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La Banque centrale européenne, une institution aux solutions dépassées ?

Jeudi 2 mai, la BCE a décidé d’abaisser à 0,5% son principal taux directeur, afin de faciliter le refinancement des banques européennes auprès de l’institution. Cette politique de baisse des taux, menée depuis le début de la crise n’a pas encore véritablement porté ses fruits, et Francfort se trouve confrontée à un défaut criant de marges de manœuvres. De quoi nourrir les débats sur une éventuelle modification des statuts de la Banque centrale.

Une baisse des taux directeurs, pour quoi faire ?

La baisse des taux directeurs de la BCE a pour but de faciliter le refinancement des banques, et par extension d’inciter celles-ci à prêter davantage aux ménages et aux entreprises. Le taux actuel de 0,5% offre aux institutions financières des ressources monétaires importantes, à un prix très bas, ce qui peut leur permettre ensuite d’appliquer un taux d’intérêt faible et légèrement supérieur à ces 0,5% aux entreprises et aux particuliers. La différence entre les deux valeurs constitue logiquement la marge conservée par les banques, le reste des ressources étant remboursées à la BCE à partir des intérêts perçus sur les prêts accordés aux acteurs du marché (entreprises et ménages).

La rentabilité financière fait partie intégrante du calcul d’une entreprise qui recherche des modes de financement pour ses investissements. Elle évalue tout d’abord le taux de rentabilité de l’investissement en capital envisagé (machine, capital humain…), et cherche ensuite à emprunter des fonds auprès d’une institution bancaire proposant un taux d’intérêt inférieur à ce taux de rentabilité. Ces ressources financières empruntées puis investies devraient donc ensuite être totalement rentables, car finançant le remboursement du prêt initial et rapportant des ressources et des profits à l’entreprise.


Ces acteurs, bénéficiant de ressources bon marché, pourraient plus facilement financer leurs besoins en biens et services et en investissements. En effet, les taux d’intérêt bas de la BCE élargissent le champ des investissements potentiellement rentables, la rentabilité financière et les effets de leviers potentiels pour les entreprises augmentant concomitamment avec la baisse des taux d’intérêt.

La relance de la consommation et de l’investissement induite par cet afflux de liquidités bénéficierait directement aux entreprises, qui augmenteraient leur production et créeraient des nouveaux emplois pour faire face à la multiplication des commandes. Mais dans un contexte de crise dont l’origine même vient des risques trop importants pris par certaines banques dans des produits financiers nauséabonds, c’est l’ensemble des institutions financières privées qui réfléchit à deux fois avant d’accorder le moindre euro. En conséquence, si les banques se refinancent facilement auprès de la Banque centrale, elles ne donnent en échange pas de compensation directe auprès de l’institution, qui voit l’argent prêté irrémédiablement éloigné de l’économie réelle.

Malgré de bonnes intentions, et une volonté de relancer les deux moteurs principaux de l’économie européenne que sont la consommation et l’investissement, la Banque centrale se heurte à l’aversion au risque dont les organes bancaires font preuve. Pour contrer ce phénomène, Mario Draghi, le président de l’institution, s’est dit prêt à envisager un mécanisme de prêts directs aux entreprises européennes en difficulté (dans les pays méditerranéens en particulier), en collaboration étroite avec la Banque européenne d’investissement. Si cette proposition, couplée à un renforcement des exigences demandées aux banques en échange de prêts à taux réduit, paraît fondamentale, certains économistes néo-keynésiens en appellent directement à un changement profond des statuts de la BCE et de sa politique monétaire sur les marchés.

Une solution envisageable : prêter directement aux Etats

L’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit aux banques centrales, et notamment à la BCE, d’accorder des crédits “aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales” . En clair, la BCE ne peut pas directement prêter aux Etats. Le caractère indépendant de l’institution ainsi que les fondements théoriques libéraux de neutralité de la monnaie ont été mis en pratique lors de la création de la Banque centrale, qui ne peut ainsi pas satisfaire les besoins conjoncturels et politiques des Etats membres. Ceci remettrait en effet en cause l’objectif principal du système européen de banques centrales tel que mentionné dans l’article 127 du TFUE, à savoir la stabilité des prix.

Les statuts actuels de la Banque centrale contraignent celle-ci à intervenir directement sur les marchés financiers, pour proposer aux banques, institutions financières et acteurs privés des prêts à taux défiant toute concurrence. Mais cette dernière ne peut pas directement prêter des fonds européens aux Etats, comme c’était auparavant le cas des banques centrales nationales (Banque de France par exemple). Ce rôle de prêteur en dernier ressort, qui permettait aux différents gouvernements de financer à moindre frais les dépenses publiques, avec des taux d’intérêt souvent proche de 0, n’existe plus désormais. Les Etats sont dorénavant contraints de se financer par le biais des marchés financiers, qui proposent quant à eux les taux d’intérêt qu’ils souhaitent, et qui peuvent parfois être prohibitifs.

Ainsi peut-on expliquer la situation de quasi-défaut de paiement dans laquelle la Grèce s’est trouvée il y a deux ans. Incapable de se financer sur les marchés financiers, pour des raisons évidentes de méfiance de la part de ces derniers, le pays a dû se tourner en catastrophe vers les autres Etats membres de l’eurozone, pour que ces derniers acceptent de prêter urgemment des fonds au pays.

Face aux difficultés grandissantes qu’éprouvent certains Etats frappés par la récession et la méfiance des marchés financiers, comment expliquer que ce constat ne fasse pas changer d’avis le directoire de la Banque centrale européenne ? Pourquoi cette dernière continue-t-elle éperdument à ne viser que des objectifs inflationnistes (2% par an maximum) et à délaisser la question de la croissance économique et de l’emploi ? Selon certains économistes, comme Edwin Le Héron, maître de conférences à l’IEP de Bordeaux, la réponse se trouve dans l’idéologie qui a prédominé à la fondation de la BCE, et qui préexiste encore aujourd’hui parmi les membres les plus influents de l’institution.

En 2010, au plus fort de la crise des dettes grecque et irlandaise, la Banque centrale européenne et son président Jean-Claude Trichet se sont résolus à acheter des titres de dette souveraine émis par ces pays en difficulté sur les marchés financiers. L’objectif était de sauver ces pays de la faillite et de rassurer les investisseurs sur ces marchés, en baissant par le rachat de titres les taux d’intérêt à moyen terme de ceux-ci. Dans le cadre du nouveau programme de rachat des dettes publiques, la BCE peut désormais acheter sans limite ces titres, mais seulement auprès des Etats ayant officiellement demandé le soutien du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ces Etats concernés doivent en retour mener de profondes réformes économiques.


Dans son ouvrage intitulé A quoi sert la Banque centrale européenne ?, Le Héron explique que les libéraux de la Banque centrale européenne estiment que la monnaie est neutre, et par conséquent qu’elle n’a aucune incidence à long terme sur l’économie réelle. Elle ne joue que sur l’inflation des prix, et non pas sur la croissance, l’emploi, ou la balance commerciale des Etats. Or, prêter de l’argent directement aux Etats membres de la zone euro, comme certains économistes et hommes politiques néo-keynésiens le suggèrent depuis plusieurs années, reviendrait à satisfaire des objectifs conjoncturels de croissance et de réduction du chômage, qui engendre forcément une inflation importante des prix. En finançant directement les gouvernements, la BCE contreviendrait à son objectif principal tout en affaiblissant la compétitivité-prix déjà fragile des produits européens.

A long terme, les tensions inflationnistes nuiraient aux exportations

Dans une économie mondialisée où les produits fabriqués en Europe affrontent déjà une concurrence énorme de la part des acteurs basés dans les pays émergents, une augmentation des prix à l’exportation des biens et services européens affaiblirait encore plus une part de l’industrie européenne à faible valeur ajoutée déjà mal en point. Le creusement du déficit extérieur de la plupart des Etats membres, du à une baisse des exportations et une hausse des prix à l’importation en raison du renchérissement de l’euro vis-à-vis des autres monnaies nationales, affaiblirait grandement la monnaie unique sur les marchés monétaires.

Impossible donc d’envisager dans les mois qui viennent une modification des statuts de la Banque centrale européenne, pour que celle-ci prête directement aux Etats et satisfasse des objectifs structurels et conjoncturels de stabilité des prix couplés à un financement massif de l’économie et une stimulation de l’activité. La BCE est loin d’avoir les mêmes objectifs que la Fed, la réserve fédérale américaine, qui, de son côté, finance massivement l’Etat américain. Si dans une conjoncture économique de croissance prospère, l’objectif unique d’inflation fixé par l’institution européenne ne pose pas ou peu de problèmes, il en est différemment dans le cadre de crises et de ralentissement de l’activité économique. Une intervention massive de la BCE pour la relance et un écartement partiel du dogme inflationniste seraient souhaitable pour de nombreux acteurs publics et privés, mais pourrait porter un coup fatal à l’entreprise mise en marche depuis plus de dix ans pour concurrencer à l’échelle européenne l’hégémonie du dollar américain dans l’économie mondiale.

En savoir plus

The monetary policy of the ECB - Banque centrale européenne/en

A quoi sert la Banque centrale européenne ? - La Documentation Française

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