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  • Synthèse

La coopération judiciaire en matière pénale

En construisant un espace de libre circulation sans frontières intérieures, le marché unique a également engendré la libre circulation de la criminalité. Afin que les criminels n’échappent pas à la justice et que les victimes de crimes voient leurs droits reconnus dans l’ensemble de cet espace, la coopération des Etats membres dans le domaine pénal est indispensable. En supprimant le troisième pilier le traité de Lisbonne a donné à nouvel élan à la création d’un droit pénal européen. Le programme de Stockholm et la stratégie de la Commission européenne renforcent cet élan.

La coopération judiciaire en matière pénale

Evolution

En créant le pilier “Justice et affaires intérieures” , le traité de Maastricht à également instauré une coopération judiciaire des Etats membres en matière pénale. Mais jusqu’au traité de Lisbonne les tentatives de l’UE de créer un espace pénal européen restent vaines et ce pour plusieurs raisons : dans ce domaine les décisions se prenaient au Conseil à l’unanimité, ce qui a engendré un niveau d’ambition très bas des mesures adoptées par rapport aux propositions de la Commission ; cette dernière ne disposait pas d’un pouvoir d’exécution des lois ; enfin les parlements et tribunaux nationaux n’étaient pas impliqués ni dans la définition ni dans la mise en oeuvre d’une politique commune.

En supprimant l’organisation en piliers, le traité de Lisbonne met fin à ces déséquilibres et crée un espace judiciaire européen qui se doit, selon la Commission européenne, d’être basé sur une confiance mutuelle entre les responsables de l’application des lois et les autorités judiciaires.

Il remplace en effet les décisions-cadres et conventions de l’UE par de véritables actes législatifs, des règlements, des directives et des décisions. Le traité de Lisbonne soumet de plus l’ensemble des questions (excepté le droit de la famille) de liberté, de sécurité et de justice, à la procédure législative ordinaire, offre un rôle aux parlement nationaux, limite le droit d’initiative des Etats membres et renforce les compétences de la Cour de justice de l’Union européenne (voir L’espace de liberté, de sécurité et de justice). Enfin, le programme de Stockholm pour la période 2010-2014 prévoit de nombreuses actions en faveur d’un espace pénal européen, avec notamment le renforcement du rôle d’Eurojust. En avril 2014, le Parlement européen a présenté un rapport sur l’examen à mi-parcours de ce programme.

Compétence de l’Union européenne en matière pénale

L’Union européenne n’a pas vocation à élaborer un code pénal européen, les Etats membres restant souverains en la matière. Cependant, elle peut définir des lignes directrices et apporter une plus-value aux systèmes nationaux. Elle a surtout vocation à les aider à se coordonner.

La coopération judiciaire en matière pénale est régie par les articles 82 à 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le traité de Lisbonne accroît considérablement les compétences de l’Union dans ce domaine. Ainsi, l’article 83 paragraphe 1 du TFUE prévoit que l’UE peut adopter des directives établissant des règles minimales concernant la définition des infractions pénales, à condition que cela concerne des domaines de criminalité particulièrement graves revêtant une dimension transfrontalière, tels que le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

La contrefaçon de la monnaie est à titre d’exemple l’un des domaines concernés. Ainsi, la Commission a proposé le 5 février 2013 une nouvelle directive relative à la protection de l’euro et d’autres monnaies contre le faux monnayage au moyen du droit pénal.

Le paragraphe 2 de ce même article 83 prévoit également que l’UE peut être compétente pour définir les infractions pénales et les sanctions en dehors de toute menace grave à caractère transfrontalier lorsqu’il s’agit de garantir le respect d’une politique harmonisée au niveau européen. Des politiques telles que la protection des données personnelles, la préservation des ressources ou la sécurité routière sont en effet dépendantes d’une mise en oeuvre efficace de la part des Etats membres. Si ceux-ci refusent de les mettre en oeuvre, le droit pénal peut jouer un rôle majeur, en dernier ressort bien entendu, lorsque les autres moyens d’actions de l’Union ont échoué.

En 2011, la Commission européenne a ainsi publié une communication intitulée “Vers une politique de l’UE en matière pénale : assurer une mise en œuvre efficace des politiques de l’UE au moyen du droit pénal” dans laquelle elle rappelle le cadre juridique offert par le traité de Lisbonne, les domaines pour lesquels le droit pénal peut avoir une utilité, et sa volonté “d’avancer dans l’élaboration d’une politique pénale de l’Union cohérente, fondée à la fois sur la volonté d’appliquer efficacement le droit et de protéger pleinement les droits fondamentaux” .

La reconnaissance mutuelle dans le domaine pénal

Le principe a été affirmé par le Conseil de Tampere en 1999, dix ans plus tard le traité de Lisbonne le consacre : la coopération judiciaire repose avant tout autre chose sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice par les Etats membres. Ce principe, désormais inscrit à l’article 82 TFUE, implique que toute décision pénale prise par les autorités d’un Etat membre soit exécutée par les autorités d’un autre Etat membres comme si elle avait été rendue par ce dernier. Son application est large et inclut toutes formes de jugements et de décisions judiciaires.

La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires repose sur une confiance réciproque entre les Etats membres : ceux-ci doivent mutuellement reconnaître la qualité et l’efficacité de leurs systèmes judiciaires respectifs. Pour encourager cette confiance, l’article 82 du traité prévoit le rapprochement des règlementations des Etats en matière de formation des magistrats et personnels de justice. Cette confiance passe également par le rapprochement, à défaut d’harmonisation possible, des droits pénaux et procédures pénales des Etats membres. Ce rapprochement passe par l’adoption au niveau européen de règles minimales en matière d’infractions et de sanction pénales lorsque l’infraction est particulièrement grave et revêt une dimension transfrontalière, ou lorsqu’elle concerne un domaine politique particulièrement harmonisé au niveau européen (cf. infra).

Il passe également par l’établissement de règles minimales en matière de procédures pénales applicables aux matières pénales ayant une dimension transfrontalière, notamment en ce qui concerne :

  • l’admissibilité mutuelle des preuves ;
  • les droits des personnes dans la procédure pénale ;
  • les droits des victimes ;
  • tout autre élément que le Conseil pourra identifier à l’unanimité après approbation du Parlement européen.

L’article 84 TFUE prévoit également que l’Union européenne peut appuyer l’action des Etats membres dans le domaine de la prévention du crime. Les mesures prises dans ce domaine sont soumises à la procédure législative ordinaire. Cependant, ces mesures ne doivent en aucun cas impliquer une harmonisation des règles nationales existantes.

Les prérogatives d’Eurojust renforcées

Créée par une décision du Conseil européen en 2002, Eurojust est une entité de concertation des parquets nationaux de l’Union et composée de 27 représentants nationaux : juges, procureurs et officiers de police détachés par chaque pays membre. Elle peut accomplir ses tâches par l’intermédiaire d’un ou plusieurs membres nationaux ou bien en tant que collège. De plus, chaque Etat membre peut désigner un ou plusieurs correspondants nationaux, qui peuvent aussi constituer un point de contact du réseau judiciaire européen. Basée à La Haye, elle est présidée depuis le 1er mai 2012 par la Belge Michèle Coninsx, réélue en 2015.

Source : Glossaire Europa

L’article 85 est consacré aux compétences d’Eurojust. Il prévoit que sa mission est “d’appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs Etats membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes” .

Créée par le Conseil de Tampere en 1999 et instituée officiellement par le traité de Nice en 2000, l’organisation Eurojust est devenue organe de l’Union par une décision de 2002. Elle a son siège, comme Europol, à La Haye et est compétente pour le même type de criminalité que ce dernier, auquel s’ajoutent la criminalité informatique, la fraude, la corruption, les infractions pénales au détriment des intérêts financiers de l’Union, le blanchiment des produits du crime et la participation à une organisation criminelle.

L’article du traité de Lisbonne qui en précise les compétences (article 85 TFUE) se veut volontairement plus large que l’article 31 TCE qu’il remplace. Il laisse ainsi plus de marge de manoeuvre aux institutions pour prendre des mesures législatives visant à étendre les missions d’Eurojust. Ainsi, Eurojust, qui peut déjà demander aux Etats d’entamer une enquête, ceux-ci pouvant refuser mais devant motiver leur refus, pourra désormais déclencher elle-même cette enquête. Pour autant, elle ne pourra toujours pas déclencher elle-même les poursuites. Dans ce domaine, elle ne conserve qu’un pouvoir de proposition.

Le projet de parquet européen

L’idée d’un parquet européen n’est pas nouvelle. Dès 1988, l’unité de coordination de lutte anti-fraude (UCLAF) est créée, comme partie intégrante du secrétariat général de la Commission européenne. En 1995, la Convention sur la protection des intérêts financiers (PIF) des communautés européennes est signée, visant à assurer la protection pénale des intérêts financiers de l’Union européenne et de ses contribuables. En 1996, la création d’un parquet européen est évoquée plus précisément, à la fois par le président du Parlement européen de l’époque, M. Klaus Hänsch, et par 7 juges via l’appel de Genève qui dénonce les carences de l’entraide judiciaire internationale.

L’ouvrage Corpus Juris, commandé en 1997 par la Commission européenne et dirigé par la juriste française Mireille Delmas-Marty, marque un vrai tournant pour la création du Parquet européen. Il propose pour la première fois la création d’un ministère public européen spécialisé composé d’un procureur général européen et de procureurs européens délégués dans les Etats Membres.

En 1999, dans le cadre de la convention PIF et en réponse à la démission de la Commission Santer suite à des allégations de mauvaise gestion, l’Office européen de la lutte anti-fraude est créé en remplacement de l’UCLAF, approfondissant la politique anti-fraude de l’Union européenne.

Un Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen est publié deux ans plus tard, affirmant la volonté de l’Union européenne de créer un parquet européen.

La création du parquet est officiellement inscrite pour mémoire dans le traité de Nice (2001), puis dans celui de Lisbonne (2007) avec l’article 86 TFUE. Cet article ne donne cependant que la possibilité à l’Union européenne de créer le parquet.

En 2011, la Commission a publié une communication relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives, dans laquelle elle soutient l’idée de la création d’un “ministère public européen spécialisé, comme le Parquet européen” .

Depuis 2013 et la proposition du Conseil pour la création d’un parquet européen, les discussions ont été bloquées par l’opposition ferme de certains pays, comme les Pays Bas, la Suède, la Pologne ou la Hongrie.

Face à ces réticences, les ministres français et allemand de la Justice ont proposé en décembre 2016 une coopération renforcée. Conformément à l’article 86 du TFUE, en l’absence d’unanimité sur le règlement portant création du Parquet européen, un groupe composé d’au moins neuf États membres a ainsi demandé l’instauration de la coopération renforcée. Celle-ci a été actée lors du Conseil de l’Union européenne le 3 avril 2017, après un ultime échec entre les Vingt-Huit en mars.

Le 3 avril 2017, 16 Etats membres ont notifié officiellement leur intention de lancer une coopération renforcée en adressant au Conseil une lettre, qui permet d’ouvrir les discussions au sein du Conseil sur la base du texte de compromis du règlement portant création du Parquet européen datant de janvier 2017.

Le 8 juin 2017, lors du Conseil “Justice” , 20 Etats membres sont parvenus à un accord politique sur la création du nouveau parquet européen. Le Parlement européen doit à présent donner son approbation. Les Etats membres actuellement engagés sont : l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, l’Espagne et la Slovénie. D’autres Etats membres pourront cependant adhérer au parquet européen dès qu’ils le souhaiteront, après l’adoption du règlement. Le 12 octobre 2017, le règlement portant création du Parquet européen a été adopté par les États membres qui participent à la coopération renforcée concernant le Parquet européen.


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