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Hans Stark : “ce qu’on demande aux Grecs sur le plan économique n’est pas tenable”

Le 13 juillet, après d’ultimes négociations-marathon, un accord était trouvé avec la Grèce. 7 milliards d’euros pour permettre au pays de faire face à ses échéances immédiates et un nouveau plan d’aide d’environ 85 milliards d’euros devant encore faire l’objet de négociations. Mais alors que la sortie de la Grèce de la zone euro a été évitée, du moins à court terme, nombreux sont les observateurs et économistes à dénoncer la teneur de l’accord. Certains interlocuteurs du gouvernement d’Alexis Tsipras, au premier rang desquels l’Allemagne, sont accusés d’avoir voulu humilier et mettre sous tutelle la Grèce.

Hans Stark, professeur de civilisation allemande contemporaine à la Sorbonne et secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) livre à Toute l’Europe son sentiment sur le rôle joué par l’Allemagne dans les négociations passées et à venir, relatives à la crise grecque.

Wolfgang Schäuble

Touteleurope.eu : Que pensez-vous de l’accord trouvé le 13 juillet, qui évite le Grexit mais semble étrangler encore davantage les Grecs ?

Hans Stark : Nous sommes devant un dilemme. D’un côté nous avons le risque économique, financier et géopolitique d’un Grexit. Il a été écarté et de ce point de vue-là, il faut se réjouir de cet accord. Tout comme on peut se réjouir d’avoir évité le divorce franco-allemand et d’être parvenus à une position commune : Angela Merkel ayant fait des concessions vis-à-vis de son opinion publique intérieure et François Hollande aussi.

De l’autre côté, et c’est ce que mettent aujourd’hui en avant des personnalités comme Michel Rocard ou Dominique Strauss-Kahn, on met le gouvernement Tsipras sous tutelle et ce qu’on demande aux Grecs sur le plan économique n’est pas tenable. On risque d’aller dans le mur. On ne va pas parvenir à remettre la croissance économique grecque sur les rails et on ne s’attaque pas au rééchelonnement de la dette.

Faut-il blâmer l’Allemagne pour son positionnement très dur vis-à-vis de la Grèce ?

C’est l’opinion de nombreux experts. Mais il ne faut pas oublier que l’Allemagne est le principal bailleur de fonds de la Grèce depuis le début de la crise en 2008. Et Athènes non plus n’a pas nécessairement fait suffisamment avec les sommes énormes qui lui ont été transférées pour réformer le pays. Tout ceci explique donc une attitude presque de colère en Allemagne, tant au sein de l’opinion que de la classe politique, jusque dans les rangs du SPD. La patience s’amenuise.

Pour que la Grèce puisse honorer ses remboursements à venir, un accord devra être trouvé avant le 20 août concernant le nouveau plan d’aide d’environ 85 milliards d’euros. L’Allemagne risque-t-elle de bloquer les négociations ?

Difficile de répondre à cette question ! Wolfgang Schäuble [ministre allemand des Finances, ndlr] a encore répété au Bundestag que la sortie temporaire de la Grèce de la zone euro est la seule solution valable. Il est donc possible que cette idée soit remise sur le tapis au cours des semaines à venir.

Wolfgang Schäuble a même déclaré qu’il n’excluait pas de démissionner du gouvernement…

Wolfgang Schäuble ne doit plus rien à personne. Il sert le pays loyalement depuis plus de 30 ans, dans des fonctions de très hautes responsabilités. Déjà sous Helmut Kohl dans les années 80, il fut le grand artisan du traité sur la réunification de 1990. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être abattu par un fou et d’être aujourd’hui prisonnier d’une chaise roulante. Il ne doit rien à personne et peut décider de son propre sort comme bon lui semble. Même Mme Merkel a, vis-à-vis de Wolfgang Schäuble, une marge de manœuvre extrêmement étroite, pour ne pas dire inexistante. Tout autre ministre qui oserait avoir ouvertement des positions différentes de celles de la Chancelière serait contraint à la démission. Pas Wolfgang Schäuble. A plus forte raison alors que les sondages montrent qu’il est l’homme politique le plus populaire d’Allemagne et que les députés chrétiens-démocrates l’adorent. De sa part, il faut donc s’attendre à tout.

Hans Stark

Hans Stark est professeur de civilisation allemande contemporaine à la Sorbonne depuis 2012 et secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa). Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Repenser la géométrie franco-allemande : des triangles au service de l’intégration européenne, publié en juillet 2015 sous sa direction avec Claire Demesmay.

M. Schäuble est partisan de la constitution d’un noyau dur européen à l’avant-garde : la zone euro. Si certains pays ne sont pas en mesure de suivre le train et de mettre leurs économies en conformité avec le degré d’intégration économique et monétaire requis pour le fonctionnement optimal de la zone euro, alors il vaut mieux les faire sortir.

Cela veut-il dire qu’une restructuration de la dette grecque est pour le moment impossible ?

Rien n’est impossible ! Les Allemands nous ont habitués à formuler des positions très dures pour ensuite faire des concessions. Ils finissent par lâcher du lest pour obtenir un accord qui ne leur déplait pas tant que cela.

Cela étant dit, la Grèce bénéficie déjà d’un taux de service de la dette inférieur à celui d’un pays comme l’Italie. Ce devrait être le contraire compte tenu du taux d’endettement du pays. C’est déjà un ballon d’oxygène. Deuxièmement, si Mme Merkel ne parle pas de restructuration ou d’annulation, envisage depuis quelques jours un ‘rééchelonnement’ de la dette. On rentre donc dans la logique d’un traitement de la dette permettant à la Grèce de faire face à sa situation. Les choses ne sont pas si figées.

En soutenant Angela Merkel et en ne s’opposant pas à un Grexit, le SPD rompt-il avec le reste du centre-gauche européen à des fins électorales ?

Je ne suis pas sûr que l’ensemble du centre-gauche européen soit unanimement indulgent vis-à-vis de la Grèce. La coupure est nette, me semble-t-il entre le Nord et le Sud. Le SPD allemand n’est pas si isolé que cela. Après, il est vrai que ce dernier est tiraillé entre son devoir européen - d’un point de vue intellectuel, il a envie d’aider les Grecs - et l’opinion publique allemande qui ne veut pas d’autres concessions en faveur de ce pays. Le SPD doit naturellement tenir compte de son propre électorat, qui est proche par exemple du journal Bild, extrêmement lu et virulent à l’égard de la Grèce.

Face à l’Allemagne, la France a essayé de faire valoir ses différences, mais semble impuissante pour réellement s’opposer à Berlin…

Je n’aime pas trop ce mot ‘impuissance’. Plus on dit qu’on est impuissant, plus on est réellement impuissant. La France est dans une mauvaise situation pour négocier car elle-même n’a pas réussi à respecter le seuil des 3% de déficit et elle a encore négocié avec la Commission il y a six mois pour échapper à une mise en demeure. Et à cela s’ajoute que le pays est très endetté, frôlant les 100% du PIB. La position française est par conséquent moins crédible. Les faiblesses de la France ne viennent pas de la force allemande, mais bien de ses problèmes structurels.

D’un autre côté, la France conserve un poids politique très lourd. On ne peut pas s’opposer à la France et d’ailleurs Mme Merkel ne le veut pas. C’est quelque chose de structurel : la France est avec l’Allemagne le principal pays en Europe.

Le couple franco-allemand reste donc selon vous la clé d’une négociation aboutie avec la Grèce ?

Bien sûr ! Il fallait aussi montrer aux Grecs qu’il fallait tourner une page et qu’on ne pouvait pas continuer de cette façon. Ils ont déjà obtenu quelque 400 milliards d’euros. Ils ont bénéficié, en 2011, d’une annulation d’une partie de leur dette privée. On ne peut donc pas dire qu’on n’a rien fait pour un pays de 10 millions d’habitants. Il faut certes entendre le peuple grec, qui souffre, mais aussi le peuple européen dans son ensemble qui peut aussi dire stop. Et de ce point de vue-là, le couple franco-allemand est très utile. Les Allemands disent qu’il faut vraiment que ça change en Grèce, et vite. Quitte à passer par une période de ‘sang, de sueur et de larmes’, pour citer Churchill. Et les Français tempèrent en disant qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et que les risques sont trop importants.

Le 19 juillet, dans le Journal du dimanche, le président Hollande a réactivé l’idée d’un approfondissement de l’intégration européenne, avec pourquoi pas un gouvernement de économique la zone euro. L’Allemagne est-elle susceptible de soutenir la France sur cette question ?

Je pense que l’Allemagne le fera dès lors que cette idée deviendra quelque chose de plus concret, car il ne s’agit pour l’instant que d’un effet d’annonce. Même si cette initiative reste une très bonne chose. Car dans l’éventualité d’un nouveau référendum sur un traité européen, les Français voteraient ‘non’ à 60%. Le président de la République se bat avec des sondages qui ne sont pas en sa faveur et prend position pour une politique européenne sur laquelle il sait qu’il n’a pas une majorité de Français derrière lui, je trouve cela courageux.

Mais cette démarche doit maintenant devenir plus concrète. La formule ‘gouvernement économique’ reste très floue. Que signifie-t-elle en termes de transfert de souveraineté ? Il faut préciser, ne serait-ce que sur le plan intellectuel, de quoi il s’agit. Et une fois qu’on a sur la table un projet concret, précis et convaincant, les Allemands devront prendre position et on verra bien si les masques tombent !

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