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Hervé Guyomard : “Il faut maintenant concrétiser les engagements du G20 agricole”

Les ministres de l’agriculture du G20 sont parvenus le 23 juin à un accord, qualifié “d’historique” par le président de la conférence Bruno Le Maire, un point de vue que ne partagent pas de nombreuses ONG. La déclaration finale reprend ainsi les priorités mises en avant par la présidence française pour améliorer la sécurité alimentaire. Pour Hervé Guyomard, chercheur à l’INRA, le verre est à moitié plein, à moitié vide.

Touteleurope.eu : L’accord conclu par les pays du G20 réunis à Paris depuis jeudi est-il à la hauteur des objectifs fixés par la présidence française ?

Herve Guyomard : Le premier succès de la présidence française du G20 est d’inscrire l’agriculture comme une des priorités à traiter.

Les 20 ministres de l’Agriculture des principales économies de la planète ont adopté jeudi 23 juin un “Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture” , qu’ils remettront aux chefs d’Etats et de gouvernements du G20 en novembre.

Ce plan reprend les cinq “piliers” définis par la présidence française : réinvestir dans l’agriculture mondiale pour “produire plus et mieux” , accroître la transparence des marchés, améliorer la coordination internationale pour prévenir et gérer les crises et réguler les marchés de dérivés de matières premières agricoles.

Seront mis en place un “Forum de réaction rapide” destiné à “agir rapidement afin de prévenir ou d’atténuer les crises mondiales des prix alimentaires” ainsi qu’un système d’informations sur les marchés (AMIS) pour rendre les stocks agricoles plus transparents.


La conférence des ministres de l’agriculture qui vient de s’achever est parvenue à un accord, et c’est là un premier point positif. Le fait que les différentes priorités de la présidence française dans le cadre d’un paquet global aient été reprises est un second point positif : travailler sur le long terme et l’investissement en agriculture, sur la transparence des marchés, sur la coordination pour faire face aux crises…

Maintenant, il faut voir comment ces engagements seront repris dans les déclarations finales à la fin de l’année, et comment ils seront traduits en actes concrets. En particulier, la question délicate de la régulation des marchés financiers des matières premières agricoles est désormais dans les mains des ministres des Finances du G20 ; sur ce dossier, tout dépendra in fine de ce qui sera décidé par ces derniers et plus tard par les chefs d’Etats et de gouvernements. A ce stade, rien n’a été décidé et on peut le regretter.

L’investissement en agriculture est l’un des moteurs les plus importants à actionner, pour non seulement augmenter la production agricole qui devra satisfaire des besoins alimentaires et non alimentaires à la hausse, mais aussi limiter la cause structurelle de la volatilité des prix agricoles. Sur ce point aussi, il s’agira de passer des bonnes intentions aux actes.

Enfin, on peut aussi regretter que la question des usages non alimentaires des produits agricoles n’ait pas été sur la table des ministres de l’agriculture du G20.

Touteleurope.eu : Pouvait-on s’attendre à un tel accord, au vu des lignes de fracture entre pays ?

H.G : On peut partiellement qualifier l’accord de succès partiel dans la mesure où les positions des pays étaient, et sont toujours, au moins pour partie, divergentes. Ainsi, la Chine n’est pas très enthousiaste à l’idée d’informer de façon transparente sur l’état de ses stocks, information qu’elle considère comme stratégique ; de même, les positions des pays en matière de régulation des marchés financiers des matières premières agricoles sont sensiblement différentes.

Dans ces conditions, parvenir à un accord est une avancée. Le verre à moitié vide a trait au fait qu’il ne s’agit que d’un premier pas sans engagements précis et réellement contraignants à ce stade. On a déjà mentionné le fait que la question de la régulation des marchés financiers des matières premières agricoles est reportée à plus tard et à un autre cercle. L’idée d’un système d’information sur les marchés (AMIS) est une bonne idée, mais concrètement, comment va-t-il fonctionner ?

Il existe déjà des systèmes d’information sur les données agricoles (productions, consommations, et même stocks) : comment ceux-ci vont-ils s’insérer dans cet AMIS ? Comment le système pourra-t-il être mobilisé comme mécanisme d’alerte à l’avance des situations de crises ? Autant de questions qui nécessitent d’être précisées et instruites pour que cet AMIS soit à la hauteur du défi.

La plateforme d’ONG Coordination Sud a critiqué le manque d’ambition des engagements : “loin de prendre les décisions majeures qui s’imposent, les ministres ont repoussé à d’autres échéances la plupart de leurs décisions à l’exception de celles favorisant les intérêts des entreprises agroindustrielles et des acteurs financiers.” De son côté, la FNSEA a qualifié l’accord de “très positif” .

Touteleurope.eu : Quelles sont les prochaines étapes ?

H.G : C’est le G20 des ministres des Finances, qui se réunira en octobre prochain, qui se penchera sur l’épineuse question de la régulation des marchés
financiers, y compris les marchés financiers des matières premières agricoles.

On peut anticiper des débats difficiles tant les positions sont divergentes, peut-être encore plus que sur le dossier agricole. Les chefs d’Etats et de gouvernement, se retrouveront ensuite à Cannes pour le G20 final en novembre. Comment ce dernier va-t-il intégrer la question agricole ? Difficile de se prononcer à ce stade. Une remarque cependant : quand bien même il ne s’agirait que de déclarations d’intentions, le seul fait d’y inscrire la question agricole est en soi un point positif. Ces intentions sont souvent suivies d’actions internationales, même si elles sont, souvent également, insuffisamment ambitieuses.

Le “nerf de la guerre” , ce sont en effet les instruments et les ressources budgétaires mobilisées pour passer des intentions aux actes. Investir dans la recherche agronomique pour augmenter la production agricole dans le respect de l’environnement et des ressources naturelles nécessite des ressources budgétaires à la hauteur du challenge.

Touteleurope.eu : L’une des priorités de la présidence française est la lutte contre la spéculation, qu’elle considère comme une cause principale de la volatilité des prix agricoles. Pourtant, ce lien de cause à effet ne suscite pas de consensus, en particulier dans la communauté scientifique…

H.G : Il y a effectivement des divergences assez fortes sur ce point. Notons que la spéculation n’est pas simple, d’abord à définir, ensuite à quantifier. Une plus grande transparence sur les marchés financiers, et sur les marchés physiques, est une impérieuse nécessité.

En dépit des divergences, la communauté scientifique, dans sa majorité sur le fait que la spéculation a joué un rôle dans l’augmentation des prix agricoles en 2007 - 2008, ainsi qu’en 2010 - 2011, en amplifiant le mouvement à la hausse des prix et en l’accélérant. Les mêmes scientifiques s’accordent pour dire néanmoins que ce n’est pas la cause première des augmentations.

En pratique, il n’est pas possible aujourd’hui, pour partie parce que les données ne sont pas disponibles, de mesurer la contribution spécifique de la spéculation aux mouvements de prix. Et ce qui est vrai pour ce déterminant est également vrai pour les autres facteurs explicatifs. En d’autres termes, on connait les déterminants qui jouent sur les évolutions des cours ; on ne sait pas quantifier la responsabilité de tel ou tel déterminant.

Dès lors, la décision du ministre français de l’agriculture de travailler sur un plan d’action global comprenant à la fois les marchés physiques, les marchés financiers et l’investissement de long terme, est justifiée.

Agir sur les seuls facteurs conjoncturels (la spéculation, les restrictions unilatérales à l’exportation, les politiques d’encouragement à l’importation…) sans jouer simultanément sur les fondamentaux (faire en sorte qu’il y ait une meilleure adéquation entre l’offre et la demande), n’est pas efficace.

Touteleurope.eu : Certains pays ont-ils un intérêt à la volatilité des prix ?

H.G : Certains pays disons de tradition libérale considèrent toujours que la spéculation n’est en rien une cause de la volatilité. Ils considèrent également qu’intervenir serait inefficace, voire même conduirait à accroître la volatilité et ce parce que les autorités publiques ne peuvent qu’être mal informées, moins bien informées que les marchés.

Comme d’autres pays sont dans un état d’esprit opposé au sens où ils considèrent qu’intervenir est une nécessité, on comprend aisément que parvenir à un accord concret sur la régulation des marchés agricoles, physiques et financiers, est plus que difficile.

Un rappel à ce stade. Les prix agricoles mondiaux ont toujours fluctué. Ce qui est nouveau, du moins vu par un Européen, c’est que la variabilité a aujourd’hui gagné l’Union européenne qui pendant longtemps a été protégée, du moins pour de nombreux produits et en particulier les céréales.

Du fait de la mondialisation des économies et des échanges, du fait aussi des réformes successives de la Politique agricole commune, du fait enfin des règles de l’OMC, l’Europe n’est plus aujourd’hui à l’abri de ce qui se passe sur les marchés mondiaux. L’Europe redécouvre la volatilité des prix agricoles. On notera toutefois que certains secteurs, celui de la production porcine par exemple, ne l’avaient jamais oublié.

D’autre part, certains pays font davantage confiance aux instruments de gestion ex post des effets de la volatilité, concrètement aux marchés de l’assurance. Il s’agit la aussi d’une divergence qui fait qu’il est très difficile de trouver un accord parce que les instruments à privilégier varient selon les acteurs.

Enfin, considérant que l’augmentation de la production agricole est indispensable pour faire face à la croissance de la demande mondiale, alimentaire et non alimentaire, de grands pays exportateurs de matières premières agricoles disposant de coûts de production plutôt faibles et de terres abondantes souhaitent qu’il y ait le moins d’entraves possibles aux échanges et à la montée prévisible, en tendance, des prix agricoles. C’est le cas, en particulier, de l’Argentine et du Brésil.

Touteleurope.eu : Quelles sont les conséquences du G20 sur l’évolution de la Politique agricole commune en Europe ?

H.G : Si l’on résume très rapidement les positions, tous les Etats européens sont d’accord sur la prise en compte de l’environnement (ils différent néanmoins en termes de moyens à mobiliser à cette fin), une majorité d’Etats sont d’accord pour prendre en compte des objectifs de développement rural et il y a de fortes divergences sur les politiques de soutien des revenus agricoles.

Certains veulent “verdir” ces politiques de soutien et ainsi les justifier sur des bases environnementales, d’autres les maintenir en arguant que c’est une des conditions de la compétitivité de l’agriculture européenne, et de la survie de bon nombre d’exploitations.

Les divergences sont encore plus fortes pour ce qui est de la lutte contre l’instabilité des cours et des revenus. Faut-il mettre en œuvre une véritable politique de stabilisation dans le cadre de la PAC ?

La Commission est très prudente sur la question compte tenu des divergences entre Etats membres. La France y serait plutôt favorable, tout en craignant que les ressources budgétaires qui serraient utilisées à des fins de stabilisation ne soient excessivement ponctionnées sur les aides directes de soutien des revenus avec un possible effet négatif en termes de retour budgétaire.

On peut craindre que la PAC de l’après-2013 ne soit guère ambitieuse sur le volet de la stabilisation des revenus, hélas.

Si le G20 parvient à un accord en ce domaine, ce sera une question en moins à “régler” au niveau de la PAC. Ceci explique sans doute qu’il y ait une plus grande unanimité des Etats membres européens à porter la question au niveau international plutôt qu’au niveau européen.

La Commission européenne a fait une première communication sur la PAC de l’après-2013 à l’automne 2010. Les propositions plus détaillées étaient attendues pour ce printemps, elles ont été repoussées à l’automne.

On peut craindre un télescopage avec le G20 et de ce fait, une prudence de la Commission en matière de stabilisation, dans l’attente des décisions finales du G20.


En savoir plus :

Institut national de la recherche agronomique

Luc Guyau : “L’Europe a un rôle essentiel à jouer pour l’équilibre alimentaire mondial” - Touteleurope.eu

Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture - Ministère de l’Agriculture

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