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[Fact checking] Viktor Orban, l’Union européenne et l’immigration : qui dit vrai et qui dit faux ?

Le Premier ministre hongrois s’en prend régulièrement à la politique migratoire de l’Union européenne. Dans sa dernière missive, il parle de visas et de cartes bancaires distribués aux migrants, de quotas obligatoires de répartition, d’affaiblissement des frontières et de crise migratoire… Toute l’Europe sépare le vrai du faux.

Commission
“Sauver des vies en mer […] ce n’est pas la même chose que de promouvoir la migration irrégulière” , tacle la Commission européenne - Crédits : Oglaigh na hEireann / Flickr

Ces derniers jours, le gouvernement nationaliste hongrois a, de nouveau, suscité la colère de ses partenaires européens. En cause : des affiches anti-UE placardées dans les rues de Budapest et d’autres villes de Hongrie, représentant et accusant le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, ainsi que le milliardaire George Soros, de favoriser l’immigration illégale.

L’an passé déjà, une campagne déformant des propos de l’eurodéputé belge Guy Verhofstadt avait défrayé la chronique. Une vidéo sponsorisée par le gouvernement hongrois et diffusée sur Facebook montrait cet élu libéral en train de dire : “nous avons besoin d’immigration” . La phrase originale, qui datait de 2014, se terminait en réalité par : “…mais nous avons besoin d’une immigration légale” .

Censée durer jusqu’au 15 mars, la dernière campagne orchestrée par le Premier ministre Viktor Orban a donc relancé la polémique. Dans sa lettre qui l’accompagne, il parle des “développements inquiétants de la crise migratoire” , qu’il relie aux “attaques terroristes de ces dernières années” . “Les bureaucrates de Bruxelles ne veulent pas respecter notre décision” , dit-il. “Ils préparent désormais de nouvelles mesures pour encourager l’immigration. Après l’instauration d’un visa et d’une carte de crédit pour les migrants […], ils veulent forcer la répartition de migrants avec des quotas obligatoires pour les pays membres”, ajoute-t-il.

En réaction, douze formations du Parti populaire européen (PPE) ont demandé l’exclusion du Fidesz, le parti de Viktor Orban qui y est rattaché. La Commission européenne, dont le président est également affilié au PPE, a elle aussi dénoncé des fake news.

Alors qu’est-ce qui est vrai, et qu’est-ce qui est faux ?

L’UE connaît une crise migratoire
FAUX

Dans le sillage des Printemps arabes et du déclenchement de la guerre en Syrie, les entrées illégales dans l’Union européenne ont atteint un pic (ou un niveau “critique”) en octobre 2015. Mais depuis l’accord controversé passé avec la Turquie, au début de l’année suivante, les afflux de migrants diminuent aux portes du Vieux continent. Les derniers chiffres confirment que le nombre d’arrivées irrégulières dans l’UE est retombé au niveau d’avant la crise.

L’année dernière, le nombre de passages frontaliers illégaux aux frontières extérieures de l’Europe a diminué d’un quart par rapport à 2017, pour atteindre un nombre estimé à 150 000, le niveau le plus faible en cinq ans, écrit ainsi l’agence Frontex. Le total pour 2018 était également inférieur de 92% au sommet de la crise migratoire de 2015.” A l’époque, plus d’un million de migrants avaient pénétré l’espace Schengen illégalement.

Le nombre de migrants empruntant la route de la Méditerranée centrale pour se rendre en Italie a aussi chuté de 80% en 2018 par rapport à 2017, atteignant son niveau le plus bas depuis 2012, avec environ 23 000 personnes.

En revanche, la péninsule ibérique, qui est désormais la zone privilégiée d’arrivée, connaît une situation inédite. En Espagne, le nombre d’arrivées par la route de la Méditerranée occidentale a doublé l’année dernière pour la deuxième année consécutive, atteignant 57 000 personnes.

La route de la Méditerranée orientale a elle aussi été plus empruntée en 2018 qu’en 2017, avec 56 000 passages irréguliers, notamment entre la Turquie et la Grèce, ainsi qu’à Chypre où ce nombre a plus que doublé. Mais selon les chiffres provisoires communiqués par la Commission européenne début décembre, “les arrivées y sont aujourd’hui inférieures de 90% au record atteint en 2015”.

Et sur la route des Balkans occidentaux ? Il s’agit d’une route secondaire, fortement liée à celle de la Méditerranée orientale et par laquelle les migrants peuvent rejoindre les pays de l’Est. “Après le nombre record d’arrivées dans l’Union européenne en 2015, le nombre de passages illégaux aux frontières sur cette route a diminué régulièrement” , précise Frontex. En 2018, moins de 6 000 migrants en situation irrégulière ont été détectés sur cette route, contre plus de 12 000 en 2017. Des chiffres qui continuent de baisser fortement au début de l’année 2019.

Nombre de passages irréguliers aux frontières méditerranéennes de l'UE (2014-2018) - Commission européenne

Nombre de passages irréguliers aux frontières méditerranéennes de l’UE (2014-2018)
En gris : route orientale ; en orange : route centrale ; en bleu : route occidentale
(source : Commission européenne, décembre 2018)

L’UE prépare des quotas d’accueil de migrants obligatoires
PLUTÔT FAUX

Viktor Orban fait ici référence aux relocalisations, d’un État membre à un autre, des demandeurs d’asile qui arrivent dans l’Union européenne.

Au plus fort de la crise (de 2015), les États membres ont adopté une loi de solidarité avec les pays les plus soumis à la pression, à savoir l’Italie et la Grèce, et ont relogé un petit nombre de demandeurs d’asile originaires de ces pays” , explique la Commission européenne. Mais la Hongrie, qui était censée en accueillir quelques centaines sur des dizaines de milliers ne s’y est jamais conformé.

Ce cadre de deux ans est maintenant terminé. Les règles de l’UE en matière d’asile ne contiennent aucune disposition sur la relocalisation obligatoire” , précise la Commission.

Une réforme profonde du régime d’asile de l’UE (règlement de Dublin) est néanmoins bel et bien en cours depuis la crise de 2015.

Pour parer à un nouvel afflux massif de demandeurs d’asile à l’avenir, l’idée de figer dans le marbre un système de répartition obligatoire a bien été mis sur la table par Bruxelles. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement ne parviennent pas à se mettre d’accord. Ils ont finalement redirigé leurs négociations vers un simple principe de répartition “solidaire” , non contraignante. Des concessions ont été faites par Paris et Berlin. Mais l’Italie et le groupe de Višegrad, dont fait partie la Hongrie, ne lèvent toujours pas leur opposition.

La Hongrie a son mot à dire aux côtés des autres gouvernements” dans le processus de décision européen, souligne ainsi la Commission, en réponse à l’affirmation de Viktor Orban selon laquelle “les bureaucrates de Bruxelles ne veulent pas respecter notre décision.”

670 demandeurs d’asile en Hongrie en 2018
Aujourd’hui, la diminution du nombre d’arrivées aux portes de l’UE s’accompagne logiquement d’une baisse des demandes d’asile, dont le volume est lui aussi redescendu au niveau d’avant-crise. Mais “les arriérés de revendications depuis le pic de la crise continuent de mettre une pression considérable sur les systèmes d’asile des Etats membres de l’UE et de l’espace Schengen” , reconnaissait la Commission européenne en décembre dernier.
Loin devant l’Espagne, l’Italie ou la Grèce, c’est toutefois la France et l’Allemagne qui ont reçu le plus de dossiers en 2018 (respectivement plus de 120 000 et plus de 180 000 selon Eurostat). La Hongrie, elle, n’en a reçu que 670 en 2018, après - il est vrai - un pic exceptionnel de 177 000 en 2015.
Des programmes de réinstallation sur une base volontaire
Depuis 2015, deux programmes européens de “réinstallation” ont également permis à 44 000 personnes vulnérables se trouvant dans des Etats tiers de trouver refuge en Europe. “Nous avons évacué plus de 2 000 réfugiés de Libye en vue de leur réinstallation” , indique notamment Federica Mogherini, la haute-représentante de l’UE pour les Affaires étrangères. 34 000 autres doivent encore bénéficier de ces programmes d’ici à fin 2019. Mais “cette réinstallation de réfugiés de pays tiers a toujours été et sera toujours effectuée sur une base purement volontaire” , souligne aujourd’hui la Commission européenne.

Plus il y a d’immigration, plus il y a d’attaques terroristes
FAUX

Le raccourci entre immigration et terrorisme est régulièrement fait. En novembre 2015, en pleine crise migratoire en Europe, et quelques jours après l’attentat au Bataclan, Viktor Orban avait ainsi affirmé, dans une interview à Politico, que “tous les terroristes sont des migrants. Dans sa dernière lettre, le dirigeant hongrois ajoute : “Bruxelles n’a rien appris des terribles attaques terroristes de ces dernières années. Ils veulent même amener plus de migrants en Europe.

En février 2016 pourtant, une étude des universités de Warwick et d’Essex (Royaume-Uni), publiée dans The Journal of Politics, a démontré que le nombre d’attaques terroristes n’augmentait pas lorsque le nombre de migrants progressait. Au contraire.

Les chercheurs Vincenzo Bove et Tobias Böhmelt ont analysé des données statistiques relatives aux flux de migrants et au nombre d’attentats dans 145 pays entre 1970 et 2000.

Leurs résultats suggèrent qu’une minorité de migrants provenant de pays fortement exposés au terrorisme peuvent constituer un véhicule de diffusion de l’idéologie terroriste. En 2015, deux des terroristes du Stade de France étaient par exemple récemment arrivés en Europe via la Grèce et les pays de l’Est, depuis la Syrie ou l’Irak.

Cela dit, les résultats soulignent également que l’afflux de migrants en tant que tel entraîne en réalité un niveau moins élevé d’attaques terroristes” , résument-ils.

Quand le nombre de migrants entrant dans un pays augmente de 10%, le nombre d’attaques terroristes baisse de 0,5 à 0,6 %, rapporte Slate, qui a interrogé Tobias Böhmelt : “ces migrations mènent à de meilleures conditions économiques, qui à long terme ont un impact négatif sur les violences politiques, terrorisme inclus” .

L’UE veut affaiblir le droit des Etats membres à défendre leurs frontières
FAUX

Alors qu’elle n’avait pas vraiment su faire face à la crise migratoire de 2015, l’Union européenne a modernisé l’année suivante sa force d’appui aux Etats membres pour la gestion des frontières extérieures : Frontex.

Aujourd’hui, avec des effectifs renforcés, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes aide notamment les pays de l’espace Schengen à contrôler l’immigration illégale, par exemple en participant à l’enregistrement et à l’identification des migrants à leur arrivée. A l’été 2018 par exemple, dans le cadre de l’opération Minerva, Frontex a aidé les autorités espagnoles à contrôler les passagers arrivant du Maroc par ferry.

Pour mener des opérations terrestres ou maritimes dans les zones soumises à une forte pression migratoire, une réserve de main d’œuvre supplémentaire est fournie par les Etats membres. Mais reconnaissables à leur brassard ou leur dossard bleu clair, les agents déployés par Frontex sont toujours accompagnés par des agents de l’Etat membre dans lequel a lieu l’opération.

Par ailleurs, Frontex coordonne aussi des opérations de renvoi de migrants irréguliers vers leurs pays d’origine. Elle peut aider les États membres à financer les opérations de retour et à coopérer avec les pays tiers chargés des procédures de réadmission. Mais chaque Etat membre reste libre de déterminer quelle personne doit être renvoyée.

Comment, dès lors, affirmer que l’UE affaiblit le droit des Etats membres de défendre leurs frontières ?

Pour renforcer les capacités de Frontex, la Commission européenne a proposé en septembre 2018 de doter Frontex de ses propres navires, avions et véhicules, et d’un corps permanent de 10 000 agents opérationnels d’ici à 2020.

Parmi eux, 7 000 agents seraient détachés par les Etats membres pour des périodes plus ou moins longues. Et tandis qu’à l’heure actuelle ceux qui portent le brassard Frontex doivent s’en remettre à leurs collègues nationaux pour procéder à une arrestation lors d’un contrôle par exemple, ils pourraient être habilités, à l’avenir, “à effectuer des tâches nécessitant des pouvoirs d’exécution, précise la Commission européenne.

Lors d’un sommet européen organisé à Salzbourg juste après cette proposition, les pays du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), de même que l’Italie et l’Espagne, en première ligne des arrivées, se sont opposés à cette idée de voir des agents dotés de pouvoirs “européens” , qui plus est formés à leurs frais, se déployer sur leur territoire.

Est-ce cette crainte de perdre une partie de ses prérogatives nationales qui a motivé ici la lettre de Viktor Orban ? En réalité, les agents Frontex, même s’ils étaient dotés de plus de pouvoirs opérationnels, resteraient “sous l’autorité et le contrôle de l’État membre dans lequel ils sont déployés” , indique la Commission européenne dans sa proposition de réforme.

La Commission appelle à rétablir un fonctionnement normal de Schengen
En marge du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018, la Commission européenne a appelé les Etats membres à revenir à un fonctionnement normal de l’espace Schengen, en “levant les contrôles temporaires” réinstaurés à certaines frontières intérieures (par exemple par la France au nom de la menace terroriste).
Lire aussi : Schengen : la carte des contrôles aux frontières nationales

L’UE a instauré un “visa de migrant
FAUX

Aucune législation européenne n’a créé un tel “visa de migrant” . Il ne s’agit pas non plus d’une proposition de la Commission européenne, ni d’une demande des États membres.

Pour éviter les naufrages mortels en Méditerranée, la commission des libertés civiles du Parlement européen a bien adopté un rapport en décembre dernier, afin de demander à la Commission européenne de déposer, d’ici au 31 mars 2019, une proposition établissant un visa humanitaire européen. “Les demandeurs d’asile devraient pouvoir demander des visas humanitaires dans les ambassades et consulats de l’UE à l’étranger, afin de se rendre en Europe en toute sécurité” , explique l’institution.

Au-delà des vies épargnées (au moins 30 000 personnes ont perdu la vie aux frontières européennes depuis 2000), un tel système permettrait de mieux gérer les arrivées, la surveillance des frontières, et de mieux traiter les demandes d’asile (une enquête de sécurité serait menée avant la délivrance des visas). En somme : une “optimisation du budget des Etats membres et de l’UE pour l’asile” , écrivent les eurodéputés.

Mais “la décision de délivrer des visas humanitaires européens doit rester de la seule compétence des États membres” , précisent-ils aussi. Quant à voir leur idée prendre forme un jour, il faudrait déjà que la Commission européenne la transforme en véritable proposition de législation, et que les Etats membres en débattent, avec la Hongrie et tous les autres pays de l’UE…

En Grèce, des cartes bancaires prépayées ont été données à certains réfugiés
VRAI

La Commission européenne finance un programme géré par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés” , en vue de donner des cartes de débit prépayées aux réfugiés, explique Bruxelles dans sa réponse à Viktor Orban.

Un tel programme existe donc, mais contrairement à ce que laisse entendre le Premier ministre hongrois dans sa lettre, il ne s’agit pas d’un dispositif généralisé à tous les “migrants” dans l’Union européenne.

En Grèce, afin de faciliter leur intégration, des cartes de débit prépayées ont seulement été données à certains réfugiés et demandeurs d’asile arrivés après le 1er janvier 2015, et soumis à un certain nombre de contrôles, afin qu’ils puissent satisfaire leurs besoins essentiels (nourriture et vêtements notamment). Ce dispositif profite aussi à l’économie locale et légale de la Grèce, précise la Commission européenne. Et “il ne peut pas être utilisé dans un autre pays.

Au mois de septembre 2018, il bénéficiait à près de 55 000 personnes, via 26 165 cartes de débit attribuées à autant de familles. Au total, 5,4 millions d’euros auraient été distribués via ce mécanisme depuis sa création en avril 2017″ , précise Libération, qui s’est livré à un exercice de fact-checking sur cette question.

Le montant distribué aux allocataires est calculé selon un panier de biens, ajoute le journal. Il ne peut pas dépasser les montants des aides sociales que peuvent toucher les Grecs.” Une personne seule touchera ainsi 150 euros par mois, ou seulement 90 euros si elle vit dans une structure où le repas est gratuit.

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