Touteleurope.eu : Comment expliquer à un citoyen français le fonctionnement du système électoral bosnien ?
Jacques Rupnik : Première chose importante, les élections vont se passer dans le calme et la tranquillité dans un pays qui, 15 ans après la guerre, essaye de pratiquer la démocratie. C’est un pays encore divisé, qui connaît des fractures internes. Cela ne menace pas la sécurité mais cela pèse sur la bonne pratique de la démocratie.
Ce sont des élections générales pour la présidence de la République qui est tournante, pour les trois parlements, ainsi que les dix cantons du côté bosniaque. Le mille-feuilles institutionnel bosnien est d’une telle complexité que l’électeur vote pour un parti mais ne sait pas exactement quelle influence aura l’institution pour laquelle il vote.
Dans le doute, on votait par le passé pour un parti de sa communauté qui allait défendre ses intérêts. A force de se protéger ainsi depuis quinze ans, nous sommes arrivés à un blocage. Il y a dans la constitution une clause pour “la sauvegarde de l’intérêt vital” des communautés. Elle peut être invoquée pour chaque loi par une des parties prenantes. Résultat, chaque année, plus de 200 lois sont bloquées. C’est la grande difficulté. Chacun est replié sur sa communauté. Il est donc très difficile pour des forces tierces de percer dans ces conditions.
Touteleurope.eu : Comment se situe la population par rapport à l’adhésion à l’Union européenne ? Est-ce un enjeu dans ce scrutin ?
Jacques Rupnik : L’adhésion à l’Union européenne est soutenue par une très grande majorité des citoyens de Bosnie-Herzégovine… mais cette question est totalement absente de la campagne. L’Europe est un objectif lointain partagé par tous les principaux partis. Cependant, ceux-ci ne font pas tout pour mettre cet objectif en oeuvre, pour conserver leurs avantages économiques. Ils se sont installés dans un système passablement corrompu où ils contrôlent les ressources de l’Etat qui a un déficit énorme.
Ce qui aujourd’hui symbolise l’Europe pour un citoyen ordinaire de Bosnie-Herzégovine, c’est la question de la libéralisation des visas pour pouvoir circuler à l’intérieur de l’Union européenne. L’obtenir serait la preuve la plus tangible pour lui qu’il est un citoyen européen. On verra ensuite pour le processus d’adhésion.
Le parcours pour obtenir la libéralisation des visas n’est pas facile. La Serbie ou le Monténégro ont pu déjà l’obtenir mais pour la Bosnie-Herzégovine, il y a encore un certains nombre d’obstacles techniques.
Touteleurope.eu : Quelles sont les forces émergentes à surveiller pour cette élection ?
Jacques Rupnik : Tout d’abord, Fahrudin Radoncic, le nouveau patron de presse [NDLR : riche homme d’affaires et propriétaire de Dnevni Avaz, le principal groupe de médias en Bosnie-Herzégovine] qui a créé son parti et qui a beaucoup de moyens financiers. Il mène une grande campagne et est considéré dans les sondages comme une force montante. L’autre grand acteur à surveiller est le Parti social-démocrate (SDP), créé en 1999 et dirigé par Zlatko Lagumdzija. Ce dernier essaie de dépasser les clivages ethniques. Une des issues éventuelles du scrutin serait une coalition entre ces deux partis.
La troisième nouveauté, c’est le parti “Nasa Stranska” (“Notre Patrie”) lancé par Danis Tanovic, le réalisateur du film oscarisé No Man’s Land. Le réalisateur utilise sa notoriété pour dire stop au nationalisme et mettre un coup d’arrêt à la corruption. Il essaye de mobiliser la société civile par le bas.
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Elections présidentielle et législatives en Bosnie-Herzégovine - Fondation Robert Schuman
Présentation de la Bosnie-Herzégovine - Touteleurope.eu