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Faut-il croire à la croissance verte ?

Dans une tribune pour Toute l’Europe, Gilles Rotillon, professeur émérite en sciences économiques et conseiller scientifique au ministère de la Transition écologique et solidaire, dénonce les contradictions liées aux objectifs européens de croissance verte.

Faut-il croire à la croissance verte ?

Notre monde est en crise. Crise économique, crise sociale, conséquence de la précédente, crise écologique enfin, dont le réchauffement climatique n’est que l’une des manifestations les plus médiatisées. Après 200 ans d’un développement industriel qui semblait avoir affranchi l’humanité des multiples contraintes liées à son environnement naturel, nous sommes en train de redécouvrir que ces limites ne pourront pas être repoussées indéfiniment.

Devant ce constat, il devient urgent de trouver des solutions, et parmi toutes celles qui nous sont proposées, la croissance verte semble recueillir la majorité des suffrages, notamment en Europe. Il est donc important d’en examiner de plus près le contenu, d’en cerner les principales limites, et de s’interroger sur les raisons de son succès et sur ses chances de réussite.

Garder le bébé et jeter l’eau du bain

La croissance verte repose sur deux idées simples. D’une part, comme c’est elle qui a permis les transformations spectaculaires de nos modes de vie, un consensus se fait sur la nécessité de continuer à la rechercher. D’autre part, comme elle n’est pas sans produire de nombreuses externalités négatives, dont les dégradations environnementales sont des exemples bien connus, il semble raisonnable de chercher à en garder les aspects positifs tout en réduisant ses aspects négatifs.

L’hypothèse est séduisante et l’Europe en a fait une de ses orientations en adoptant en 2010 un nouveau plan stratégique pour les dix ans à venir, destiné à relancer l’économie européenne. L’objectif étant de développer une croissance “intelligente, durable et inclusive” , accompagnée d’un haut niveau d’emploi, de productivité et de cohésion sociale. A 2 ans de l’échéance on peut constater que ce n’est pas encore gagné. Malgré tous les discours, pour ne prendre qu’un exemple, le marché européen du carbone ne parvient toujours pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre à cause d’une distribution trop “généreuse” de permis.

Quant au contenu de cette croissance verte, elle associe en Europe des réglementations plus strictes pour l’habitat et la construction, la domotique [mise en réseau des appareils électriques d’une habitation, ndlr] réduisant le gaspi énergétique ou l’investissement dans les énergies renouvelables, dans les transports publics, dans les réseaux intelligents de distribution d’électricité ou dans le reboisement. On pourrait multiplier les références pour construire un catalogue à la Prévert de ce que doit être cette croissance verte dont la philosophie générale est celle de la substitution de productions et de consommations polluantes par d’autres plus favorables à l’environnement.

Finalement, on retrouve la théorie schumpétérienne de la destruction créatrice, où la croissance s’obtient par la disparition de secteurs industriels dépassés et leur remplacement par des nouveaux secteurs plus productifs.

Le diable est toujours dans les détails

Que de tels mouvements de substitutions s’opèrent, on le voit sous nos yeux tous les jours. Il existe cependant des raisons sérieuses de penser que cette croissance verte annoncée et espérée par les politiques et mise en musique par les entreprises ne s’obtiendra pas si facilement.

Il y a tout d’abord les problèmes d’ajustements posés par l’importance des transformations nécessaires. Car il ne s’agit pas de modifications marginales d’un secteur industriel particulier, mais d’une transformation planétaire de nos modes de production. Il y a donc des problèmes de timing, des goulots d’étranglements, dus à l’existence ou non des technologies disponibles, des connaissances existantes et des formations correspondantes. En 2017, le pétrole, le gaz et le charbon représentent 81,4% de l’énergie mondiale consommée. Quant aux ressources renouvelables (principalement solaire et éolien) qui devraient les remplacer, elles n’y contribuent que pour 1,5%. Même en étant très optimiste, on peut penser que les substitutions ne seront pas instantanées ! Quant à l’emploi, si on peut espérer des créations dans les secteurs “verts” (de 2,8 millions d’équivalents temps plein dans l’UE en 2000 à 4,2 millions en 2014, selon Eurostat), il y aura des destructions dans les secteurs “polluants” et il n’est pas sûr que les chômeurs des seconds aient les qualifications pour travailler dans les premiers. Le bilan global est pour le moins indécis.

Il y a aussi les illusions auxquelles on aimerait tant croire puisqu’elles feraient disparaître les contraintes nouvelles. C’est le cas en particulier des thèses sur la dématérialisation de l’économie permise par la montée en puissance des connaissances comme facteur de production s’appuyant sur les technologies de l’information et des communications. Hélas, cette “dématérialisation” est aussi une grosse consommatrice d’électricité, notamment pour refroidir les énormes data centers exigés pour la consultation de millions d’internautes en même temps.

Changer mais quoi ?

Mais peut-être faut-il faire un pas de plus pour comprendre l’engouement envers la croissance verte. Car telle qu’elle est promue dans les discours, cette croissance porte essentiellement sur la modification des modes de production avec le message subliminal que la consommation n’en serait pas affectée comme semble le promettre l’usage du mot croissance. Comme ce serait formidable ! On change toute la production, mais nos modes de vie ne changent pas. Non seulement nous pourrons continuer à nous déplacer sans problème dans des voitures propres et des avions solaires, mais nous pourrons continuer à nous gaver de télévision et de restauration rapide, elle même purgée de ses additifs sucrés.

On comprend que les gouvernements et les institutions européennes cherchent à rassurer leurs citoyens en leur promettant un avenir meilleur. Mais à toujours vouloir baisser les impôts (directs) au motif d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs et de fournir une clientèle solvable aux entreprises, sans dire que dans le même mouvement on réduit aussi l’offre possible de biens publics ne s’enferme-t-on pas dans un type de croissance qui devient effectivement le problème au lieu d’être la solution, même rebaptisée en vert ?

Gilles Rotillon est Professeur émérite en sciences économiques à l’Université Paris Nanterre, et Conseiller scientifique au Service de la Donnée et des Etudes Statistiques du ministère de la Transition écologique et solidaire.

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