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Frédéric Encel : “Entre l’Europe et Israël, les relations sont excellentes”

Alors que l’enquête israélienne vient de mettre en évidence des erreurs de commandement dans l’affaire de la “flottille de la liberté”, qui avait entraîné la mort de 9 humanitaires turcs au large de Gaza, Touteleurope.fr a interrogé le professeur Frédéric Encel sur les relations entre Union européenne et Israël, en passant par la Turquie en “divorce” avec l’Etat hébreu. Des relations qui, pour le géopolitologue, n’ont jamais été aussi bonnes.

Touteleurope.fr : Les relations entre l’UE et Israël ont-elles évolué depuis l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahu ?

Docteur en géopolitique, Maître de conférences à Sciences-Po Paris et à l’ESG, Frederic Encel est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur Israël, le Moyen-Orient et la Turquie : “L’Union européenne face à Israël” , (Commentaire n°130, été 2010, pp.303-308), “La marche à la puissance turque trouvera ses limites” (Le Monde, 10 juin 2010) ou encore “Coup de tabac sur les relations israélo-turques” (Politique internationale n°126, hiver 2009-2010, pp. 188-200).

Frederic Encel : Les liens entre l’Union européenne et Israël sont extrêmement serrés sur les plans politique et économique.

C’est notamment vrai depuis l’accord de libre-échange de 1995 consenti par l’UE à Israël, d’autant plus qu’Israël a vu son statut rehaussé fin 2008, juste avant l’intervention militaire à Gaza.

On peut aujourd’hui considérer que, en multilatéral avec l’Europe des 27 comme en bilatéral avec des chancelleries extrêmement favorables à Israël (la majorité de l’Europe orientale, la France, l’Italie, l’Allemagne…), les relations sont excellentes. Sur les plans économique, commercial, politique et stratégique, elles sont même sans précédent.

L’affaire de Gaza de 2008-2009 et, plus récemment, celle de la flottille en passant par celle des passeports européens qu’aurait utilisé le Mossad à Dubaï, a pu créer des bisbilles. A plusieurs reprises, des attachés d’ambassades se sont fait sévèrement tancer par les capitales européennes. Or non seulement ce n’est pas allé au-delà, mais aucun des pays européens n’a formulé la moindre abstention sur l’entrée d’Israël dans l’OCDE.

Si les obstructions du gouvernement israélien sur le processus de paix israélo-palestinien se multipliaient, alors peut-être ces relations seraient remises en cause. Mais ce n’est pour le moment pas le cas, en dépit d’opinions publiques qui semblent moins favorables à Israël qu’autrefois.

TLE : Pourtant, l’Europe exige la levée du blocus de Gaza : des députés puis des ministres européens se sont rendus sur place, suivis par la haute-représentante Catherine Ashton les 17 et 18 juillet… Quel est l’impact de ces visites ?

F.E. : Tout d’abord, ces visites diplomatiques à Gaza, en Cisjordanie ou même en Israël ne sont pas nouvelles.

Ensuite, il n’y a pas eu la moindre menace de sanction politique ou économique de la part de la Commission européenne. Le Parlement européen a voté ces dernières années un certain nombre de résolutions demandant à Israël de faire des efforts, mais il n’a pas force de loi.

Signé en 1975, un accord d’association renforcé en décembre 2008 constitue la base juridique de la coopération politique et économique entre l’UE et Israël. Il est complété en 2005 par un plan d’action.

Je pense que le seul moyen de pression de l’Europe est économique et commercial, mais elle est extrêmement loin de l’utiliser. La dernière fois que des menaces de pression sur Israël ont été émises (concernant en particulier la suspension de l’accord de coopération), c’était en 2000-2001 lors du déclenchement de la 2e Intifada. Avancées par la France, ces menaces ont été immédiatement bloquées par l’Allemagne et l’Italie.

Je pense malheureusement qu’une délégation de députés à Gaza ne fait pas la politique de l’Europe, et que sur les éléments les plus importants, les relations sont au beau fixe. C’est d’ailleurs une difficulté supplémentaire pour l’Autorité palestinienne, contrainte une fois de plus de s’en remettre à l’arbitrage des Etats-Unis. Bien que ces arbitrages paraissent plus équilibrés en faveur des Palestiniens depuis un an et demi, on voit bien que les relations entre Netanyahu et Obama ne sont pas si mauvaises que ça…

TLE : L’Union européenne dépense d’importantes sommes pour la reconstruction des Territoires palestiniens. L’année dernière des personnalités telles que le commissaire au Développement Louis Michel avaient dénoncé leur destruction par Israël…

F.E. : A juste titre, les Européens avaient été extrêmement fâchés du fait que, tant au Liban que dans la bande de Gaza, les infrastructures qu’elle avait contribué à mettre sur pied et à payer ont été détruites.

“C’est l’Europe bancaire, pas l’Europe gendarme”

Ces reproches étaient assez légitimes, mais n’ont à nouveau pas été suivis des faits. Les Européens ont continué de plus belle à financer des programmes de développement, dans l’éducation, la santé ou la voirie …

Nous en sommes là aujourd’hui de l’Europe qui, un peu à la manière du Japon dans les années 1980-90, finance beaucoup sans se donner les moyens d’être un acteur majeur. C’est l’Europe bancaire, pas l’Europe gendarme !

Et le problème ne concerne pas que le Proche-Orient, loin s’en faut. L’Europe souhaite-t-elle jouer un rôle de puissance ? Si la réponse est non, nous allons continuer à payer sans avoir davantage qu’un simple strapontin à chaque processus de paix (lorsqu’il y en a).

Si la réponse est oui, il faut se doter d’instruments diplomatiques plus puissants que ceux dont on dispose aujourd’hui… et plus si affinités : une puissance militaire qui pourrait démontrer la détermination des Européens à devenir ou redevenir une puissance. On n’en est pas là non plus. A quelques rares exceptions près (Balkans et région des grands lacs), l’Europe n’est pas présente.

TLE : En ce sens, que peut changer la mise en place du Service européen pour l’action extérieure ?

En savoir plus sur le Service européen pour l’Action extérieure avec les débats de Touteleurope.fr

F.E. : L’idée de ce SEAE est bonne, il y a une cohérence à avoir créé cet instrument, mais je pense qu’il a été quasiment vidé de sa substance dès sa création.

D’une part je pense qu’on n’a pas désigné les bonnes personnes, d’autre part cet instrument n’est pas doté de prérogatives suffisantes par rapport à celles que possèdent les Etats, et notamment les grands Etats souverains sinon souverainistes tels la France et la Grande-Bretagne.

TLE : Peut-on constater un refroidissement des relations entre la Turquie et Israël suite à l’affaire de la flottille de la paix ? L’Europe redoute-t-elle cet éloignement ?

L’intervention, le 31 mai 2010, d’un commando israélien sur une flottille humanitaire à destination de Gaza (“Flottille de la liberté”), causant la mort de 9 ressortissants turcs, a été qualifiée par la Turquie de “Terrorisme d’Etat” .

F.E. : Oui, la Turquie est réellement en train de divorcer d’Israël. Une raison interne est de type électoral et sociétal : la société turque est de plus en plus favorable à un fort retour à la tradition, voire à un islamisme radical, sur lequel joue l’AKP au pouvoir.

Il y a aussi des raisons externes, liées à la volonté d’apparaître comme une puissance “passerelle” entre un monde occidental “chrétien” (au sens large du terme) et le monde musulman du Moyen-Orient, du Caucase et de l’Asie centrale. Selon cette stratégie, Israël doit être pacifié et la Turquie veut y contribuer. On voit également un affaiblissement de l’armée turque, à l’époque très favorable à l’accord militaire signé en février 1987.

Ce refroidissement s’est illustré de manière un peu spectaculaire avec l’affaire de la flottille, mais il a commencé dès 2004-2005 avec le Premier ministre Erdogan.

Pour répondre à la deuxième question, je considère que les Européens seraient bien hypocrites de s’inquiéter de l’éloignement de la Turquie, eux qui n’en ont pas voulu : en 2009, pour la première fois depuis la demande officielle d’adhésion en 1996, les chefs de l’exécutif des deux principales puissance européennes, France et Allemagne, ont dit “Non” à la Turquie à deux reprises. Et les Turcs le voient bien : l’Europe est de moins en moins favorable à son adhésion.

Depuis 1991, la région du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d’Arméniens, déclare son indépendance de l’Azerbaïdjan. Ce dernier entre en conflit avec l’Arménie. Alliée de cette dernière, la Turquie prend part aux négociations de paix toujours en cours, perturbées en juin par des accrochages militaires.

Cependant, cet éloignement de l’Occident atteindra très vite ses limites, parce que la montée en puissance de la Turquie est elle-même limitée. D’abord dans le Caucase avec l’affaire du Karabakh, d’autre part au Moyen-Orient où la Turquie est perçue comme une intruse par les puissances arabes, enfin la Turquie fait toujours partie de l’OTAN, dirigé de facto par les Etats-Unis. Obama l’a rappelé récemment de manière très ferme à Erdogan.

Que la Turquie cherche à trouver une position plus équilibrée, quitte d’ailleurs à sacrifier son amitié avec Israël, pourquoi pas. Mais il y a un moment où la politique turque vis-à-vis d’Etats considérés comme hostiles par l’OTAN (Syrie, Iran…) attendra ses limites. Ou alors la Turquie sort de l’OTAN, mais ce n’est alors plus une puissance militaire.

Il y aura donc un moment où la rhétorique dépassera de beaucoup la réalité d’une réorientation géopolitique de la Turquie.

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