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Justice : la réforme du système français s’inscrit dans une tendance européenne

Le gouvernement Philippe a dévoilé le 9 mars son projet de réforme de la justice française, dont certaines dispositions suscitent une levée de boucliers chez une partie des avocats et des magistrats. Parmi les aspects controversés : la diminution du nombre de tribunaux et la spécialisation de certains d’entre eux. Une orientation déjà suivie par plusieurs pays européens.

Crédits : iStock

Implantation territoriale vs. Entité juridique

L’accès à la justice constitue un pilier fondamental de l’État de droit. Le nombre et l’emplacement des tribunaux sur le territoire revêtent par conséquent une importance particulière. Dans un rapport daté de 2016, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) expose deux manières d’inventorier les lieux de justice. Il est possible de dénombrer soit les implantations territoriales (les bâtiments), soit le nombre de tribunaux en tant qu’entités juridiques.

Prenons par exemple le tribunal de grande instance (TGI) et le tribunal pour enfants de la ville de Béthune (Pas-de-Calais). Ceux-ci forment deux entités juridiques séparées. Toutefois, ils se trouvent dans le même bâtiment et ne comptent donc que pour une seule implantation territoriale. A l’inverse, une seule entité juridique peut se trouver à deux endroits différents. C’est le cas du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor), qui dispose d’une “chambre détachée” dans la ville voisine de Guingamp. Une chambre détachée peut traiter toutes les affaires de A à Z, mais dépend directement du TGI, qui peut alors organiser sa spécialisation. Autrement dit, le TGI peut décider que les affaires familiales soient jugées à Guingamp, mais que Saint-Brieuc continuera de traiter tous les délits routiers du département.

Réduction et spécialisation

Lorsqu’on observe le nombre d’implantations de tribunaux pour 100 000 habitants en Europe, on remarque qu’en 2014, trois pays seulement en comptent plus de trois. Il s’agit de la Croatie (4,80 tribunaux pour 100 000 habitants), de la Slovénie (3,74) et de la Grèce (3,03). A l’inverse, six pays d’Europe comptent moins d’un tribunal pour 100 000 habitants. Parmi ceux qui en comptent le moins figurent les Pays-Bas (0,24), le Danemark (0,51) et deux nations constitutives du Royaume-Uni : l’Angleterre et le Pays de Galles (0,84). La France en compte quant à elle 0,97. De larges différences qui sont le fruit de choix de la part des États membres.

Alors que certains pays préfèrent diviser un même tribunal en différents endroits, d’autres choisissent en effet de concentrer plusieurs tribunaux dans un même lieu de justice : c’est le cas de la France. Plus largement, c’est cette dernière tendance qui est la plus observée en Europe. Dans son rapport, la CEPEJ souligne que “la tendance européenne va vers une réduction du nombre de tribunaux et une augmentation concomitante de [leur] taille, incluant davantage de juges, ainsi que vers une spécialisation accrue du système judiciaire” .

Ainsi, la réforme de la justice dévoilée le 9 mars 2018 par le gouvernement Philippe, s’inscrit dans cette tendance européenne. Parmi les dispositions de la loi, l’exécutif souhaite en effet voir fusionner les tribunaux de grande instance avec les tribunaux d’instance (TI).

Les tribunaux d’instance (TI) sont souvent décrits comme rendant une justice “de la vie quotidienne” : on y règle les petits litiges, inférieurs à 10 000 euros (conflits de voisinage, loyers impayés, défauts de travaux, surendettement, crédits à la consommation, tutelles…).

D’après Nicole Belloubet, garde des Sceaux, aucun lieu de justice ne serait fermé. Il s’agirait concrètement de transformer les tribunaux d’instance en “chambre détachée” des tribunaux de grande instance. Quant aux TGI, ils pourraient répartir les litiges et les ressources humaines comme ils le souhaitent, et pourront choisir de mettre en place des pôles de spécialisation. L’État pourra également organiser lui-même la spécialisation par décret.

Plusieurs critiques émergent à cet égard. Une partie des magistrats et avocats craignent qu’avec la spécialisation et la perte d’autonomie, les tribunaux d’instances perdent peu à peu de leur substance, et soient à terme fermés. Les critiques redoutent également un accès restreint à la justice, avec une augmentation des distances à parcourir pour accéder aux tribunaux spécialisés.

Recherche d’économies

Dans de nombreux pays, la concentration des tribunaux n’a pas simplement consisté à réduire le nombre d’entités juridiques, mais s’est également traduite par une diminution en termes d’implantations territoriales. La CEPEJ indique que les pays espèrent par ce biais réaliser des économies en réduisant le nombre de bâtiments et en transférant le personnel sur un même lieux. Ainsi entre 2010 et 2014, l’Italie a supprimé la moitié de ses tribunaux (implantations). L’Écosse et les Pays-bas ont également réduit ce nombre de 38%, et l’Autriche de 31%. Le rapport souligne que “ces réformes n’ont pas toujours généré les économies escomptées, ni n’ont été mises en œuvre en consultation avec le personnel du tribunal”, sans donner davantage de détails.

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