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John FitzGerald : Austérité irlandaise, un exemple à suivre pour la Grèce

Le ralentissement de l’économie mondiale, aggravé par l’éclatement de la bulle immobilière, a sonné la fin des années fastes du ‘Tigre celtique’. Cependant, l’Irlande est loin d’être le seul pays de la zone euro à connaître des difficultés. La Grèce, l’Espagne et le Portugal font eux aussi face à de larges déficits et à des dettes publiques croissantes. Touteleurope.fr a interrogé le Professeur John FitzGerald, économiste à l’Institut de recherche économique et sociale à Dublin, sur la stratégie de sortie de crise du gouvernement irlandais et les mesures à prendre pour venir en aide à la Grèce.Â

Quelle est la situation actuelle en Irlande et quelles sont les perspectives pour 2010-11 ?

Cette année, nous prévoyons un nouveau recul de l’économie, mais de moindre ampleur. La reprise en Irlande n’interviendra pas avant l’année prochaine et nous ne pourrons observer un retour à une forte croissance de l’économie qu’en 2012, voire 2013.


Par rapport à ses voisins européens, l’Irlande a pris des mesures budgétaires draconiennes, ce qui signifie que l’argent n’est pas totalement réinjecté dans l’économie. En d’autres termes, même si l’Europe devait afficher une certaine croissance cette année, l’Irlande enregistrera une baisse d’activité économique en raison de la rigueur de ces mesures.

John FitzGerald est chargé de la recherche en macroéconomie à l’institut ESRI et de la recherche sur l’énergie et l’environnement à l’Institute for Energy Policy. Il a été membre de 2002 à 2004 du « Group for Economic Analysis » de l’UE, qui a conseillé le Président de la Commision européenne sur l’économie. De 2004 à 2008, il a été président de l’EUROFRAME group of ‘European economic research institutes’.


Pensez-vous que les mesures prises par le gouvernement irlandais seront efficaces ?

Oui, elles le seront dans la lutte contre la crise. Avant les mesures du gouvernement en 2009, le déficit structurel de l’économie était d’environ 8%. Il doit se situer aujourd’hui entre 3% et 4%. Le gouvernement irlandais doit aller plus loin. L’année prochaine, un budget rigoureux devrait accompagner le gros de l’ajustement de sorte qu’à la reprise de l’économie, le pays ne sera plus en déficit, ce qui est l’objectif que nous poursuivons.



Pourquoi l’Irlande a-t-elle été si rudement touchée par la crise économique ?

Lors de l’adhésion du pays l’Union monétaire, le gouvernement irlandais n’a pas pris conscience du fait qu’il fallait changer la manière de gérer l’économie. Au lieu de cela, il a laissé une bulle immobilière se développer. L’institut ESRI a tiré la sonnette d’alarme dès 2001 et surtout à partir de 2003, mais le gouvernement irlandais n’a pas pris les choses en main. L’éclatement de la bulle immobilière a provoqué de gros bouleversements dans l’économie. En cela, la situation de l’Irlande est très similaire à celle de l’Espagne.


Par contre, le cas de l’Irlande est différent de celui du Royaume-Uni : il n’y a pas que l’explosion des prix de l’immobilier qui est en cause. C’est surtout l’implosion du secteur de la construction qui a été particulièrement néfaste. Lorsqu’il était à son pic, le secteur de l’immobilier a concentré jusqu’à 14 % de l’activité économique. Dans les pays de l’UE15, la norme serait plutôt de 5 à 5,5 % de l’activité économique. Le phénomène a porté préjudice aux entreprises exportatrices. Aujourd’hui, ce boom a pris fin et il faudra un certain temps avant que les entreprises exportatrices se relèvent.


L’Irlande se trouve-t-elle dans une situation similaire à celle de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal ?

Jusqu’à récemment, beaucoup n’ont pas prêté garde à la balance des paiements dans le cadre de l’Union monétaire. En 2003, l’Irlande est entrée dans une période de déficit de sa balance des paiements. C’était le signe que nous aurions dû resserrer notre politique budgétaire.


Nous prévoyons pour cette année une inversion de la tendance au déficit de la balance des paiements et un léger excédent en 2010 alors que la Grèce et le Portugal doivent toujours lutter contre l’important déficit chronique de leur balance des paiements.


Cela signifie que les Irlandais rembourseront leur dette et n’iront pas chercher de l’argent sur les marchés internationaux. Le gouvernement empruntera, lui, de gros montants à l’étranger tandis que ménages et entreprises épargneront et placeront leur argent dans des banques qui rembourseront ces dettes à l’étranger. Les engagements totaux du pays vont chuter cette année.
Espagnols et Portugais doivent, eux, emprunter davantage d’argent sur les marchés internationaux et ils augmentent ainsi le total de leur endettement extérieur pour financer l’activité économique courante. L’Irlande est dans une situation très différente.


C’est Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI, qui a attiré l’attention sur la question de la balance des paiements. Une des raisons pour lesquelles personne n’a rien vu venir est de n’avoir pas tenu compte de cette donnée. On ne s’est pas rendu compte que la balance des paiements avait encore une importance pour l’économie régionale dans l’UEM. À l’inverse, quand votre balance des paiements est excédentaire, vous êtes dans une bien meilleure situation et c’est le cas de l’Irlande.



Pourquoi les petits pays périphériques sont-ils si durement touchés par cette crise ?

La Suède, la Finlande, les Pays-Bas et la Belgique n’ont pas été touchés de la même manière. Certains pays se sont fourvoyés, d’autres pas. Parmi les 15 pays de l’UE d’alors, l’Irlande et l’Espagne avaient besoin d’investir dans le logement alors que ce n’était pas le cas de l’Allemagne ou de la France, pour des raisons démographiques. Toutefois, le boom rendu possible par l’Union monétaire a été mal estimé et les gouvernements en ont perdu le contrôle. À cet égard, l’Irlande et l’Espagne ont vécu une situation similaire.


La Suède et la Finlande ont tiré leur épingle du jeu parce que ces pays ont connu une situation de faillite similaire en 1990-91. Elles savaient dès lors qu’il fallait garder un boom immobilier sous contrôle et qu’il fallait superviser le secteur financier. Elles ont retenu la leçon et n’ont pas manqué de l’appliquer à l’heure de l’euro. L’Irlande et l’Espagne ont, par contre, appris la leçon à leurs dépens. La Grèce et le Portugal n’ont pas le même genre de problèmes.

L’Institut de recherche économique et sociale ESRI publie des études qui contribuent à la compréhension des évolutions économiques et sociales et qui informent les décideurs politiques et la société civile en Irlande et à travers l’Union européenne.


Que signifie l’engagement d’aider la Grèce pris au Conseil européen de vendredi dernier ?

Je crois qu’il est important aux yeux de l’Allemagne et donc de l’ensemble de la zone euro, que l’aide soit subordonnée à un effort de la part du pays concerné. L’Europe peut fournir le bouclier à l’abri duquel l’économie grecque ou portugaise procéderait à un ajustement, mais ce dernier doit être mené à bien par les pays concernés. Les pays doivent se sortir eux-mêmes de l’ornière, tel est le prix de l’aide européenne.


L’autonomie de chaque pays doit être préservée. L’Irlande en a été particulièrement consciente l’an dernier. Nous savions que personne ne pourrait nous aider. Sur le plan politique et national, la Grèce doit admettre qu’il lui faut résoudre ses problèmes elle-même. Il est important que ce ne soient ni l’Allemagne ni la France mais bien l’UE qui vienne en aide et permette à la Grèce sortir de l’ornière. Dans le cas contraire, si l’Allemagne en venait à être considérée comme le sauveur de toutes les économies de la zone euro, les taux d’intérêt de ce pays augmenteraient. Et la hausse des taux d’intérêt en Allemagne aurait un effet négatif sur l’Irlande et le reste des économies européennes.


Il appartient aux Grecs de prendre en main leur ajustement, tout comme l’Irlande a fait.


Que peut-on faire pour créer une plus grande coordination économique ou un « gouvernement économique », comme on le conçoit en France et comme il en a été question au Conseil européen ?

Un « gouvernement économique » tel que certains l’entendent en France est tout sauf souhaitable. Cela reviendrait à appliquer partout les normes françaises. Si l’on tient à ce que le Portugal ait un système social du niveau de la France, plus personne ne travaillerait. Si la France est prête à payer pour que tout le monde au Portugal vive de l’aide sociale, très bien, mais ce n’est pas tenable.


Il est d’autant plus difficile de gérer des régions périphériques au moyen de règles communes que la zone économique concernée est étendue. L’exemple du Mezzogiorno est significatif : aucun ajustement n’a eu lieu en 30 ans. Quand le gouvernement central permet au Mezzogiorno d’avoir un niveau de vie identique au reste de l’Italie sans que cette région doive créer de la richesse en retour, pourquoi réformer ?


Je pense qu’une plus grande coordination au niveau de l’UE serait appréciable mais l’application de mêmes règles et normes dans toute l’Union européenne ne fonctionnerait pas.



Jean-Claude Trichet, président de la BCE, a déclaré qu’il serait « humiliant » pour l’Europe de subir une intervention du FMI dans la zone euro. L’UE devrait-elle mettre en place un Fonds monétaire européen ?

Il serait logique que nous prenions nos responsabilités. Pour l’économie qui bénéficierait du soutien du Fonds monétaire européen, cela reviendrait au même. Si le FMI prend en charge un pays et lui demande de couper dans les dépenses, il revient au pays de décider quels secteurs en feront les frais et, quoi qu’il en soit, ces mesures sont toujours très douloureuses. L’expérience serait strictement la même pour la Grèce qu’il s’agisse du FME ou du FMI.
Du point de vue plus large de l’Europe, il serait préférable pour l’UE d’assumer la responsabilité de ses propres problèmes. En l’absence d’un tel fonds, le FMI demeure le dernier garde-fou.

En savoir plus :

The Irish Economy Today - ESRI

The Irish Economy Blog

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