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L’exception danoise : un modèle social onéreux à l’épreuve de la crise

Le Danemark est connu pour avoir une des politiques sociales les plus développées et onéreuses du monde. En particulier, la politique du marché du travail, dite système de “flexicurité”, est si exemplaire qu’elle a été considérée au niveau européen comme un modèle pour les reformes du marché du travail depuis 2003 [1]. Comment fonctionne ce système de “flexicurité” ? Quelle a été son efficacité au Danemark lors de la crise ? Enfin, comment la crise a-t-elle influencé les efforts des autres pays de l’Union européenne qui ont tenté de le mettre en place ?

Le système “flexicurité”

Au sein du système social danois, le modèle dit de “flexicurité” pour le marché du travail occupe une place prépondérante [2]. Ce modèle innovant est parfois qualifié de “triangle d’or” : flexibilité, sécurité et une politique active sur le marché du travail.

La flexibilité s’incarne ici par une facilité de recruter et de licencier ; concrètement, les employeurs peuvent réagir vite à des situations de crise économique en étant autorisé à licencier des employés dans un délai très rapide, et cette flexibilité leur permet notamment d’envisager plus sereinement de nouveaux recrutements dès lors qu´ils ont récupéré de la crise. La sécurité conçue ici comme une assurance solide pour les personnes ayant perdu leur travail puisqu’elles ont la garantie de percevoir des allocations chômage relativement élevées, atteignant jusqu’à 90% des salaires antérieurs pour les travailleurs les moins payés. La politique active sur le marché du travail est un système dynamique et efficace d’accompagnement et d’orientation vers des offres ou formations pour un retour réussi à l’emploi.

Quelle efficacité pour le système “flexicurité” lors de la crise ?

Pendant une crise, beaucoup de citoyens perdent leur travail et peu d’emplois nouveaux sont créés. On pourrait donc s’attendre à ce que le modèle de “flexicurité” ne fonctionne plus. A première vue, les Danois ont été touchés de façon relativement sévère, comme en témoigne le doublement du taux de chômage depuis le début de la crise.

Cependant, comme le souligne Rune Siglev de la Confédération Danoise des Syndicats (LO) [3], “le Danemark partait d’un taux de chômage alors extrêmement bas” , et celui-ci est alors beaucoup plus “facilement” multiplié qu’un fort taux initial. Avec 4% de la population active sans emploi en 2007 [4], le Danemark se situait en effet nettement en dessous la moyenne des pays de l’OCDE, i.e. 5,6%, ou encore de celui de la France qui était alors de 7,9%. En 2010, le taux de chômage de 7,6% au Danemark est toujours plus bas que la moyenne des pays de l’OCDE. Selon Mr Siglev, “ceci montre notamment l’efficacité du système “flexicurité” même au plus fort de la crise” .

Toutefois, malgré ce système de “flexicurité” , le Danemark doit, comme beaucoup de pays européens, affronter le problème du sort réservé aux jeunes générations, les plus durement touchées par la crise [5]. Alors que le taux de chômage y était de 7,8% en 2011 pour l’ensemble de la population active, celui des 15-24 ans culminait beaucoup plus haut, à 14,2%. Ce chiffre est toutefois beaucoup moins fort qu’en Espagne où environ 50% des jeunes actifs de moins de 25 ans sont au chômage. Pour autant, comme le souligne Caroline de la Porte, maître de conférences à l’université du Danemark du Sud (Syddansk Universitet) [6], “l’accès à l’emploi pour les jeunes constitue une préoccupation très importante et les Danois craignent que les jeunes d’aujourd’hui deviennent une génération perdue” , laissée de côté et incapable d’intégrer le marché du travail dans le futur.

Le système “flexicurité” dans le collimateur du gouvernement ?

En temps de crise, la question suivante se pose au Danemark : le gouvernement parvient-il toujours à financer son onéreux système social, en particulier la “flexicurité” ? Alors qu’en 2007, le Danemark a obtenu un surplus de bénéfices publics de 4,8% du PIB, il accuse en 2012 un déficit de 4,1%, selon des données de l’OCDE [7].

En mai 2010, le Conseil de l’Union européenne a même engagé une procédure de déficit excessif (EDP) contre le Danemark [8]. Cette EDP est une mesure qui vise à obliger les États membres de l’Union Economique et Monétaire (EMU) à respecter les deux critères sur lesquels ils se sont accordés dans le Pacte de Stabilité et de Croissance de 1998 et 1999 : le déficit annuel ne doit pas dépasser 3% du PIB et la dette totale doit être inférieur à 60% du PIB. En 2010, la Commission européenne prévoyait un dépassement de la limite des 3% pour le Danemark et le Conseil a en conséquence engagé une EDP contre le pays, lui a donné ses recommandations et a imposé la date butoir de 2013 pour la correction de l’excédent du déficit annuel. Si le Danemark échoue dans l’abaissement de son déficit public annuel à la date imposée, des sanctions financières seront alors engagées contre le pays.

Afin de satisfaire aux recommandations de l’Union européenne, le gouvernement conservateur de Rasmussen a établi un Accord de Consolidation Fiscal en mai 2010 [9]. La réforme principale comprise dans cet accord a été la réduction de la durée de versement des allocations chômage de 4 à 2 ans, prenant effet à partir de juillet 2010. En 2011, ce gouvernement a également repoussé l’âge de départ à la retraite. L’objectif commun à ces réformes a été de réduire les dépenses publiques, mais avait aussi un autre but avoué, celui d’augmenter la main d’œuvre disponible. Ceci suit l’idée selon laquelle le système social danois ne peut être financé que si la majeure partie de la population active travaille. Ainsi, le pays prévoit l’atteinte d’un taux d’emploi structurel de 80% de la population des 20-64 ans en 2020 [10].

La crise, pas un déclencheur de réformes, mais un important facteur contextuel

Mr Siglev fait remarquer qu’ “il y avait déjà eu quelques années auparavant des discussions politiques sur le fait que le système social danois était peut-être un peu trop généreux et que certaines coupes devaient être effectuées” . Mme de la Porte confirme cette remarque : “les réformes ont été entreprises un peu rapidement à cause de la crise, mais elles auraient été engagées tôt ou tard de toute façon” . Elle ajoute que “la réforme du retardement du départ volontaire en retraite était déjà discutée dans les années 90, mais n’avait pas été réalisé alors” . Avec la pression amenée par la crise, cela a pu être le cas en 2011.

Pourtant, comme le fait remarquer Mr Siglev, “les syndicats ont eu d’intenses discussions avec le gouvernement pour essayer de le convaincre que des coupes dans la durée des allocations chômage ne devraient pas être introduites en temps de crise alors qu’il n’y a pas de création d’emplois” . Mais cette fois, le gouvernement n’était pas disposé à attendre. L’EDP et l’UE ont à coup sûr joué le rôle “d’importants facteurs contextuels dans ces décisions” , comme le souligne Mme de la Porte, mais “en raison du fort euroscepticisme de la population danoise, il n’a cependant pas été officiellement mentionné que ces réformes ont été aussi réalisées sous la pression de l’UE” . Le remplacement du gouvernement conservateur par une coalition socialiste en 2011 n’a apparemment pas changé grand-chose. Le gouvernement socialiste a lui aussi été tenu à une stricte gestion des dépenses publiques et à une politique de réduction des coûts par l’EDP de l’Union européenne.

Réaction de la population aux réformes

Les réformes introduites ont été accompagnées par de nombreux débats publics et une inquiétude généralisée. Cependant, aucune véritable protestation ou manifestation n’a eu lieu. En ce sens, “la culture danoise est très différente de la culture française” constate Mme de la Porte. Le modèle “Flexicurité” lui-même n’est d’ailleurs pas remis en cause. Il n’y a en temps de crise au Danemark pas de véritable demande pour faire évoluer le système vers une plus grande sécurité de l’emploi et moins de flexibilité.

Le système “flexicurité” dans l’UE

“Je travaille pour la Confédération Danoise des Syndicats à Bruxelles depuis deux ans et demi. Durant les six premiers mois, j’ai eu environ dix conférences sur le mode de fonctionnement du système de ‘flexicurité’. Depuis, je n’ai plus eu une seule conférence. En période de crise, la préoccupation la plus importante des gouvernements est évidemment de réduire les dépenses publiques” , remarque M. Siglev. Dans ce contexte, plus de sécurité ne se vend pas bien. Mr Siglev se demande même si dans un ou deux ans on parlera encore du système “flexicurité” au niveau européen. La crise a ainsi abouti à la disparation de ce système au niveau européen même si, au Danemark, cette organisation du marché du travail a réussi à traverser la crise. 

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