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Italie : les 10 maux de 2018

Immigration, chômage des jeunes, crise économique persistante… Les défis qui se présentent actuellement à l’Italie sont nombreux et se trouvent logiquement au cœur du débat politique alors que des élections se sont déroulées le 4 mars. Un scrutin serré, marqué par la forte poussée des partis anti-système, le retour de Silvio Berlusconi et la chute du Parti démocrate de Matteo Renzi. Et qui pourrait ne pas permettre l’émergence d’une majorité.

Silvio Berlusconi
Silvio Berlusconi - Crédits : Parti populaire européen

1. Monte Dei Paschi

Fondée à Sienne en 1472, la banque Monte Dei Paschi est la plus ancienne du monde encore en activité. Avec Unicrédit, un autre poids lourd italien, elle représente un secteur bancaire “au bord du gouffre” , pour reprendre la formule de Pierre Geoffron, professeur à Paris Dauphine. En 2017, une intervention de l’Etat a ainsi été nécessaire pour sauver certains établissements de la faillite, qui demeurent encore dans une situation précaire.

Et la crise du secteur bancaire n’est pas le seul symbole de la fragilité de l’économie italienne. Cette dernière n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise, une spécificité qu’elle ne partage qu’avec la Grèce et dans une moindre mesure le Portugal et la Finlande. La croissance est certes de retour depuis trois ans, et elle devrait s’établir à 1,5% en 2018. Mais il s’agit d’une performance moins importante que la plupart des pays de la zone euro.

En outre, l’ampleur de la dette publique - 134% du PIB au troisième trimestre 2017 - est vertigineuse. Au sein des pays de l’OCDE, seuls le Japon et la Grèce accusent des niveaux de dette supérieur. Pour Nicola Nobile, de l’institut Oxford Economics, il s’agira de “l’enjeu le plus pressant” pour le prochain gouvernement italien. D’autant plus que s’il veut pouvoir réduire ce chiffre, ce dernier n’aura que peu de marges de manœuvre en matière de baisses d’impôts et d’augmentation de la dépense publique. Soit l’opposé de ce que proposent la plupart des partis.

Niveaux de dette publique :

2. Génération perdue ?

Un autre chiffre inquiétant est celui du chômage. En décembre 2017, il s’élevait à 10,8% en Italie. Seuls la Grèce, l’Espagne et Chypre ont des niveaux supérieurs en Europe. S’agissant du chômage des jeunes, la situation est similaire : le pays arrive 26e sur 28 parmi les Etats membres, avec un taux de 34,1%.

Une situation qui est logiquement une source de ressentiment et de désillusion. Et qui incite de nombreux Italiens à quitter le pays pour trouver du travail. En 2015, d’après l’institut statistique Istat, ils ont ainsi été plus de 100 000 à choisir cette solution. La moitié d’entre eux avaient moins de 40 ans. “Nous assistons à un appauvrissement des ressources humaines de notre pays, dans la mesure où des exportons des docteurs et des ingénieurs et que nous importons des aides à domicile” , résume ainsi Antonio Schizzerotto, sociologue à l’université de Trente.

Cet échec à créer des opportunités pour la jeune génération a probablement pénalisé le Parti démocrate (centre-gauche), au pouvoir depuis 2013 et dont le résultat est en forte baisse cette année.

3. Régions

Dans l’ombre de la Catalogne, l’Italie a connu, en octobre dernier, une poussée régionaliste, avec un référendum en Vénétie et en Lombardie réclamant davantage d’indépendance financière vis-à-vis de Rome. Tout sauf un hasard, ces deux régions du nord de l’Italie sont actuellement dirigées par des membres de la Ligue du Nord, parti d’extrême droite, et dont le leitmotiv historique est l’autonomie de l’Italie du Nord.

Or si la sécession de l’Italie demeure une perspective improbable, ce référendum a néanmoins réactivé les profondes divisions territoriales du pays. L’essentiel de la création de richesse a en effet lieu dans le nord du pays, entraînant des demandes d’autonomie économique et fiscale. Tandis que le sud du pays, particulièrement le Mezzogiorno, connaît des niveaux de pauvreté et de chômage importants, suscitant parfois un sentiment de déclassement.

La gestion des particularismes régionaux, alors que la Sicile ou la Sardaigne bénéficient d’un statut spécial ou encore que le Haut-Adige fait l’objet d’une dispute avec l’Autriche, sera l’un des nombreux défis du prochain gouvernement italien.

4. Immigration

Avec l’économie et le chômage, l’immigration est évidemment le principal sujet d’actualité en Italie. Particulièrement depuis l’accord passé avec la Turquie en 2016, le pays est la principale porte d’entrée sur le territoire européen pour les migrants - même si l’Allemagne est le pays d’Europe enregistrant le plus grand nombre de demandes d’asile. Ces derniers viennent surtout d’Afrique, fuyant la pauvreté et parfois les persécutions.

Le gouvernement italien a multiplié, au cours des derniers mois, les initiatives afin d’obtenir davantage de soutien de la part de l’UE et des Etats membres. Une conférence s’est par exemple tenue à Paris en août dernier en présence des dirigeants allemand et espagnol et un accord a été trouvé avec la Libye, le Niger et le Tchad. En janvier, une autre rencontre, des pays méditerranéens, a eu lieu à Rome, réclamant plus de solidarité de la part de l’ensemble de l’Union.

Toutefois assez esseulée, l’Italie voit les tensions se multiplier au sein de la société autour de cet enjeu. Au cours de la campagne électorale, la Ligue du Nord, le Mouvement 5 étoiles de l’humoriste Beppe Grillo et Forza Italia de Silvio Berlusconi ont à cet égard rivalisé de promesses fracassantes pour réduire drastiquement l’immigration, responsable selon eux de tous les maux du pays.

5. Post-fascisme

Justement portés par les questions migratoires, les partis d’extrême droite italienne ont obtenu des scores historiquement hauts lors des élections du 4 mars. C’est particulièrement le cas de la Ligue du Nord, dirigée par Matteo Salvini et associée au Front national au niveau européen, qui dépasse pour la première fois la formation de Silvio Berlusconi, et atteint environ 18% des suffrages. Fratelli d’Italia, parti ouvertement “post-fasciste” , atteint également un résultat élevé, avec 4,35% des voix.

L’ascension de la Ligue du Nord n’aura donc pas pâti de l’attentat commis par l’un de ses membres à Macerata (Marches) le 3 février. Luca Traini, qui avait figuré sur les listes de la Ligue du Nord pour les élections municipales de 2017, a en effet ouvert le feu sur un groupe de demandeurs d’asile, en blessant six. Détenant plusieurs armes et se réclamant de l’idéologie nazie, le jeune homme cherchait à venger le meurtre d’une jeune Italienne, a priori commis par un repris de justice nigérian.

En réaction, Matteo Salvini s’était contenté de qualifier Luca Traini de “délinquant” , rejetant la faute sur le gouvernement, qui a selon lui “rempli le pays de réfugiés” .

Le fascisme est bel et bien vivant en Italie, et il grandit” , déplore ainsi Rula Jebreal, journaliste italienne d’origine palestinienne dans une tribune parue dans The Guardian. Une opinion partagée par Roberto Saviano, auteur de l’ouvrage Gomorra sur la mafia napolitaine, selon qui “la haine des étrangers est le résultat d’un cocktail mortel de mauvaise politique, d’information irresponsable et de crise économique” .

Résultats provisoires après les élections législatives du 4 mars :

6. Cavaliere

Pourtant inéligible en raison de sa condamnation pour fraude fiscale en 2013, Silvio Berlusconi est de retour au centre du jeu politique italien avec ces élections législatives 2018. Le Cavaliere, trois fois Premier ministre (1994-1995, 2001-2006, 2008-2011) et âgé de 81 ans, a conduit la campagne de sa formation politique Forza Italia (droite) et a donc réactivé son ancienne alliance avec la Ligue du Nord. S’appuyant sur son empire télévisuel et multipliant les promesses électorales, comme celle d’expulser 600 000 migrants en cas de victoire, Silvio Berlusconi s’est montré omniprésent dans la campagne.

Le Cavaliere profite en outre de l’absence de personnalité concurrente au sein de Forza Italia et entend se présenter comme le “père de la patrie” . L’ancien Premier ministre n’en a donc pas terminé avec la politique et sera incontournable dans les tractations qui s’annoncent pour la constitution d’un gouvernement. Le résultat historiquement bas de son parti (environ 14% des voix) et sa faible popularité (seulement 25% d’opinions favorables) laissent néanmoins croire à un déclin pour Silvio Berlusconi.

7. Rosatellum

Le “Rosatellum” est le nom donné à la nouvelle loi électorale en vigueur pour les législatives du 4 mars. Le mot est tiré du rédacteur de la loi, le député Ettore Rosato (Parti démocrate). Et derrière se cache un système à la fois complexe et potentiellement inefficace pour permettre l’émergence d’une majorité. 37% des sièges sont pourvus par le biais d’un scrutin majoritaire uninominal à un tour. 61% des sièges sont attribués via un scrutin proportionnel. Les 2% restants devant représenter les Italiens établis à l’étranger.

D’après les experts, il faudrait recueillir environ 40% des voix pour pouvoir obtenir une majorité au Parlement. Or, compte tenu des résultats du 4 mars, aucun parti ni alliance de partis ne paraît en mesure d’atteindre ce seuil.

En décembre 2016, alors Premier ministre, Matteo Renzi avait convoqué un référendum afin de réformer en profondeur le système politique italien avec en ligne de mire la suppression du bicamérisme paritaire, source récurrente de blocage politique. Le “non” l’avait alors emporté largement avec 59,1% des voix, conduisant M. Renzi à la démission et, indirectement, à l’élaboration du Rosatellum.

8. Combinazione

De longues et difficiles discussions partisanes s’annoncent au lendemain du vote du 4 mars prochain. Ces arrangements de couloir sont fréquents en Italie et donnent parfois lieu à des compromis singuliers.

En 2013, pour pouvoir gouverner, le Parti démocrate alors dirigé par Enrico Letta avait en effet passé un accord avec Forza Italia. Cette année, une nouvelle combinazione pourrait donc avoir lieu. A cet égard, l’alliance passée entre les partis de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini, probablement insuffisante pour gouverner, pourrait être remise en cause au profit d’un autre accord.

De la même manière, le Mouvement 5 étoiles, parti décrit comme populiste et inclassable fondé par l’humoriste Beppe Grillo, n’exclut pas de trouver un compromis avec d’autres partis, alors même qu’il a assis sa progression sur son rejet de la “vieille politique” . Le Mouvement est “un caméléon en métamorphose permanente” , résume Massimiliano Panarari, professeur à l’université LUISS de Rome.

Désormais conduit par Luigi Di Maio, 31 ans, le parti a renoncé à son idée de référendum sur l’appartenance à l’euro, joue lui aussi la carte de la fermeté en matière migratoire et plaide pour l’instauration d’un revenu universel de 780 euros par mois. Se déclarant prêt à travailler main dans la main avec des dirigeants européens comme Emmanuel Macron, M. Di Maio assure être prêt à trouver des “convergences” avec d’autres forces politiques. Le M5S est arrivé largement en tête des élections du 4 mars avec près de 32% des voix, mais sans atteindre le seuil nécessaire pour gouverner seul.

De gauche à droite : Matteo Renzi (Parti démocrate), Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles), Silvio Berlusconi (Forza Italia), Matteo Salvini (Ligue du Nord) - Crédits : PSD Romania, Facebook, Parti populaire européen, Parlement européen

9. Quirinal

En dernier recours, si la formation d’un gouvernement se révélait impossible, le sort politique de l’Italie reviendra au président de la République, Sergio Mattarella, qui siège au palais du Quirinal. Figure très respectée, le chef de l’Etat italien ne dispose pas de pouvoirs étendus comme en France, mais assure régulièrement un rôle crucial pour la stabilité du pays. Ce fut notamment le cas en 2011 lorsqu’au plus fort de la crise économique, le président Giorgio Napolitano a nommé l’économiste Mario Monti pour prendre la direction d’un gouvernement technique sans autre légitimité démocratique que celle offerte par sa nomination.

Un nouveau gouvernement de transition est d’ores et déjà envisagé en cas de blocage politique persistant. Nommé par Sergio Matterella, celui-ci disposerait alors de six mois pour élaborer une nouvelle… loi électorale avant l’organisation d’un nouveau scrutin.

10. Bruxelles

Dans ce contexte politique, économique et social pour le moins incertain, les Européens observent avec une certaine inquiétude la situation italienne. A cet égard, à l’exception d’Emmanuel Macron qui s’est personnellement prononcé en faveur d’une victoire du Parti démocrate, rares sont les dirigeants à s’être exprimés à l’approche du vote.

Si son retour en grâce n’a logiquement pas suscité l’enthousiasme, Silvio Berlusconi a néanmoins été reçu officiellement par Jean-Claude Juncker le 22 janvier dernier. Les deux hommes appartiennent au même groupe européen, le Parti populaire européen, et pour la droite c’est bien le Mouvement 5 étoiles qu’il convient d’éviter. Sur le plan économique toutefois, les généreuses promesses électorales du Cavaliere ont de quoi inquiéter Bruxelles. La baisse drastique des impôts et l’accroissement des retraites auraient en effet des conséquences importantes sur les finances publiques italiennes, très fragilisées par le niveau de dette publique.

Bonus - Squadra Azzura

Le football, miroir de la délicate période que traverse l’Italie ? En effet, pour la première fois depuis 1958, la Squadra Azzura, l’équipe nationale italienne, a échoué à se qualifier pour la Coupe du monde, qui se tiendra en juin et juillet prochains en Russie. Un véritable drame national pour un pays dont la seconde religion est le ballon rond et qui a déjà remporté le trophée à quatre reprises.

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