de François Hollande et Manuel Valls ?

Sous le feu des projecteurs depuis la mi-février, le projet de loi El Khomri sur la réforme du travail est l’un des sujets les plus brûlants pour le gouvernement français. Préparée par les rapports Combrexelle de septembre 2015 et Badinter de janvier 2016, la loi a en effet immédiatement suscité l’ire des syndicats, de la société civile et d’une partie de la majorité socialiste.

De la mise en place d’un barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif aux mesures augmentant le pouvoir des employeurs, la contestation a été massive, symbolisée par une journée de grève le 9 mars. Ainsi que par la prise de position de Martine Aubry, figure importante du PS et ancienne ministre du Travail, également vent debout contre le projet de loi. Un signe ultime du tournant social-libéral entrepris par François Hollande et Manuel Valls, d’ailleurs prompts à envisager l’emploi de l’article 49-3 à l’Assemblée nationale en cas d’un nouveau blocage par les frondeurs socialistes.

Malgré tout, dans l’optique d’éviter que ne s’enracine une gronde populaire, potentiellement proche de celle qu’avait connu Jacques Chirac et Dominique de Villepin lors du CPE en 2006, et de limiter la fragmentation déjà avancée des socialistes, aux conséquences potentiellement désastreuses à environ un an de l’élection présidentielle, c’est un texte remanié et désormais approuvé par les syndicats dits progressistes comme la CFDT, qui a été présenté en Conseil des ministres le 24 mars. Libérée des dispositions les plus critiquées, la loi El Khomri prévoit toutefois encore de s’attaquer au temps de travail et à sa flexibilisation.

Manifestation contre la loi Travail

Des gages à la gauche jugés encore insuffisants

Une limite du temps de travail de 12 heures par jour a été proposée (au lieu de 10 heures actuellement) en cas d’activité accrue de l’entreprise, et une moyenne hebdomadaire de 46 heures de travail sur douze semaines (au lieu de 44 heures aujourd’hui) est désormais possible par simple accord d’entreprise et plus par accord de branche. En ce qui concerne les heures supplémentaires, elles pourraient désormais être majorées à un taux de 10% au lieu des 25% généralement pratiqués.

Quant aux motifs de licenciement, ces derniers seraient tout de même assouplis. Ainsi, si l’entreprise fait face à une baisse de commande pendant quatre trimestres consécutifs, à des pertes d’exploitation pendant plus de deux trimestres ou à une importante dégradation de sa trésorerie, elle pourra justifier un licenciement.

Enfin, naturellement, le gouvernement a maintenu dans son projet de loi les mesures visant à rassurer les syndicats sur la nature plus protectrice de la réforme. Ainsi doit être créée une “garantie jeunes” destinée aux jeunes sans emploi ni études, qui prendra la forme d’un accompagnement renforcé vers l’emploi et d’une allocation mensuelle de 461 euros pendant un an. Les délégués syndicaux verront également leurs heures dédiées au dialogue social augmentées de 20%.

Des efforts de conciliation toutefois encore insuffisants aux yeux de syndicats comme la CGT ou Force ouvrière, ou encore pour certaines organisations étudiantes, qui continuent de réclamer l’abandon total de la loi El Khomri, et qui ont appelé à une nouvelle journée de manifestation le 31 mars. Tandis que de l’autre côté du spectre politique, la droite, d’abord plutôt favorable au projet de loi du gouvernement, s’insurge désormais contre ce qui est jugé comme une nouvelle “reculade” de la part de François Hollande. Dans ce contexte, la route vers l’adoption du texte - son examen au Parlement doit démarrer début mai - devrait être encore être semée d’embûches.

Du côté de la Commission européenne, on se félicite des reformes en préparation. Le vice président de l’UE en charge de l’euro Valdis Dombrovskis, interrogé lors de son passage à Paris le 31 mars a indiqué que la loi El Khomri “est une initiative qui est destinée à répondre aux rigidités du marché du travail, et qui devrait relancer l’emploi” , avant d’ajouter à propos des débats houleux qui l’entourent “nous surveillons avec attention le débat politique, et nous comprenons qu’il faille trouver le bon équilibre pour ce texte” .

Ailleurs en Europe : bataille contre les chiffres du chômage et efficacité minimale

35 heures vs. zéro heure

Ailleurs en Europe, de telles réformes ont déjà été entreprises par le passé, souvent initiées par des partis de centre-gauche, et proposant des mesures parfois encore plus radicales que la France. En effet, si la loi El Khomri a pour ambition de flexibiliser les 35 heures, un pays comme le Royaume-Uni, sous la houlette du travailliste Tony Blair à la fin des années 1990 a quant à lui instauré le contrat “zéro heure” . Ce dernier ne fixe aucune durée de travail obligatoire et l’employeur ne fait appel à son personnel, devant se tenir disponible à tout moment, que lorsqu’il le souhaite.

Si l’Allemagne n’a pas de contrat à zéro heure, elle a des contrats à un euro. Payés un euro de l’heure, ils servent à la réinsertion dans le marché du travail des chômeurs de longue durée, qui touchent également une allocation chômage. Ils sont généralement proposés par le milieu associatif ou par les communes.

Ce type de contrat naturellement est cumulable : à l’employé de gérer ses différents emplois, en sachant qu’il peut refuser des missions proposées - à ses risques et périls. Relativement peu utilisé au Royaume-Uni (2,3% des Britanniques sont concernés), le contrat zéro heure est particulièrement apprécié des employeurs qui font face à une demande fluctuante et/ou saisonnière, dans le tourisme et l’hôtellerie par exemple. Les détracteurs de cette mesure affirment en revanche que ce genre de contrat engendre une instabilité financière pour l’employé et rend l’employeur moins responsable.

Les minis jobs allemands et le job act italien

Gerhard Schröder

En Allemagne, à l’instar du Royaume-Uni, c’est le centre-gauche, sous l’égide de Gerhard Schröder, chancelier de 1998 à 2005, qui a entrepris les réformes du travail les plus drastiques ces dernières années. De 2003 à 2005, les lois Hartz, du nom d’un ancien dirigeant de Volkswagen qui a inspiré les mesures, ont métamorphosé le marché du travail allemand. Ce sont elles qui ont créé les contrats “mini-jobs” , que Mme El Khomri refuse d’ailleurs de voir comparés à son projet de loi. Ces contrats à salaires modérés (de 450 à 850 euros par mois) couvrent une période de travail de 15 heures hebdomadaires environ. Leur instauration a permis la chute des chiffres du chômage mais on impute aussi aux lois Hartz une hausse des inégalités de revenus : le taux de pauvreté en Allemagne est en effet passé de 12,5% à 15,2% de la population entre 2000 et 2012.

En Espagne, la diminution persistante de revenus par l’entreprise pendant 3 trimestres consécutifs est suffisante pour justifier un licenciement. La loi El Khomri propose que le licenciement soit justifié au bout de 4 trimestres consécutifs de baisse des commandes ou 2 trimestres consécutifs de pertes d’exploitation.

De la même manière que pour le temps de travail, si en France la loi El Khomri ne touche pas au CDI (contrat à durée indéterminée), nos voisins ne l’ont pas épargné. En Espagne comme en Italie (avec le “job act” de Matteo Renzi), le CDI comporte une période d’essai rallongée : un an en Espagne, jusqu’à trois ans en Italie, avec une protection croissante. L’employeur italien peut facilement, durant cette période, rompre le contrat sans justification. Seul recours possible pour l’employé : apporter la preuve matérielle qu’il a été licencié pour discrimination.

Des résultats en demi teinte

D’une manière générale, les réformes du marché du travail en Europe ont généralement chamboulé les habitudes des citoyens. En Allemagne par exemple, on a observé un changement de mentalité en passant d’un modèle passif où les demandeurs d’emploi “se contentent de recevoir les aides sociales” , à une logique incitative vers un retour à l’emploi rapide. Mais en Allemagne comme en Espagne, on observe surtout une hausse de l’emploi précaire qui, s’il permet aux chiffres du chômage de diminuer, n’améliore pas le quotidien des employés. On observe même qu’en Espagne, la baisse du nombre de chômeurs est surtout due à la baisse générale du nombre d’actifs.

Même constat concernant le job act italien, entré en vigueur il y a tout juste un an. Le nombre de personnes ayant un emploi a bien progressé de 1,3%, mais le taux d’activité dans le pays est également l’un des plus faibles d’Europe avec seuls 59,9% d’Italiens employés ou en recherche d’emploi - contre 69,9% en France. De plus, il n’est pas exclu que la plupart des CDI créés l’aient été grâce au “cadeau” de l’Etat aux entreprises sous la forme de subventions lors de la création de tels contrats, qui peuvent s’élever parfois jusqu’à 8 060 euros par an pendant trois ans.

Les détracteurs du projet de loi El Khomri ne manqueront évidemment pas de rappeler ces résultats en demi-teinte à l’exécutif. Le président devrait néanmoins aller au bout de la réforme, quitte à heurter son électorat traditionnel, dans l’espoir d’inverser la courbe du chômage d’ici 2017, promesse sur laquelle il a joué son avenir politique.


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