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Francesco Saraceno : “Il est dangereux de réduire trop vite les déficits en zone euro”

Au lendemain du Conseil européen extraordinaire consacré au déficit de la zone euro, à l’occasion duquel les Etats se sont engagés à soutenir financièrement la Grèce, Touteleurope.fr a rencontré Francesco Saraceno, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po (OFCE). Celui-ci juge que le fonctionnement européen n’est pas adapté à la sortie de crise, et que les mesures d’austérité telles que mises en oeuvre par la Grèce sont dangereuses si elles sont trop poussées.Â

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Touteleurope.fr : les décisions prises lors Conseil européen du 11 février vous semblent-elles appropriées ?

Francesco Saraceno : Le Conseil s’est soldé sur ce qui aurait du être dit il y a au moins un mois, à savoir qu’aucun membre de la zone euro ne sera abandonné face à la spéculation financière. Pour le moment, il ne s’agit pas de propositions concrètes mais d’un engagement. Cela reste très important, mais je crains que ce ne soit pas suffisant. L’Europe a fait preuve, depuis trois semaines, d’une grande faiblesse sur ce dossier, et réagi trop peu et trop tard.

Touteleurope.fr : Comment la Grèce en est-elle arrivée à cette situation ?

F.S. : Les gouvernements qui se sont succédés en Grèce ont mal fait leur travail. Leur système de collecte d’impôts est très inefficace et une grande part de leur économie est clandestine. La falsification des comptes publics l’année dernière a été trop légèrement réprimandée par la Commission. Bien que difficultés ne soient pas propres à la Grèce, la situation du pays est tout de même peu courante. Et encore une fois, on ne découvre pas le problème aujourd’hui, cela fait des années que ça dure.

Touteleurope.fr : Le déficit public de la Grèce est-il préoccupant pour l’ensemble de la zone euro ?

F.S. : Non, en principe. La Grèce est un petit pays, qui représente 3% du PIB de la zone euro, sa dette un peu plus de 3%, et le stock cumulé de la dette publique grecque représente moins de deux années de déficit français. Donc sauver la Grèce (si on en arrivait là) ne coûterait pas très cher.

Mais la situation est préoccupante pour d’autres raisons. La première est que la spéculation s’attaque au maillon faible de la zone dans l’espoir de déstabiliser d’autres pays au fur et à mesure. Donc aujourd’hui c’est la Grèce, demain peut-être le Portugal, puis l’Espagne, l’Irlande… si on en arrive à l’Italie, là on parle de 20% de la dette européenne, ce serait beaucoup plus grave.

Donc si on ne parvient pas à stopper ce processus et à décourager le marché de spéculer contre l’euro, je ne sais pas où on va finir. La deuxième raison est le manque de réaction des autorités européennes pendant trois semaines, jusqu’à hier.

Touteleurope.fr : De quels moyens dispose l’Union européenne pour agir sur les économies de la zone euro ?

F.S. : Les traités empêchent explicitement de secourir les pays en difficulté, c’est ce qu’on appelle la “No bail-out clause” (clause de non renflouement), mais prévoient aussi des exceptions. Tout le débat est de savoir si le cas actuel de la Grèce fait figure d’exception permettant son sauvetage par les autres Etats de la zone euro.

Ce débat est juridique, mais le passé nous apprend que chaque fois qu’il y a une volonté politique pour agir, les traités s’avèrent suffisamment souples. Une autre question est de savoir si l’on doit modifier les traités pour les rendre plus explicites sur ce type d’action… mais comme vous le savez, les traités sont assez difficiles à modifier !

Mais si l’Europe veut renflouer le déficit public de la Grèce, elle trouvera une façon de le faire. Ce ne sont pas les limites légales qui m’inquiètent, mais les limites politiques.

On peut alors imaginer différents moyens : que les caisses de dépôt des différents pays achètent des titres de la dette grecque, de manière plus ou moins coordonnée qui n’irait pas contre les traités ; que l’on débloque plus rapidement les fonds structurels attribués à la Grèce et qu’on les utilise pour combler le déficit ; qu’on ait recours à des programmes de la banque européenne d’investissement (BEI), qui dans le cadre de son mandat n’est pas autorisée à renflouer directement la dette, mais peut proposer des investissements extraordinaires qui libèreraient des ressources pour le gouvernement…

Tout cela doit en tout cas se faire dans un cadre transparent. Si ce n’est pas possible, cela suggère à nouveau que l’on réforme les traités, en repensant la façon dont la solidarité européenne peut se manifester.

Touteleurope.fr : Un gouvernement économique européen permettrait-il d’éviter une telle situation ?

F.S. : Oui, j’en suis convaincu. Avant la crise grecque, la crise des subprimes puis les difficultés financières de 2009 ont montré que l’Europe était très faible institutionnellement. Il y a eu un processus d’intégration très important, qu’à mon avis on peut qualifier de succès, mais ce processus est à la moitié du chemin.

Aujourd’hui, une partie des pouvoirs économiques et monétaires des pays de la zone euro a été transférée à l’Union : soit totalement déléguée comme la politique monétaire, soit mise sous tutelle comme la politique budgétaire qui est soumise à des contraintes extérieures (avec par exemple le pacte de stabilité et de croissance). Donc un pays européen a beaucoup moins de marge de manœuvre qu’un autre à ce niveau là. Mais en même temps, le fait de ne ressembler que de loin à un Etat fédéral limite la capacité de réaction aux chocs économiques.

L’intégration non achevée de l’UE est donc paradoxale : nous ne sommes plus des petits pays qui sont peu présents sur la scène internationale mais ont une plus grande marge de manœuvre pour faire face à leurs problèmes économiques, mais nous ne sommes pas non plus un grand pays qui peut agir sur l’échiquier mondial avec un poids économique et une crédibilité.

Il y a donc un choix à faire : ou bien on retourne à une zone de libre-échange dans laquelle chaque pays garde la plupart de ses pouvoirs souverains, ce que je ne souhaite pas mais qui serait toujours mieux que la situation actuelle, ou bien on pousse plus loin l’intégration et l’on crée ce gouvernement qui nous manque aujourd’hui, ce qui me semble pourtant peu probable.

Concernant la Grèce, on aurait du réagir dès le 15 décembre pour dire aux spéculateurs “Touche pas à mon pote” ! Mais c’est le contraire qui s’est produit : les Etats membres et la Commission ont pointé la Grèce du doit en accusant le gouvernement, le signe donné aux marchés était donc clair et ils ont continué à attaquer le pays de plus belle. Les autres pays auraient du établir un “cordon de solidarité” autour de la Grèce.

Si un Etat américain connaissait la même situation de départ, le résultat aurait été très différent : des mécanismes institutionnels auraient empêché les finances publiques de déraper de cette façon, les difficultés de la crise auraient été mieux partagées entre les Etats via un transfert de ressources… aujourd’hui la situation économique des Etats-Unis est plus inquiétante qu’en Europe (12% de déficit contre 6% en Europe, dette publique autour de 88% contre 78%), et pourtant personne ne parle de l’éclatement de la zone dollar !

Autre exemple : en automne 2008-2009. Tous les pays du monde ont mis en place des programmes de soutien de l’économie via des leviers budgétaires, mais l’Europe l’a fait de manière non coordonnée et insuffisante, chaque pays attendant les réponses des autres et jouant le “passager clandestin” .

Touteleurope.fr : Quelle forme de gouvernement économique européen peut-on mettre en place ?

F.S. : A défaut d’un gouvernement fédéraliste, on peut imaginer une série de mesures et d’outils de coordination des politiques économiques, qui soit moins basé que le pacte de stabilité et de croissance sur l’interdiction et la contrainte, mais plus sur la coopération. Une chose qui serait relativement facile à mettre en place mais qui exige une volonté politique forte serait la création d’un fonds de solidarité, financé par exemple par une taxe européenne.

Les propos récents des responsables européens laissent espérer que cette crise sera peut-être une opportunité. La France semble favorable à un gouvernement économique et les Allemands n’y semblent pas aussi opposés qu’auparavant. Mais vous savez comment cela fonctionne : pendant la crise tout le monde est volontariste, mais dès que les choses vont mieux, on oublie ce qu’on a dit !

Touteleurope.fr : La multiplication des mesures de rigueur, tel le plan d’austérité mis en place par la Grèce, est une bonne solution ?

F.S. : Cette question n’est pas facile. Je pense que la question du “timing” est ici cruciale.

Le soutien nécessaire à l’économie européenne est très coûteux. La crise va nous coûter très cher très longtemps. C’est d’ailleurs pour cette raison que le débat actuel sur les salaires des grands patrons ne relève pas du populisme comme on le dit trop souvent, mais de justice sociale. Le contribuable est en train de payer pour les dérapages du secteur financier, ce qui est inacceptable.

Il y a donc un problème de sortie de crise : comment revient-on à un état normal. Et je trouve tout à fait positif qu’on en parle : comment va-t-on réduire les déficits et la dette, comment va-t-on revenir à une politique monétaire plus conventionnelle, etc. Ce que je crains par ailleurs est que ces mesures d’austérité soient mises en œuvre trop tôt et de manière trop poussée. On a aujourd’hui quelques signes de reprise de la croissance, mais le chômage n’a pas baissé, au contraire, et il est probable qu’une série de secteurs vont, avec la fin des aides d’Etat, se trouver en difficulté.

Or vouloir réduire trop vite les déficits me semble dangereux, même pour un pays comme la Grèce. Heureusement que l’on souhaite revenir à des chiffres plus raisonnables, mais vouloir réduire le déficit grec de 13% à 3% (avec l’accord de la Commission européenne) me fait frissonner ! Ce chiffre ne sera peut-être pas atteint, mais si on souhaite l’atteindre on doit imposer deux années d’austérité qui vont assommer l’économie grecque : ce n’est pas comme cela qu’un pays sort de la crise, ni même qu’il ne résout son problème de finances publiques. Un pays qui n’a pas de croissance ne peut pas avoir de finances publiques solides.

On doit revenir à la normale parce que nous ne serions plus capables de supporter une nouvelle crise, dans 5 ou 10 ans, mais ne soyons pas trop pressés. Sinon nous risquons de replonger dans la crise avant d’en sortir vraiment, ce qui serait le pire scénario possible.

En savoir plus

Francesco Saraceno - OFCE

Débat en direct avec Francesco Saraceno - LeMonde.fr

Le Conseil européen au secours de la Grèce - Touteleurope.fr

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