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Hongrie : La fracture sociale en marche

Durement touchée par la crise économique et par la crise des dettes souveraines, la Hongrie, pays de tout juste 10 millions d’habitants, se trouve aujourd’hui dans une position difficile, et ses répercussions sur la société sont importantes. La crise frappe en effet durement une population sortie du communisme il y a tout juste 20 ans et dont la situation économique n’a pas encore eu le temps de se solidifier.

Après la chute de l’URSS et une période récessive dite “de transition” , la Hongrie lance un plan de réforme en 1995 et rejoint l’Union européenne en 2004 en tête de file, avec la Pologne et la République tchèque. Une économie fortement tournée vers l’export à l’Ouest se développe parallèlement à une augmentation de la dette, ce qui fait dire à certains que la Hongrie “vit à crédit” . La transformation capitaliste est mal maîtrisée et le modèle économique du pays faisant la part belle aux exportations souffre des turbulences rencontrées dans la zone euro. Budapest est rapidement obligé de demander l’aide du FMI et de l’Union européenne dès 2008 mais également en 2011 pour faire face à sa crise de la dette et à une crise économique qui s’installe.

Viktor Orbán, nouveau chef du gouvernement élu en avril 2010, engage alors une série de réformes pour redresser la situation dont le parti socialiste, au pouvoir depuis 8 ans, est présenté comme responsable. Des promesses sont faites, parmi elles la création d’un million d’emploi, mais son premier bilan reste mitigé.

Le climat social est pour beaucoup devenu délétère : tandis qu’une partie de la population cherche des responsables, les catégories sociales les plus précaires sont également celles qui souffrent le plus de l’instabilité économique du pays. Si la situation économique s’est en effet fortement dégradée ces dernières années, le malaise hongrois est cependant un peu plus ancien et n’est qu’accentué par la direction nationaliste que prend que le gouvernement conservateur de Viktor Orbán.

La pauvreté qui gagne du terrain et fragilise une démocratie encore jeune

La crise financière de 2008 a provoqué un coup d’arrêt à l’essor économique de certaines régions, qui se sont retrouvées complètement sinistrées par la crise de l’industrie et la fermeture des mines de charbon, comme c’est le cas dans l’est du pays. La récession, très sévère, surgit en Hongrie dès 2009 et le forint commence déjà à se déprécier. Le gouvernement de l’époque n’a pas d’autre choix que de demander l’aide du FMI et de l’UE, avec en contrepartie des réformes peu populaires. Plusieurs partenaires économiques de la Hongrie entrent en récession, entraînant la baisse des exportations, qui mettent à leur tour de nombreuses entreprises hongroises en difficultés.

Dès 2008, le pays dont le modèle était déjà fragilisé est particulièrement affecté. Si l’on revient un peu en arrière, la forte croissance inaugurée avec la réforme de 1995 censée entériner la transition économique avait eu pour effet une baisse drastique du chômage (autour de 5% en 1998). Pourtant, les choses se dégradent petit à petit au cours de la décennie suivante : les écarts de niveau de vie ne se réduisent pas aussi vite que prévu et ce ralentissement peut être responsable d’une accélération des difficultés suite à la crise de 2007.

Le chômage augmente rapidement pour s’établir aux alentours de 11%, et met au défi les promesses de Mr. Orbán, qui assurait pouvoir créer 1 million d’emplois. Ceux qui perdent leur emploi sont condamnés à faire face à la précarité, qui s’accentue avec les réformes du gouvernement rendant plus difficile l’accès aux aides sociales. A cela s’ajoute la chute du forint, la monnaie nationale, qui entraîne une augmentation fulgurante du coût des emprunts souscrits en Hongrie. En effet, la plupart des ménages et entreprises ont emprunté en devises étrangères (souvent en franc suisse) et se retrouvent à devoir rembourser des sommes dont le montant a presque doublé, alors même que les salaires baissent. Ce fléau qui ronge les revenus des entreprises et des ménages hongrois représente un vrai problème national, puisque 300 000 familles seraient concernées selon le ministre des Finances et quelques 17 000 menacées d’expulsion. Les conditions de vie se détériorent rapidement : en 2012 on estime ainsi que 12% de la population hongroise vivrait sous le seuil de pauvreté, et 30% avec un revenu inférieur au minimum vital.

Le gouvernement développe alors un discours opposant ceux qui travaillent à ceux qui vivent des aides sociales et ne participeraient donc pas à l’effort collectif. Le résultat se traduit par une série de réformes dont le but est de mettre fin à “l’assistanat” et qui creuse un peu plus les inégalités sociales. Un impôt sur le revenu unique à 16% est institué et pèse sur les bas revenus, les subventions aux associations de lutte contre la pauvreté sont réduites et surtout les aides sociales sont conditionnées à un travail d’intérêt collectif. Ce travail, dans un pays où il est de plus en plus difficile de trouver un emploi stable sans diplôme, se résume souvent à de petits travaux pour la commune, comme le défrichage de terres. Les campagnes hongroises sont alors particulièrement touchées ainsi que les populations vulnérables et marginalisés comme les sans domicile fixe ou les Roms qui sont les premières victimes du programme mené par le Fidesz, le parti de Viktor Orbán.

Dans les villes, un diplôme n’est plus la garantie d’un emploi stable et beaucoup de jeunes diplômés quittent le pays pour tenter leur chance en Europe de l’Ouest (près de 19% selon une étude de l’Académie hongroise). En effet l’éducation supérieure est un secteur qui souffre particulièrement des coupes budgétaires entamées en 2012. Les places en universités bénéficiant de subventions sont réduites et les frais de scolarité augmentés. Le gouvernement est obligé de lancer un slogan publicitaire sur les chaînes publiques pour vanter les avantages de la Hongrie et va même jusqu’à lancer un contrat obligeant les étudiants bénéficiant de certaines aides d’Etat à rester travailler en Hongrie un certain nombre d’années après l’obtention de leur diplôme. Ces mesures ne réussissent bien sûr pas à convaincre une population étudiante qui continue les manifestations pour montrer son mécontentement. La dernière en date remonte à Janvier 2013.

Les conditions de vie des Hongrois, et particulièrement celles des plus pauvres, ont été sérieusement affectées par la crise. Cette précarisation a souvent pour suite logique un profond malaise social. Depuis l’élection de 2010, la Hongrie est effectivement le témoin d’une radicalisation du discours politique, portée par le gouvernement de Viktor Orbán mais aussi par l’irruption sur la scène politique de partis extrémistes comme le Jobbik. Il ne s’agit pourtant pas uniquement d’une conséquence de la crise économique que traverse le pays mais plutôt du reflet d’une crise de confiance exprimée par la population envers les dirigeants hongrois depuis plusieurs années. En 2006 déjà, les Hongrois exprimaient leur colère dans une violente manifestation contre le gouvernement socialiste alors en place. La corruption de la classe politique révélée par de nombreux scandales en 2006 a pour longtemps zappé la confiance des Hongrois tout en créant un terreau favorable à l’émergence de mouvements extrémistes.

Des fractures sociales de plus en plus visibles

Les difficultés sociales et politiques ont fracturé la société hongroise, une fracture attisée par les rhétoriques nationalistes qui se multiplient. Face aux déboires économiques, il faut trouver des boucs émissaires. Les “banquiers étrangers” , accusés d’avoir tiré parti des hongrois, sont pointés du doigt aux côtés de Bruxelles et du FMI. Mais aux classiques attaques lancées contre l’Union européenne et la domination occidentale en général s’ajoutent des mises en cause plus ciblées envers les catégories les plus vulnérables, à l’image des Roms, qui sont régulièrement pointés du doigt en temps de crise.

Ces derniers représentent en effet une minorité importante en Hongrie : souvent marginalisés, en situation de précarité et vivant grâce aux aides sociales faute d’emploi stable, ils sont stigmatisés et font les frais des dérives xénophobes des partis d’extrême-droite. Pour bénéficier des aides de l’Etat, que ce soit les allocations chômages ou familiales, il leur faut désormais fournir un travail d’intérêt général, dans un climat social de plus en plus tendu. Ce programme pour l’emploi dirigé vers la communauté rom vise, selon le gouvernement, à faciliter leur intégration dans la société hongroise. Souvent victimes de discriminations, les Roms sont ce que l’on pourrait désigner comme des laissés-pour-compte dans la Hongrie moderne. Faute de qualifications, ils vivent souvent dans une grande misère et sans aucune perspective d’avenir. Ce ne sont cependant pas les seuls à être mis en cause. Fin 2010, un projet de loi instituant des peines pour les sans-abris, qui représenteraient entre 30 000 et 35 000 personnes en Hongrie, a été proposé. Bien que retoqué par le Conseil Constitutionnel, ce projet illustre les stigmatisations croissantes dont les populations en grande difficulté sont les victimes.

Pourtant, la révolution promise par Viktor Orbán ne fait pas l’unanimité, et une partie de la population se lève contre la direction prise par le gouvernement. La popularité du Premier ministre est en baisse alors que le pays s’enfonce dans la récession. La société est divisée et des manifestations s’organisent, comme ce fut le cas en janvier 2012 pour protester contre la nouvelle Constitution. Plus récemment, les étudiants ont affiché leur mécontentement face à la réforme réduisant le montant des bourses et augmentant les frais de scolarités à l’Université. Le 11 février dernier, c’est une mobilisation contre la pauvreté et la nouvelle loi sur le travail d’intérêt général qui est organisée. Il semble bien qu’il y ait aujourd’hui deux visions de la Hongrie et de son avenir dans la société hongroise.

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