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La Commission européenne lance l’assaut contre Google

Mercredi 15 avril, Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, a sifflé la fin de la récréation. Après cinq années de tergiversations, la Commission est finalement passée à l’offensive contre Google, suspecté d’abus de position dominante. Le géant américain s’est vu adresser une ‘communication de griefs’ et pourrait être sanctionné d’une amende record de 6 milliards d’euros. Mais derrière ce contentieux, se cachent également les questions du retard européen dans le domaine du numérique, de la protection des données personnelles ou encore de l’optimisation fiscale. Décryptage.

Google

Margrethe Vestager, l’une des femmes fortes de la Commission

Imperturbable. Le 15 avril, Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence depuis novembre dernier, a annoncé, avec son calme et son sourire habituels, qu’elle entend adresser à Google une “communication de griefs” pour abus de position dominante. Derrière le jargon bruxellois passablement abscons, une accusation très grave qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour la firme américaine. “Je crains que l’entreprise n’ait injustement avantagé son propre service de comparaison de prix, en violation des règles de l’Union européenne en matière d’ententes et d’abus de position dominante” , a ainsi déclaré Mme Vestager.

Plus précisément, Google est soupçonné d’avoir favorisé son propre comparateur de prix, Google Shopping, au détriment de ses concurrents, et de lui donner une place prépondérante dans les résultats de son moteur de recherche généraliste. “De cette manière, cela peut artificiellement faire dévier les internautes de comparateurs de prix rivaux et entraver leur capacité à concurrencer Google Shopping sur le marché” , peut-on lire dans le communiqué de la Commission.

Margrethe Vestager

En parallèle, Bruxelles a également lancé une enquête relative au système d’exploitation de Google, Android, qui est utilisé par environ 75% des smartphones et des tablettes. A cet égard, la Commission suspecte Google d’avoir violé les lois antitrust en passant des accords avec des fabricants de téléphone “limitant leurs capacités de développement et d’accès au marché” .

L’air de rien, celle qui a inspiré la fameuse série Borgen vient de déclencher un petit séisme. Son prédécesseur au portefeuille de la Concurrence, l’Espagnol Joaquin Almunia, qui a enquêté pendant cinq ans sur ce dossier, n’avait jamais osé franchir ce pas. Après quelques semaines et des rencontres, d’abord avec les plaignants puis avec les représentants de Google, Margrethe Vestager, elle, n’a pas hésité.

Dès lors, le groupe dispose de dix semaines pour préparer sa réponse à l’injonction de la Commission européenne. Une audition à Bruxelles devrait suivre qui, si elle n’est pas jugée convaincante, devrait déboucher sur des poursuites. Google risque une amende pouvant s’élever jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires annuel total - environ 60 milliards de dollars en 2014 - mais aussi des mesures contraignantes qui l’obligeraient à modifier ses pratiques.

La défense de Google affaiblie par un rapport de la Commission américaine du commerce

D’après la plupart des spécialistes du numérique, le fait est que la Commission européenne semble bien armée pour affronter Google. La réputation de l’institution concernant le respect du droit de la concurrence n’est plus à faire : Microsoft et Intel ont par le passé été sanctionnés de plusieurs centaines de millions d’euros pour des entorses et, surtout, elle représente quelque 500 millions de citoyens consommateurs. Un marché plus que conséquent sur lequel Google ne peut faire l’impasse. D’autant qu’en prenant l’offensive, la Commission se place en position de force dans l’optique de négociations futures, estiment certains éditoriaux comme ceux du Monde ou du quotidien britannique The Guardian.

Toutefois, fort logiquement, Google se tient prêt pour une bataille juridique qui pourrait durer plusieurs années. Amit Singhal, vice-président du groupe, n’a d’ailleurs pas tardé à riposter, mettant en avant le nombre croissant de moteurs de recherche concurrents - même si Google représente plus de 90% de ce marché en Europe - ou encore les performances de sites comme eBay ou Amazon qui n’ont pas souffert de l’arrivée de Google Shopping.

Pour leur défense, les avocats de Google pourront certainement compter sur le président américain qui, dès février, s’est exprimé pour défendre l’entreprise. En substance, ce dernier reproche à l’Union européenne d’être mauvaise perdante dans le domaine du numérique et de se rendre coupable de protectionnisme. “Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, développé, amélioré de telle manière que l’Europe ne puisse pas lutter. Et fréquemment, ce qui est décrit comme des prises de positions nobles est en fait juste une manière de placer leurs intérêts commerciaux” , a ainsi déclaré Barack Obama.

Une position contestable de la part du président américain compte tenu des récentes révélations concernant la propre enquête de la Commission fédérale américaine du commerce (FTC) contre Google. En effet, cette dernière, qui a depuis abandonné l’idée des poursuites, était parvenue aux mêmes conclusions que la Commission européenne. Comme l’a révélé le quotidien économique américain The Wall Street Journal, la FTC considérait que Google avait adopté “une stratégie de rétrogradation ou de refus d’afficher des liens vers certains sites” , lui permettant de “maintenir de manière illégale son monopole dans la recherche et la publicité liée à la recherche” .

La perspective pour le groupe de devoir modifier ses pratiques et, partant, son business model, apparaît donc comme plausible. De fait, modifier la façon dont le moteur de recherche affiche ses résultats pourrait réduire la prédominance de Google ainsi que ses revenus publicitaires, à l’heure actuelle extrêmement élevés.

En retard vis-à-vis des Etats-Unis sur le plan technologique, l’Europe insiste sur le respect des règles du jeu

A l’inverse, là où il sera nettement plus difficile de contredire Barack Obama, c’est sur le retard, peut-être irrattrapable, pris par l’Europe dans le numérique. Comme les responsables politiques, de tous partis et de tous pays, le rappellent régulièrement, il n’existe pas de Google européen.

Et si le géant américain s’est constitué une position dominante, non critiquable en soi, c’est avant tout grâce à la qualité de son service. Un phénomène admis par le commissaire européen à l’Economie digitale, l’Allemand Günther Oettinger : “nos entreprises dans le digital sont aujourd’hui dépendantes d’une petite poignée d’acteurs non européens. Cela ne devra plus être le cas dans le futur” . Et pour y remédier, l’Union européenne entend approfondir le Marché unique du numérique et lever les barrières nationales qui freinent l’innovation et le développement des entreprises européennes. Un projet qui n’est évidemment pas sans comporter de détracteurs en Europe, venant notamment de l’industrie culturelle - ces derniers craignant, entre autres, pour la protection du droit d’auteur.

Mark Zuckerberg

Ainsi, en attendant un éventuel rattrapage technologique sur les géants américains du numérique qui, à l’heure actuelle, dominent sans partage les secteurs des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des messageries en ligne ou encore des sites de e-commerce, l’Europe tâche donc de juguler leur emprise, colossale et croissante, sur l’économie.

Outre les contentieux de concurrence entamés contre Google, l’Europe est en effet également en croisade contre Facebook sur le terrain de la protection des données personnelles. Le réseau social fondé par Mark Zuckerberg est ainsi suspecté par plusieurs autorités européennes, dont la France, de récolter indûment des données personnelles, y compris chez des internautes non membres du réseau social. Dans ce contexte, Me Bernhard Schima, avocat de la Commission européenne, a été jusqu’à conseiller aux utilisateurs de “fermer” leur compte Facebook, étant donné que “la législation actuelle ne peut garantir une protection adéquate des données des citoyens européens” .

De la même manière, les autorités européennes reprochent aux grandes multinationales, incluant les géants américains du numérique, de se livrer à des opérations d’optimisation fiscales pour leurs activités en Europe. Des pratiques révélées il y a quelques mois lors du scandale LuxLeaks et qui devraient entraîner une réaction significative de la part de l’exécutif européen. En effet, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, fut Premier ministre du Luxembourg pendant 18 ans et est aujourd’hui contraint de faire amende honorable dans ce domaine.

Au cours des mois à venir, Google pourrait donc voir les assauts se multiplier à son encontre et être également attaqué sur la question du montant très faible des impôts que l’entreprise paie en Europe. Certains Etats, comme l’Espagne ou encore la France via la loi Macron, prennent d’ores et déjà des dispositions législatives contre la firme.

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