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Jozef Bátora : “La question de la Hongrie est au cœur des élections en Slovaquie”

Le 12 juin prochain, les élections législatives auront lieu en Slovaquie. Dans ce pays d’Europe centrale, des tensions avec la Hongrie voisine dominent la campagne. Que changeront les élections pour la politique étrangère et européenne de ce pays ? Qui sont les partis politiques en lice ? Pourquoi les nouvelles dispositions hongroises sur la citoyenneté créent-elles l’émoi en Slovaquie ? Jozef Bátora, maître de conférences à l’Institut des Etudes européennes et des relations internationales à Bratislava, décrypte ces élections pour Touteleurope.fr.


Touteleurope : Quelle est la situation politique actuelle en Slovaquie ? Quel a été l’impact de la crise économique sur la Slovaquie ?

Jozef Bátora : Dans l’ensemble, à l’instar des autres pays européens, la Slovaquie a été durement touchée par la crise économique. Le gouvernement social-démocrate creuse la dette nationale. Néanmoins, la Slovaquie se porte relativement bien et présente l’un des taux de croissance économique les plus élevés de l’Union européenne.

Durant la période pré-électorale, le gouvernement a beaucoup investi dans les travaux publics, notamment dans la construction d’autoroutes et de ponts. Il s’agit de leur manière de gérer la crise. Cependant, malgré une baisse des coûts visant à réduire les dépenses, il semble que la situation financière en Slovaquie soit relativement stable par rapport aux autres pays de la région. 

Jozef Bátora est maître de conférences à l’Institut des Etudes européennes et des Relations Internationales de Bratislava, en Slovaquie. Ses recherches sont axées sur la dynamique de la réforme institutionnelle dans le domaine de la diplomatie dans le contexte de l’intégration européenne.


TLE : Quels sont les principaux sujets de discussion de la campagne électorale ?

JB : Depuis la réforme du gouvernement en Hongrie au mois d’avril, le sujet le plus important est la relation entre la Slovaquie et la Hongrie. Il s’agit du principal sujet électoral. Des scandales de corruption ont éclaté de part et d’autre de l’échiquier politique. Le dernier en date met en cause le gouvernement et le financement de campagnes politiques au cours des dix dernières années. Mais, tout ceci a été occulté par la loi sur la double nationalité adoptée par le parlement hongrois et par les problèmes qui en découlent pour la Slovaquie. La Hongrie a réformé ses lois sur la nationalité au mois de mai dans le but de faciliter les demandes de nationalité de la part des personnes qui parlent le hongrois et des Hongrois de souche.


Quelle sont les réactions vis-à-vis de cette loi sur la double nationalité hongroise en Slovaquie ? Pourquoi cette question suscite-t-elle autant de passions ?

JB : Cette question est problématique car on recense 500 000 citoyens d’origine hongroise en Slovaquie, ce qui représente 10% de la population slovaque. Ils vivent à la frontière méridionale entre la Slovaquie et la Hongrie. Les sujets d’inquiétudes portent sur le fait que ces personnes pourraient demander la nationalité hongroise et avoir des liens plus étroits avec la Hongrie.

La question des relations entre la Hongrie et les minorités des pays voisins est en arrière plan des relations slovaquo-hongroises depuis la signature du Traité de paix du Trianon, à la fin de la Première Guerre mondiale. Il s’agit d’un sujet récurrent qui suscite la crainte que les minorités hongroises puissent demander leur indépendance et quitter la Slovaquie. Pour ma part, je pense qu’il s’agit d’une crainte quelque peu irrationnelle.

Depuis 2006, la Slovaquie est dirigée par un gouvernement de coalition composé du parti SMER (centre-gauche), dirigé par Robert Fico, du Parti national slovaque (SNS, extrême-droite) dirigé par Jan Slota, et du Mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS-LS, centre-droit) dirigé par Vladimir Merciar. Les membres de l’opposition sont le parti de l’Union démocratique et chrétienne slovaque (SDKU-DS), le parti de la coalition hongroise (SMK), et le Mouvement démocratique chrétien (KDH).


TLE : L’identité nationale est-elle un sujet fondamental dans le débat politique slovaque ?

JB : La question de l’identité nationale n’a jamais été un sujet brûlant du débat national, cependant les récents développements survenus en Hongrie la placent au premier plan. Le caractère sensible de ce sujet met en évidence l’incertitude de l’identité slovaque. Ces réactions assez radicales sont souvent engendrées par l’insécurité de l’identité. Il existe une sensibilité inconsciente aux frontières et aux modifications des frontières. Il subsiste dans les esprits le sentiment que la frontière méridionale n’est pas établie et que cela pourrait être remis en question. Par exemple, en matière diplomatique, il semblerait normal pour un chef d’état qui vient de prendre ses fonctions de se rendre dans le pays voisin dans le cadre de sa première visite d’état. Pourtant, au lieu d’aller en Slovaquie, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbàn, a décidé de se rendre en Pologne, le voisin historique de l’ancien royaume de Hongrie. Ainsi, la question de l’identité est une nouvelle fois soulevée mais il ne s’agit pas d’une inquiétude majeure pour les Slovaques, et ce débat est dû aux tensions politiques actuelles entre la Slovaquie et la Hongrie.

La Hongrie promeut des concepts anciens sur la manière dont on appréhende la nation, il s’agit de concepts à caractère extrêmement ethniques. Le gouvernement hongrois ne devrait pas accorder l’octroi de passeports aux personnes qui ne résident pas en Hongrie, selon le principe qu’ils font partie de la nation hongroise.

TLE : Le parti de Robert Fico et les partis de la coalition actuelle seront-ils réélus ?

JB : C’est extrêmement difficile à dire. Je tiens tout d’abord à affirmer que la coalition du gouvernement actuel, c’est-à-dire le parti social-démocrate Smer et le parti national SNS, n’existera plus après les élections. C’est le parti Smer qui remportera le plus de voix, à savoir environ 35% des votes. Le parti national slovaque d’extrême-droite atteindra difficilement le seuil des 5% nécessaire pour siéger au Parlement. La question est de savoir si Smer peut établir une coalition avec certains des autres partis représentés au Parlement.

Les partis conservateurs de droite tentent d’établir une coalition regroupant cinq partis pour remplacer la coalition actuelle. Le parti d’extrême-droite ne ferait pas partie du gouvernement car il serait directement exclu par l’opposition actuelle SKDU.
Smer, (Parti principal du gouvernement 2006-2010, centre-gauche)
Parti démocrate slovaque et Union chrétienne - SDKU-DS (Parti principal de l’opposition, Libéraux conservateurs, centre-droit)
Parti national slovaque
, SNS (Partenaire de la coalition du gouvernement 2006-2010, extrême-droite)
Parti populaire - Mouvement pour une Slovaquie démocratique LS-HZDS (Partenaire de la coalition du gouvernement 2006-2010, parti conservateur nationaliste
Parti de la coalition hongroise SMK-MKP
(Parti minoritaire hongrois, centre-droit) Mouvement démocratique chrétien KDH (parti de l’opposition, centre-droit) Démocrates conservateurs de Slovaquie KDS Conservatisme national

Partis qui ne siègent pas au parlement actuel mais qui sont susceptibles d’atteindre le seuil de 5% : Parti pour la sécurité et la liberté, SaS (centre-droit) Hid-Most (centre-droit)

En savoir plus sur la Slovaquie ici.

En dernier recours pour rester au pouvoir après les élections, Robert Fico formerait à nouveau un gouvernement avec les nationalistes. Ce serait un développement regrettable car on assisterait à l’émergence de gouvernements de plus en plus nationalistes, et ce, à la fois en Hongrie et en Slovaquie.


TLE : Cette situation va-t-elle augmenter les votes d’extrême-droite ?

JB : Tous les partis politiques essayent de rassembler le soutien des électeurs et la question relative à la nationalité est importante pour les électeurs slovaques. Mis à part le parti hongrois, tous les partis slovaques ont condamné la loi sur la nationalité hongroise. La Slovaquie prend des mesures de riposte visant à modifier la loi nationale, qui stipulent que si un Slovaque prend la nationalité hongroise, il perdra sa nationalité slovaque.

Il est difficile de comprendre la raison pour laquelle les Slovaques voudraient profiter de cette nouvelle loi hongroise. Un passeport slovaque et européen donne accès à tous les bénéfices et droits nécessaires (libre circulation des personnes, accès gratuit aux services de santé au sein de l’Union européenne). La question de la nationalité hongroise est strictement affective car elle n’apporte rien en termes de bénéfices réels.

TLE : Comment caractériseriez-vous le parti d’extrême-droite en Slovaquie ?

JB : Le parti national slovaque qui fait partie du gouvernement actuel se définit comme un parti d’extrême-droite. Ses membres mènent campagne pour la souveraineté et pour des questions anti-européennes. Ils ont créé une affiche extrêmement controversée qui montre un Rom avec la légende suivante “nous ne devrions pas nourrir ceux qui ne veulent pas travailler” . L’affiche a été enlevée le lendemain par la compagnie qui l’avait placée et, depuis l’incident, le Parti national slovaque affirme avoir trouvé un emploi à cette personne. Néanmoins, ils essayent systématiquement de représenter les Roms comme étant des parasites qui profitent de la société slovaque. Ceci représente le sujet principal de leur campagne.

Depuis quelques semaines, le Parti national slovaque est en baisse, il est même en chute libre suite aux scandales qui ont éclaté au sujet du financement et de l’utilisation des fonds de l’UE. D’après les derniers sondages, il remporterait seulement 5,5% des votes, tandis que le seuil pour pouvoir siéger au Parlement est fixé à 5%. Une de mes critiques principales à la loi sur la nationalité hongroise est qu’elle va contribuer à accentuer le soutien aux partis extrémistes et qu’elle garantira probablement leur élection. Le moment choisi par le gouvernement pour voter une loi sur la nationalité est extrêmement difficile à comprendre.

Il existe également un mouvement néo-fasciste d’extrême-droite mais ils n’ont aucune chance d’atteindre le seuil des voix car ils stagnent à environ 1%.

TLE : De quelle manière les politiques économiques diffèrent-elles entre les deux principaux partis ?

JB : L’opposition affirme être en mesure d’établir des politiques budgétaires responsables pour ainsi stopper l’endettement du pays qui a été engendré par le gouvernement actuel. L’opposition préconise une politique économique plus restrictive. Cependant, si on compare la Slovaquie avec la plupart des états membres en termes de discipline financière et budgétaire, on se rend compte que l’administration de Robert Fico a fait du bon travail. La croissance économique a connu des taux élevés en 2005 et 2006. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2006, le Premier ministre Fico n’a pas touché aux réformes politiques réussies par son prédécesseur, en particulier le taux d’imposition fixe à 19%. Il a maintenu ces réformes pour le bien du pays.


TLE : Y aura-t-il des réformes en matière de politique étrangère et européenne si l’opposition prend le pouvoir ?

JB : Si les partis de l’opposition, et notamment le DKU-DS, prenaient le pourvoir, la Slovaquie serait beaucoup plus prévisible en termes de politique européenne et de relations transatlantique. Le gouvernement actuel tente d’établir une politique étrangère dirigée vers quatre régions géographiques, les pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne bien sûr, tout en maintenant d’excellentes relations avec la Russie et en développant des relations commerciales avec la Chine. Ils ont développé une politique étrangère assez opportuniste.

Je pense que l’approche de l’opposition actuelle serait pro-occidentale et plus centrée sur les valeurs. La Slovaquie a besoin d’une politique étrangère basée sur un socle de valeurs ; nous ne pouvons pas continuer à être comme paille au vent.


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