L’Europe écrit une nouvelle page de son Histoire. Florence Chaltiel
L’infernal cycle des échecs européens est-il enfin rompu ? Il est possible de l’espérer, de l’envisager, de le penser même. L’approbation du traité de Lisbonne par le peuple irlandais ouvre enfin la voie à l’entrée en vigueur de la réforme institutionnelle après dix ans de tentatives infructueuses. En effet, depuis la signature du contesté et contestable traité de Nice en 2001, tous les efforts de rationalisation du système institutionnel furent vains. L’Europe a, au cours de cette décennie, expérimenté l’échec devant les peuples.
Le peuple irlandais, déjà, en
Aujourd’hui, le traité de Lisbonne a désormais de bonnes chances d’entrer en vigueur. Les présidents tchèque et polonais ne pourront plus différer de beaucoup leurs signatures. De cette décennie, comme de cette prochaine entrée en vigueur d’un nouveau traité, il faut tirer des leçons et, déjà, regarder vers l’avenir.
Le traité de Lisbonne a pu être ratifié par l’ensemble des Etats membres au prix de reculs en deux étapes, des reculs par rapport au projet de Constitution, des reculs d’une conception à l’autre du traité de Lisbonne. Les premiers reculs se trouvent dans le traité tel que signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne. La symbolique constitutionnelle est formellement gommée : le terme de “Constitution” disparaît, la référence aux symboles de l’Union européenne disparaît. Les seconds reculs font suite à l’échec du traité devant le peuple irlandais en 2008. La négociation a abouti à des engagements lors du Conseil européen de décembre 2008, parmi lesquels l’abandon du principe d’une Commission européenne réduite, élément attendu de longue date d’intégration et d’efficacité renforcées.
Pour autant, malgré ces reculs, réels, mais aussi formels, de substantielles avancées doivent être relevées. D’abord, si la symbolique constitutionnelle disparaît, deux éléments permettent de penser que des bases d’une intégration renforcée sont présentes dans le traité.
Le principe démocratique, ainsi affirmé explicitement, est aussi un aboutissement de la création d’une citoyenneté européenne il y a maintenant près de vingt ans. Qui dit citoyen dit en effet acteur d’un système politique. Or l’Union européenne adopte bien des décisions applicables directement à chacun des citoyens que nous sommes. Affirmer la démocratie européenne revient donc à reconnaître que les décisions européennes sont prises au nom de la Communauté des citoyens européens, peuple potentiel de l’Union.
C’est une démocratie à plusieurs niveaux qui se met ainsi en place. Au niveau européen, le parlement représente les citoyens, au niveau national, les Parlements nationaux se voient attribuer plus de pouvoirs qu’auparavant. Ils pourront par exemple contester un texte européen au regard du principe de subsidiarité selon lequel l’Union ne doit agir que si elle démontre une efficacité supérieure à celle des Etats. Ce sont là des éléments de démocratie représentative, nécessaires dès lors que l’objet politique Europe dispose de véritables pouvoirs de décision. Le traité de Lisbonne reprend aussi un élément de démocratie directe, inédit dans un ensemble aussi vaste que l’Union européenne et ses plus de cinq cent millions d’habitants. Le principe de l’initiative citoyenne, permettant à un million de citoyens, au moins, de soumettre une proposition de texte à la Commission européenne, a été repris du projet de Constitution européenne.
Outre le principe démocratique européen, écrit noir sur blanc, le traité de Lisbonne apporte enfin la réforme institutionnelle attendue depuis les élargissements des années 2000. Les institutions européennes, pensées pour six Etats membres arrivaient à bout de souffle. Parmi les avancées remarquables se trouve d’abord la création du poste de président du Conseil européen pour deux ans et demi renouvelable.
Il demeure une déception et des interrogations. Les deux sont liées. La déception tient dans le recul dans lequel les Etats membres se sont engagés lors des discussions avec l’Irlande, s’agissant de la Commission européenne. Celle-ci, en vertu du traité de Lisbonne, devait comporter un nombre de membres correspondant à deux-tiers du nombre d’Etats membres. Or l’engagement a été pris, lors du Conseil européen de décembre 2008, de revenir sur cette avancée et de laisser un commissaire par Etat. Ce recul suscite, outre une déception, une interrogation. Force est de constater que le traité en lui-même n’a pas été renégocié en tant que tel. Par conséquent, si le nombre de commissaires doit être égal au nombre d’Etats membres, il faudra que les Etats se fondent sur le traité lui-même pour procéder au changement. La solution juridique existe effectivement puisqu’une disposition du traité permet aux Etats, votant à l’unanimité, de modifier le nombre de commissaires. On imagine mal un Etat voter contre, et dans le même temps, il est sans doute regrettable qu’une des premières mesures adoptées sur le fondement du traité consiste à abandonner une de ses avancées..
Florence Chaltiel
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