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Florence Autret : “La Commission a une position ambivalente à l’égard des lobbies”

Le Livre vert sur l’initiative européenne en matière de transparence, rendu public par la Commission européenne le 3 mai 2006, vise à engager avec l’ensemble des parties concernées un débat sur les moyens d’améliorer la transparence au sein de l’UE. Florence Autret, journaliste indépendante et chercheur associé au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Université de Cergy-Pontoise), auteur d’une tribune critique sur le Livre vert, répond aux questions de Touteleurope.fr.

Pour vous, la Commission européenne “temporise” la réforme des relations entre institutions européenne et lobbies. Pouvez-vous nous indiquer quelles vous en paraissent être les raisons ?

La Commission a une position ambivalente à l’égard des lobbies. D’un côté elle est tentée de les réglementer pour répondre aux reproches qui lui sont faits en particulier par des hommes politiques nationaux ou par des ONGs au sujet de ses liens étroits avec l’ “industrie” , au sens anglais, c’est-à-dire le monde des affaires, le monde de la production marchande. D’un autre côté, la Commission a éminemment besoin des lobbies, au point de les solliciter, voire de les susciter. Les solliciter, c’est ce qu’elle fait en lançant ses grandes consultations dans le cadre de livres verts. On voit bien que l’objectif est de trouver un surcroît de légitimité. Les susciter, c’est financer de très nombreuses ONG, en plus des partenaires sociaux officiels.

Si l’on voit les choses de manière plus dynamique, disons qu’en même temps qu’elle s’appuie sur les lobbies les plus organisés, puissants et précoces dans la défense de leurs intérêts, elle encourage l’élargissement des intérêts représentés. Ce qui lui permet de parler de “société civile” européenne dans la mesure où les groupes d’intérêt qui constituent cette société civile sont très nombreux et variés.

Maintenant, pourquoi temporiser ? Parce que si la Commission tente de réglementer le lobbying, il va falloir qu’elle définisse clairement ce qu’elle entend par là. Selon toute vraisemblance, elle ne pourra pas se contenter d’encadrer le travail des consultants en lobbying ou bien de l’industrie. Il va falloir embrasser toute cette “société civile” . Mais quelles règles peut-on appliquer aussi bien aux Eglises, aux mouvements féministes, aux chimistes, aux banques, aux représentations de pays non européens, etc.? En fait elle risque de se mettre tout le monde à dos en mettant tous ces gens dans le même panier. Et en même temps elle manque d’arguments pour réserver aux uns un traitement différent des autres. D’où la solution retenue par Siim Kallas de proposer un enregistrement volontaire des lobbyistes. C’est une manière de ne pas répondre à la question : qu’est-ce qu’un lobby ? Qu’est ce qui n’en est pas ?

Pouvez-vous comparer les règles proposées par la Commission européenne aux pratiques en vigueur aux Etats-Unis ?

Visiblement, le commissaire a songé un moment s’inspirer des règles américaines qui sont très contraignantes en termes de transparence, un concept très en vogue à la Commission. Mais une réglementation n’a de sens que dans un contexte donné. Elle n’a pas de valeur en soi. Or le contexte américain est très différent pour une raison principale : la place qu’y occupe l’argent des lobbies dans le financement de la vie politique. C’est le fait majeur qui justifie les obligations légales auxquelles sont soumis les lobbies américains. Or le système politique européen fonctionne différemment puisque le financement des campagnes électorales se fait au niveau national et qu’il est essentiellement public. Comment, dans ces conditions, justifier une “Lobbying disclosure act” européen ?

J’ajoute que la transparence imposée par la législation américaine n’est visiblement pas suffisante pour assurer la moralité de l’activité des lobbyistes comme le montrent les récentes affaires qui ont entâché leur profession à Washington.

Vous écrivez que les consultations de la société civile sert de “vernis démocratique” à la Commission européenne. Selon vous, que manque-t-il à cette société civile et aux procédés de consultation pour qu’ils jouent enfin un vrai rôle dans les décisions européennes, et que prenne corps une vraie “gouvernance” démocratique à l’européenne ?

Il ne manque rien aux procédures de consultation en tant que telles. Effectivement les groupes d’intérêt jouent un rôle décisif dans le processus de décision. Il existe bien un modèle de gouvernance européen.

Le problème est ailleurs. Il est lié à deux questions. La première, que la Commission a parfaitement identifié, tient à l’éventail des intérêts représentés à Bruxelles. Est-il assez large ? Assure-t-il une représentation équitable des intérêts ? C’est ce dont se plaignent les ONGs qui estiment qu’elles manquent de moyens face à des intérêts économiques plus structurés.

La seconde question, plus grave à mon sens, est la suivante : peut-on totalement sous-traiter la formulation d’un intérêt commun à une myriade de groupes d’intérêt ? C’est la vieille question : l’intérêt général est-il la somme des intérêts particuliers ? Non, bien sûr. D’ailleurs la Commission ne consulte pas à partir de rien. Elle a bien une ligne politique qui inspire son action. Mais cette ligne est-elle assez forte, assez appuyée ? C’est une question. On ne peut pas déléguer aux lobbies la fonction politique.

Par “vernis démocratique” , je veux en outre souligner que la consultation des tous les lobbies possibles ne suffit pas à assoir démocratiquement une institution. La société ne se réduit pas à une somme de groupes d’intérêt. La Commission par nature est moins démocratique qu’un gouvernement, parce qu’elle entretient un lien très indirect avec l’électorat européen. Elle s’épuise à vouloir se faire passer pour plus démocratique en communiquant. Mais ses tentatives au contraire attestent par leur maladresse de son manque de culture politique. Les campagnes de communication de la Commission ont toujours quelque chose de très artificiel. La Commission peine d’ailleurs à intéresser la presse à ces campagnes. C’est une manière assez ringarde, pour ne pas dire soviétique, de concevoir sa relation avec le public. Elle devrait accepter le fait qu’elle n’est pas une institution démocratique au sens où l’est un gouvernement national et mettre ensuite l’accent sur son rôle de concepteur éclairé de l’intérêt commun européen. C’est cela sa raison d’être. Au Parlement et aux Etats membres ensuite de la suivre ou non.

Toute cette insistance sur la démocratie, le débat, etc., le “plan D” , cache à mon avis un malaise politique, une absence d’ambition et de vision.

J’ajoute pour finir que si la Commission se voulait vraiment plus démocratique, elle concevrait autrement ses relations avec les journalistes. Il faut savoir que si les fonctionnaires ont toute latitude pour recevoir tous les lobbies qu’ils veulent, ils ont en revanche l’interdiction formelle de parler aux journalistes, sauf s’ils y ont été invités par le porte-parole de leur commissaire. Or les porte-parole limitent au maximum ce type de requête. Du coup, la presse se voit servir une information formatée, souvent assez creuse et les investigations sur le travail de la Commission sont rendues très difficiles, sinon impossibles. De ce point de vue, la situation empire. Au point qu’un fonctionnaire de la Commission me disait récemment : “nous sommes la dernière institution soviétique d’Europe” . J’ai peur qu’il se trompe toutefois : il en reste certainement encore d’autres dans les Etats membres.

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