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“La compression des coûts salariaux a contribué au succès de l’Allemagne en matière économique”

Tandis que les élections allemandes approchent, les débats sur une intégration plus poussée de la zone euro s’intensifient. La position de l’Allemagne concernant les récentes propositions d’Emmanuel Macron et celles de Jean-Claude Juncker reste incertaine tant que la formation du potentiel gouvernement Merkel IV ne sera pas finalisée. Pour faire le point sur la situation économique allemande et sa place au sein de la zone euro, Toute l’Europe a interrogé Laurence Nayman, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).

Vue d'un port industriel dans le Schleswig-Holstein situé au Nord de l'Allemagne. C'est l'un des Länder les plus pauvres du pays, en termes de PIB par habitant.
Vue d’un port industriel dans le Schleswig-Holstein situé au Nord de l’Allemagne. C’est l’un des Länder les plus pauvres du pays, en termes de PIB par habitant. 

Comment expliquer que l’Allemagne soit l’un des meilleurs élèves de l’Union européenne sur le plan économique ?

Tout d’abord, le pays a un système très cohérent. Il a gardé une base industrielle importante avec un secteur manufacturier qui représente environ 21 à 22% du PIB, alors que c’est à peu près 10% en France. De fait, les formations y sont adaptées : les élèves passent leur bac et se dirigent pour 52% d’entre eux vers un système d’apprentissage. Toutefois, de plus en plus vont vers l’université car les entreprises se plaignent de ne pas avoir assez de personnes avec une formation plus générale, un peu comme en France.

Laurence NaymanLaurence Nayman est économiste, spécialiste de l’Europe et des questions liées à la compétitivité et la croissance, au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).

Ensuite, le fait qu’il y ait une population très vieillissante y contribue largement. En effet, l’Allemagne est un pays avec une assise industrielle importante, et par conséquent, les jeunes formés en partie par les entreprises trouvent plus facilement à se faire embaucher. Les travailleurs qualifiés dont la formation initiale est plus généraliste et abstraite du type physicien, mais aussi les médecins (mal payés en Allemagne) trouvent souvent un emploi en dehors de l’Allemagne (en Suisse par exemple). Donc la démographie a un effet important sur la résorption du chômage.

Ce qui concourt également au succès de l’Allemagne est la qualité perçue de ses biens d’équipements. C’est un pays très exportateur, qui a misé sur une compétitivité hors coût conjuguée à une compétitivité prix : les salaires n’ont pas augmenté pendant assez longtemps, sauf dernièrement puisqu’il y a eu des négociations salariales très dures du fait du renouvellement des conventions collectives. Cette compression des coûts salariaux a beaucoup contribué à la grandeur et au succès de l’Allemagne en matière économique.

Pourquoi le gouvernement allemand ne profite-t-il pas de cette situation économique avantageuse pour investir et redistribuer ses excédents ?

L’Allemagne semble actuellement aller vers une politique qui favorise l’investissement au niveau des Länder. Jusqu’à présent, il y avait un système de redistribution budgétaire qui impliquait que les Länder les plus riches, grossièrement, finançaient les Länder les plus pauvres. En effet, on compare les recettes par habitant que chaque Land a encaissé grâce à la TVA aux recettes par habitant du pays dans sa globalité. Les Länder les plus riches versent ainsi une partie de leurs excédents aux Länder les plus pauvres, situés majoritairement à l’Est. Cela permet de limiter les disparités régionales.

Au mois de juin, il a été décidé d’arrêter ce système de redistribution et d’effectuer un versement direct par l’Etat fédéral aux Länder, qui devrait être plus substantiel. De ce fait, à partir de 2020, c’est l’Etat fédéral qui pourra intervenir de façon plus importante dans la gestion financière des Länder et pourra leur imposer des investissements.

Je pense qu’il faut notamment bien regarder ce qui se fait au niveau institutionnel en Allemagne car c’est toujours ce qui se déploie ensuite au niveau européen. Ce qui est en train d’être voté au Bundestag et au Bundesrat est passé sous silence en Europe, mais ce n’est pas anodin. Dans les grands pays de la zone euro (France, Italie, Espagne), on donne de plus en plus de pouvoirs aux régions tandis qu’en Allemagne, on recentralise certaines prérogatives.

Cet infléchissement en faveur de plus d’investissements induit-il que le pays, après les élections, pourrait soutenir une intégration plus poussée de la zone euro ?

Je pense qu’on va aller plus gaillardement vers un gouvernement de la zone euro, les ballons d’essai vont se multiplier. Toutefois, Angela Merkel est très prudente là-dessus en Allemagne car si on avance cette idée, il va falloir mettre des garde-fous très protecteurs de l’orthodoxie financière allemande, c’est-à-dire qu’on ne pourra pas dépenser plus structurellement que ce qu’on a reçu en recettes.

Le fait que la France fait les réformes que souhaite l’Allemagne n’explique-t-il pas également le soutien de Berlin à plus d’intégration dans la zone euro ?

Je ne suis pas sûre que la France s’adapte à l’Allemagne, mais plutôt au discours de l’Allemagne, ce qui est différent. Il y a un discours en faveur de réformes structurelles en France car les Allemands avancent que ces réformes ont été faites chez eux dans les années 2000 et que cela justifie la bonne santé de leur économie.

Les réformes Hartz : de 2003 à 2005, le chancelier Gerhard Schröder, de pair avec Peter Hartz, ancien directeur du personnel de Volkswagen, a mené des réformes drastiques permettant de libéraliser le marché du travail : refonte de l’assurance chômage, facilitation du travail temporaire, etc. La création des mini-jobs est particulièrement commentée : cette forme de travail est rémunérée jusqu’à 450€ par mois maximum et est exonérée de cotisations sociales.

Mais d’ailleurs, ce n’est pas du tout grâce à ces réformes, les lois Hartz (voir encadré), que l’économie allemande fonctionne bien. Elles ont plutôt permis l’existence de beaucoup d’emplois atypiques en Allemagne. Il y en avait 7,5 millions de personnes qui occupaient un emploi atypique en 2016 (emplois précaires y compris les CDD, les contrats en intérim, les mini jobs, etc.).

Les femmes travaillent relativement peu en Allemagne et sont dans une situation particulièrement défavorable en termes de salaires ou d’accès à des postes à responsabilité. Est-ce que cela contribue par ailleurs aux bons scores du pays en termes de taux de chômage ?

Effectivement. J’exagèrerais un peu en disant qu’Angela Merkel n’a rien fait et a profité de l’embellie économique. Il y a tout de même eu une politique au niveau de la famille. La ministre de la Famille a essayé d’encourager les femmes à travailler pour augmenter le taux de participation. Celui-ci est tout de même important. Mais il est vrai que les femmes en Allemagne consacrent une grande partie de leur temps à élever leurs enfants, et travaillent surtout à temps partiel.

Les réformes Hartz et la banalisation des emplois atypiques ont-elles accru cette difficulté des femmes à travailler ?

Cela dépend de la catégorie sociale. Pour les femmes pauvres, effectivement, ce n’est pas évident car elles sont obligées de travailler, sans pour autant avoir des moyens de garde disponibles par ailleurs. Toutefois, il y aussi un autre effet : comme l’Allemagne est de plus en plus riche, le salaire médian est de plus en plus élevé et donc ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté sont de plus en plus nombreux puisque ça n’entraine pas toute la population vers le haut. Ceux qui sont de plus en plus pauvres, ce sont les retraités, et c’est en partie la paupérisation de cette classe de la population, de plus en plus nombreuse, qui implique qu’il y a une augmentation des inégalités en Allemagne.

Les inégalités sont également territoriales, entre l’Est et l’Ouest : comment expliquer les disparités en termes de développement économique et de salaires entre ces “deux Allemagne” ?

Pendant longtemps, on a détruit toutes les infrastructures est-allemandes pour les remplacer par des usines flambant neuves. Cela a couté très cher à l’Allemagne, qui a dû transférer des milliards à l’Est durant les années 1990. Toutefois, ça n’a pas empêché les migrations des plus qualifiés de l’Est vers l’Ouest. A l’Est est donc resté un noyau de gens qui était moins qualifié et les salaires étaient par conséquent plus faibles. Lorsqu’Angela Merkel a introduit un salaire minimum, en fonction de la localisation sur le territoire, celui de l’Est était nettement moindre que celui de l’Ouest.

Par ailleurs, les régions de l’Est sont également très agricoles. Il y a aussi de la petite manufacture, notamment des industries qui commerçaient avec la Russie et qui ont été pénalisées par les sanctions européennes vis-à-vis de ce pays.

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