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Jo Leinen : “Il faut une Europe plus forte, plus efficace et plus transparente”

Le 25 mars prochain, l’Europe fêtera ses 60 ans à l’occasion de l’anniversaire du traité de Rome. Lors de ce sommet extraordinaire, les Vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement se rencontreront pour dresser un bilan des achèvements de l’Union et dessiner les lignes directrices de son futur. Appelés à réfléchir ensemble sur leur vision de l’Union européenne, plusieurs dirigeants ont évoqué la possibilité d’une Europe à plusieurs vitesses. Pour expliquer et analyser les contours de cet évènement portant sur l’avenir de l’Europe, Toute l’Europe a rencontré Jo Leinen, député européen allemand.

Jo Leinen

A la veille du 60e anniversaire du traité de Rome, le concept d’une Europe à plusieurs vitesses ressurgit. Pour vous, est-ce une bonne initiative ?

Jo Leinen est député au Parlement européen depuis 1999. Membre des sociaux-démocrates (S&D), il fait notamment partie de la commission des affaires constitutionnelles. Avocat de profession en Allemagne, il a été porte-parole du mouvement antinucléaire et du mouvement pacifiste dans les années 1980.

C’est une excellente initiative d’ouvrir un grand débat sur l’avenir de l’Europe. Le fait que le président de la Commission européenne n’ait pas fixé une direction mais ouvert 5 scénarios montre la nécessité de discuter car aujourd’hui il n’y pas véritablement de consensus entre les Vingt-sept pays membres. Les opinions divergent notamment sur les dimensions et la vitesse que prendra l’intégration dans les années à venir. Nous allons tenir prochainement un grand débat au sein du Parlement européen. Notre position sur l’avenir de l’UE est assez claire, nous venons tout juste de voter trois rapports sur l’avenir de l’Europe et pour le dire très clairement, il faut une Europe plus forte, une Europe plus efficace et plus transparente.

Le cinquième scénario propose l’option la plus fédéraliste (“doing much more together”) qui prévoit de renforcer les compétences et les ressources de l’Union européenne. Pourquoi soutenez-vous ce scénario ?

Ce scénario analyse la situation avec toutes les pressions et tous les problèmes auxquels l’Europe se trouve confrontée. Il est clair que si nous voulons être forts dans un monde très dynamique en perpétuelle mutation, il faudra agir ensemble au sein de l’Union européenne et pas à 27 petits pays qui n’ont pas d’influence individuellement. Pour la défense de nos valeurs et de nos intérêts, il faut la voie unique de cette Union européenne.

Si l’on prend l’exemple de la crise migratoire, avec une Europe à plusieurs vitesses, pourrait-on avancer plus vite dans la résolution de cette crise ?

Même dans la crise migratoire, il y a un consensus autour duquel il faut protéger nos frontières extérieures communes. Par exemple, le mécanisme du Corps européen de garde-frontières et de garde-côtes a été mis en place après un vote à l’unanimité. Nous avons aussi décidé à l’unanimité d’avoir une approche pro-active à l’égard du voisinage de l’Europe - en Afrique et au Moyen-Orient - avec un accord, même si cela est douloureux, avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Nous essayons de trouver un accord également avec l’Egypte et d’autres pays nord-africains pour que les jeunes ne risquent pas leur vie en venant ici. Peut-être qu’ils pourront avoir une vie meilleure ou un avenir plus positif chez eux. Dans la gestion de la crise migratoire, il y a tout de même des éléments qui fonctionnent entre les Etats membres. En revanche, la relocalisation des réfugiés au nom du principe de solidarité ne marche pas entre les 27 pays membres de l’UE particulièrement dans les pays d’Europe centrale. Il faut trouver d’autres moyens de respecter ce principe de solidarité, avec du personnel pour la protection des frontières ou aussi des financements de nos actions en dehors de l’Union européenne.

Pour certains pays comme la Pologne, le concept d’une Europe à plusieurs vitesses, présente le risque de creuser l’écart avec les autres Etats membres, comment peut-on rassurer les Européens de l’Est ? N’y a-t-il pas finalement une volonté de leur faire peur pour leur demander d’être plus coopératifs ?

L’Europe à plusieurs vitesses est peut-être effectivement une expression très peu satisfaisante, car il pourrait impliquer l’idée qu’il y ait des pays membres de première, seconde et troisième classe. Il faut éviter cela à tout prix. Nous sommes une union et nous constituons un espace de liberté et de solidarité en commun. Ce sont des principes fondamentaux qui doivent être garantis aussi dans les années à venir. Il ne faut pas oublier qu’avec vingt-sept pays, tout le monde ne peut pas ou ne veut pas faire les mêmes choses en même temps. Nous avons déjà eu l’occasion de constater cette réalité - avec l’accord de Schengen qui ne concerne que ou avec l’introduction de l’euro dans dix-neuf pays- qu’il faut quelques fois un groupe pionnier qui avance. En même temps, il faut laisser les portes ouvertes pour tous les autres pays qui souhaitent participer. Nous devons communiquer très fortement et très clairement sur ce point, autrement nous allons assister à des disputes et des divergences artificielles qui ne sont pas nécessaires. Lors du débat organisé au Parlement européen [le 15 mars], Jean-Claude Juncker et Donald Tusk ont déclaré qu’il n’y avait pas de volonté de faire des discriminations, mais plutôt de réagir à cette réalité qu’avec vingt-sept pays tout le monde ne peut ou ne souhaite pas intégrer en même temps toutes les politiques européennes.

Qu’attendez-vous de cette déclaration de Rome ? N’êtes-vous pas déçu en tant que député européen de ne pas avoir été un peu plus associé à la préparation de cette déclaration ?

La déclaration de Rome veut s’adresser au grand public, aux citoyens et le Parlement européen et la chambre des citoyens au sein de l’Union européenne. C’est absolument nécessaire que notre président et le président des groupes politiques soient impliqués dans la préparation de cette déclaration de Rome et pas seulement les chefs d’Etats et du gouvernement. Nous attendons que les contenus des trois rapports parlementaires se retrouvent dans cette déclaration de Rome, car nous voulons aussi que les cinq présidents signent la déclaration de Rome comme c’était le cas il y a dix ans à Berlin, pour les cinquante ans du traité de Rome. Ce serait dommage que nous soyons forcés comme Parlement européen de ne pas signer la déclaration.

Vous demandez la réunion d’une convention ouverte pour renégocier les traités, va-t-on vers une modification des traités ? Est-ce une étape obligatoire dans la situation actuelle ?

La dernière convention pour préparer la constitution européenne s’est déroulée il y a treize ans. Depuis, le monde a changé et les problèmes ont changé. A l’époque, il n’y avait pas de crise financière ni de crise migratoire. Il n’y avait pas non plus cette nouvelle situation géopolitique avec un président russe tel que Vladimir Poutine à Moscou qui ne respecte pas la paix en Europe, et un président américain tel que Donald Trump à Washington qui plaide pour un retour au protectionnisme. Il y a beaucoup de nouveaux dossiers sur lesquels l’UE n’a ni les compétences, ni les instruments, ni les institutions pour agir. Après les élections de cette année aux Pays-Bas, en France, et en Allemagne, le moment viendra où il faudra réunir de nouveau tous les représentants des Parlements, tous les gouvernements, toutes les institutions, pour définir les prochaines étapes de l’intégration européenne. Un nouveau traité européen ou un traité européen modernisé semble inévitable.

Faudrait-il passer de nouveau par un référendum pour adopter un nouveau traité européen, par exemple en France ?

La ratification des traités européens est un problème majeur, peut-être que l’on réfléchira dans la prochaine convention à la façon dont on pourrait simplifier un peu cette procédure, aujourd’hui trop lourde. Mais de toute façon, même si une réforme des traités sera difficile, nous ne pouvons pas l’éviter. Le traité de Lisbonne ne sera pas le dernier traité qui permettra de finir de compléter l’intégration européenne.

Ce sera l’occasion d’en parler lors d’un prochain grand débat auprès des citoyens ?

C’est la leçon à apprendre des dernières conventions et du traité constitutionnel, qui se sont déroulés plus ou moins entre les élites et les experts, alors qu’il aurait fallu impliquer dès le début la société civile et le grand public à travers des conventions des niveaux local et régional au niveau national. Il faut préparer contentieusement les grands débats sur l’avenir de l’Europe avec tous les acteurs concernés. Et ensuite synthétiser toutes les idées et les intérêts afin de trouver un consensus.

Y aura-t-il au sein du Parlement européen un groupe chargé d’organiser ces débats auprès des citoyens ?

Nous aurons un task force au sein du Parlement européen qui se chargera de préparer et de synthétiser tous les débats. Nos sociétés ouvertes et libérales regroupent toutes les idées et tous les intérêts mais à la fin il faudra tout de même prendre des décisions sur la base d’un consensus, sinon d’une large majorité, pour déterminer la direction que prendra l’Europe dans les dix années à venir.


Propos recueillis par Alexandra Lesur

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