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Hasan Cemal : le reporter du génocide arménien

Hasan Cemal est un journaliste à l’ancienne, prêt à aller au front et régulièrement dans la ligne de mire du pouvoir politique. En Turquie, ce profil n’est pas vraiment du goût du gouvernement et du président Recep Tayyip Erdogan. D’autant moins qu’Hasan Cemal est engagé en faveur de la reconnaissance du génocide arménien, un dossier encore extrêmement sensible. En 2012, il a publié un best-seller sur le sujet : une manière de s’écarter définitivement de son lourd héritage familial. Son grand-père, Djemal Pacha, fut l’un des trois grands ordonnateurs du massacre, en 1915 et 1916.

Hasan Cemal

‘Petit-fils de’ et militant de la réconciliation

Pour Hasan Cemal, reconnaître le génocide arménien commis par les Turcs, son peuple, en 1915 et 1916, fut un long cheminement. Pendant longtemps, il n’a pas prononcé ni écrit ce mot, largement tabou en Turquie - en atteste encore la réaction outrée du gouvernement turc à la suite de la reconnaissance du génocide par le Pape François le 12 avril. “Le mot ‘génocide’, je l’ai écrit plusieurs fois” , se rappelle Hasan Cemal dans un documentaire diffusé sur France 5 et par la RTBF en 2015. ” Puis je l’ai barré. Je l’ai réécrit et je l’ai barré à nouveau. Alors je me suis interrogé : pourquoi moi, Hasan Cemal, ai-je un problème avec ce mot ‘génocide’ ? Je me disais : mais pourquoi fuis-tu ce mot ? Si c’est ainsi que tu penses, écris-le ! Car ce qu’ont vécu les Arméniens ottomans en 1915 et 1916 a été planifié et appliqué de manière systématique. C’est un génocide” .

Il est probable que son histoire familiale ne l’a pas aidé à franchir le pas plus rapidement. Son grand-père n’est en effet autre que Djemal Pacha, qui fut l’un des trois dirigeants Jeunes-Turcs qui a dirigé le pays au début du XXe siècle, durant la Première Guerre mondiale. Avec Enver Pacha et Talaat Pacha, Djemal Pacha prend le contrôle du pays à la suite des guerres balkaniques perdues par l’Empire ottoman en 1912 et 1913. Deux ans plus tard, durant la Guerre, les Jeunes-Turcs s’emploient à brider l’émancipation des minorités. Commence le génocide au cours duquel plus d’un million d’Arméniens ottomans ont péri, assassinés ou victimes de leur déportation.

Carte comparative : la reconnaissance du génocide arménien en Europe

Quels sont les pays européens reconnaissant le génocide arménien ? Consultez notre carte comparative

Ce n’est qu’en 2012 qu’Hasan Cemal a définitivement rompu avec cet héritage. Il publie 1915 : génocide arménien, un livre qui deviendra rapidement un best-seller - signe d’une Turquie qui change - et qui invite l’Etat turc à reconnaître sa responsabilité. Six ans plus tôt, il s’était rendu à Erevan, la capitale arménienne, pour se recueillir au Mémorial de Tsitsernakaberd, bâti en 1968 pour commémorer le génocide. Il accompagne alors son ami et confrère Hrant Dink, Turc d’origine arménienne, ardant défenseur de la réconciliation entre les deux peuples et assassiné l’année suivante dans des circonstances troubles.

Personnellement, j’ai beaucoup appris de cet infatigable militant du rapprochement turco-arménien, tant de son vivant qu’après sa mort” , écrira Hasan Cemal en 2008, dans un éditorial publié dans le quotidien Milliyet, traduit par Courrier international. “J’ai ainsi compris que l’on ne pouvait échapper à l’Histoire. Dans le silence du matin, j’ai donc réfléchi à la futilité qu’il y a à vouloir encore nier le passé, de même qu’aux risques qu’il y a à se retrouver prisonnier de ses propres souffrances” , poursuit-il. Avant de citer Hrant Dink. “Quelle part d’humanité allons-nous donc bien pouvoir sauver en chacun de nous si nous nous prêtons à des acrobaties sémantiques pour savoir s’il s’agit d’un génocide ou d’une déportation, à plus forte raison si nous sommes incapables ensuite de les condamner de la même façon tous les deux ?” .

Faire son travail en Turquie

De Milliyet, Hasan Cemal est parti en 2013. Il y travaillait depuis 1998. La faute à un article sur une rencontre entre le gouvernement turc, alors dirigé par Recep Tayyip Erdogan depuis devenu président, et le PKK, l’organisation kurde considérée comme terroriste par la Turquie, l’Union européenne ou encore les Etats-Unis. Vivement critiqué par M. Erdogan, Hasan Cemal répliqua qu’il ne faisait que son travail, mais fut empêché de publier d’autres articles sur ce sujet, son journal ne souhaitant pas le suivre dans cette nouvelle croisade. Non content de soutenir la reconnaissance du génocide arménien, le journaliste osait en plus couvrir la question kurde et se rendre dans les montagnes de Qandil, situées au croisement des frontières turque, irakienne et iranienne, pour interviewer les rebelles.



Génocide arménien : l’éclairage de Guillaume Perrier, journaliste spécialiste de la Turquie

Au fond, peu importe : Hasan Cemal en a vu d’autres. Rasé de près, cheveux correctement peignés, lunettes arrondies, chemises oxford et veste en velours côtelé, Hasan Cemal est l’archétype du reporter à l’ancienne, toujours par monts et par vaux. Il a même des faux airs de Jean-Marie Colombani, l’ancien patron du Monde. Mais être journaliste engagé et indépendant en Turquie n’a pas les mêmes implications qu’en France. Celui qui a aujourd’hui 71 ans, et dont la conscience journalistique et l’intégrité viennent d’être récompensées par l’université de Harvard, avait déjà dû abandonner son poste de rédacteur en chef en 1992, lorsqu’il écrivait pour le pourtant engagé et courageux Cumhuriyet - le seul journal d’un pays musulman à avoir publié des dessins de Charlie Hebdo à la suite des attentats de janvier dernier.

Aujourd’hui, Hasan Cemal écrit pour le site d’information turc T24. Il y a quelques années encore, son engagement lui aurait certainement valu la censure, la prison, voire une tentative d’agression ou d’assassinat. L’association Reporters sans frontières, qui a inscrit Hasan Cemal parmi ses “100 héros de l’information” , avait tout de même alerté l’opinion, en 2012, sur la campagne de diffamation dont il a été victime, au même titre que d’autres journalistes turcs, pour sa couverture des dossiers arménien et kurde. Le quotidien islamiste et nationaliste Yeni Akit l’avait accusé de “glorifier” le groupe terroriste du PKK et d’en être un “enthousiaste propagandiste” . Largement insuffisant pour museler Hasan Cemal, que personne n’est encore parvenu à empêcher de “faire son travail” .

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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