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Henri Nallet : “Pour une agriculture écologiquement productive”

Dans son dernier ouvrage, L’Europe gardera-t-elle ses paysans ?, l’ancien ministre socialiste de l’Agriculture lance des pistes sur ce que pourrait être l’agriculture durable de demain, à la fois productive et soucieuse de l’environnement. Dans un entretien avec Toute l’Europe, il revient sur la nécessaire régulation de l’agriculture en Europe et dans le monde, et sur l’avenir de la PAC.

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Touteleurope.eu : Dans votre dernier ouvrage, vous rappelez que la PAC a subi une progressive libéralisation depuis les années 1980 sous l’impulsion des Etats-Unis et de l’OMC : quels ont été ses effets ? Qu’espérez-vous du G20 en matière de régulation des marchés agricoles ?

Ancien ministre de l’Agriculture et de la Justice, Henri Nallet est vice-président de la Fondation Jean Jaurès et vice-président de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS). Dans son dernier ouvrage, L’Europe gardera-t-elle ses paysans ?, il lance des pistes sur ce que pourrait être l’agriculture durable de demain.

Henri Nallet : La libéralisation de l’agriculture, à laquelle nous nous sommes livrés les uns et les autres depuis les années 1980, a eu des résultats mitigés.

D’un côté, celle-ci a des résultats positifs en termes de concurrence, de baisse des prix, de mise à disposition de produits de qualité tout au long de l’année pour le consommateur. C’est indiscutable.

De l’autre, elle a entraîné la disparition des cultures les moins productives, en particulier dans les pays où la production agricole vivrière était indispensable pour faire vivre des familles paysannes et maintenir un certain équilibre. Elle a également laissé les marchés s’autoréguler en principe, mais nous voyons bien que lorsqu’il y a une tension sur les quantités physiques entre l’offre et la demande, ou un effet de spéculation, l’instabilité des prix devient considérable. La situation actuelle est, à cet égard, tout à fait menaçante.

Aujourd’hui, tout le monde s’interroge sur ce qu’il faudrait faire. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne reviendra pas en arrière. En particulier sur les aides découplées, qui en principe ne doivent pas avoir d’influence sur les marchés. On a pris un engagement très fort en 1994 sur cette question, et de toute façon je ne suis pas sûr que revenir dessus soit une bonne idée.

Par contre, interrogeons-nous sur les mesures qui devraient être prises pour limiter l’instabilité des marchés agricoles, et permettre d’autre part à des activités agricoles moins productives mais socialement indispensables de se maintenir.

Plusieurs voies doivent être explorées : la première, c’est l’existence de stocks de matières premières, qui permettraient que lorsqu’une tension physique se présente sur le marché, on puisse y mettre la quantité nécessaire pour limiter les coûts. Je pense qu’il faudrait aussi s’interroger sur la spéculation.

Je suis un partisan des marchés à terme, qui permettent aux producteurs, transformateurs et coopératives, de faire des calculs à terme, de s’arbitrer et de faire de bonnes opérations. Mais je suis beaucoup plus réservé quant à la présence sur ces marchés d’institutions purement spéculatives. Je trouve discutable qu’un fond de pension américain vienne acheter des milliers de tonnes de céréales sur le marché de Chicago [ndlr : les produits agricoles se négocient à la bourse de Chicago]. Ne pourrait-on pas réserver ces marchés à des personnes, des institutions, des organismes, des entreprises, qui ont une relation avec les quantités physiques ?

Enfin, les grandes organisations internationales doivent se doter d’un instrument de connaissance, de surveillance, de vérification, et peut être de coordination du Programme alimentaire mondial, du travail de la FAO, pour que nous ayons non pas un pilotage, mais que les responsables politiques puissent anticiper leurs décisions de manière coordonnée, comme on a su le faire dans le domaine financier par exemple.

Si le G20 parvient au moins à poser ces questions (même si je ne crois pas qu’il puisse les résoudre), nous aurons fait un très grand pas.


Touteleurope.eu : Vous êtes particulièrement critique envers les écologistes, dont le discours en matière agricole serait finalement fondé lui aussi sur des préceptes néolibéraux et la fameuse “économie du bien-être” . Toutefois vous prônez une agriculture productive et soucieuse de l’environnement…


H.N. : Oui, j’ai eu des paroles sévères à l’égard de certains écologistes et certains économistes du bien-être, qui ont été influents pendant la période de dérégulation. Je crois que cette période touche à sa fin, avec la crise actuelle. On s’aperçoit que le type de gestion qui nous était proposé, voire imposé, c’est-à-dire la régulation par le marché, ne suffit pas. Ce n’est pas une question d’idéologie, ce sont les faits. On voit que les puissances publiques doivent se préoccuper de ces marchés.

Je défens l’idée d’un retour à une agriculture plus respectueuse, plus organisée à partir des écosystèmes, et qui fasse appel à des agronomes beaucoup plus qu’à des économistes, qui bien souvent n’ont qu’un critère : l’abaissement des coûts. Aujourd’hui, les agronomes sont beaucoup plus entendus, et nous expliquent qu’il est possible d’avoir une agriculture à la fois productive (il faut nourrir 7 milliards d’habitants) et plus écologique, “écologiquement productive” . Des grands groupes coopératifs ont déjà pris ce chemin.

Je souhaite que la politique agricole commune mise en place en 2013 encourage cet effort, même s’il faut que nous discutions avec l’OMC sur le type d’aides que nous mettrons à disposition des agriculteurs.



Touteleurope.eu : En octobre, la Commission européenne a dévoilé ses premières propositions sur l’avenir de la PAC : êtes-vous rassuré par les grandes lignes de la réforme qui y sont tracées ?

H.N. : Le document qu’a soumis le Commissaire Ciolos est une assez bonne base de départ. Ce texte nous change, heureusement, du discours néolibéral tenu précédemment, avec sa composante écologique quasiment sectaire !

La première partie, qui expose les motifs, insiste sur des thèmes que je partage. “L’agriculture est d’abord faite pour produire des aliments” , cette simple affirmation est déjà un retour à des conceptions plus humaines et plus classiques, ainsi que la nécessité d’aides publiques et le verdissement de la PAC. Je retrouve dans le texte de Ciolos une formation d’agronome, il a été ministre de l’Agriculture et ça se voit. Je trouve cette proposition encourageante, et je souhaite que le commissaire puisse continuer dans cette voie.

Là où le texte est beaucoup moins satisfaisant c’est en ce qui concerne la régulation. Manifestement, les responsables européens sont un peu courts sur le sujet. La réponse facile consiste à dire que cette régulation ne peut être que mondiale. C’est vrai, mais cela n’empêche pas l’Europe de faire des propositions.


Touteleurope.eu : S’il y a un domaine dans lequel les conflits partisans s’effacent au profit d’une vision nationale en France, c’est bien l’agriculture. Vous assumez que la position exprimée dans votre livre défend avant tout les intérêts de la France : qu’en est-il de l’intérêt général européen ?


H.N. : Oui, je crois que l’agriculture, l’agro-industrie, la transformation des produits agricoles, puis demain ce que l’on appelle la chimie verte, représentent pour la France un intérêt majeur. Parce que c’est très important, c’est beaucoup d’emplois et de richesse, et c’est un savoir-faire dans lequel nous sommes plutôt compétents. Et il ne faut pas le perdre au profit de la concurrence.
Cet intérêt national mérite, dans l’enceinte communautaire, d’être défendu. Mais il n’est pas contraire à l’intérêt européen. Très souvent, la défense de l’agriculture de taille moyenne, intelligemment intensifiée, c’est l’intérêt européen : les Allemands, les Italiens se retrouvent sur cette position.

Mais lorsque cet intérêt national se heurte à l’intérêt européen, il faut malgré tout le défendre ! L’Europe, pour reprendre les mots de Jacques Delors, c’est “une fédération d’Etats nations” . A d’autres moments enfin, il faut que cet intérêt national puisse aboutir à un compromis avec d’autres pour faire valoir l’intérêt supérieur.

Concernant le budget européen, je crois que tout le monde va rester ferme, pour une raison simple : les finances nationales de la majorité des pays sont exsangues. Tout le monde va donc vouloir limiter les budgets communautaires, d’autant plus que l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont déjà pris une position très claire sur ce point. Je note enfin que la France est devenue contributrice nette au budget communautaire, et aura peut-être tendance à rejoindre le camp de ceux qui se montreront plutôt rigoureux.

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Henri Nallet : “L’Europe gardera-t-elle ses paysans ?” - Fondation Jean Jaurès

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