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[Fact-checking] Salaire minimum européen : qui propose quoi ?

Plusieurs candidats aux élections européennes plaident pour un salaire minimum instauré au niveau de l’Union européenne. Mais les responsables politiques autant que les internautes se déchirent sur son “montant”, multipliant les fake news et les déclarations approximatives.

Quelles sont les propositions des candidats en matière de salaire minimum ? - Crédits : HJBC / iStock
Quelles sont les propositions des candidats en matière de salaire minimum ? - Crédits : HJBC / iStock

Dans Le Parisien du 9 avril 2019, Nathalie Loiseau, qui mène la liste Renaissance pour les élections européennes, a relancé le débat sur l’instauration d’un salaire minimum européen.

Aujourd’hui, six pays n’ont même pas de SMIC ! Il faut au minimum un SMIC dans tous les pays de l’UE. Et, partout, un SMIC qui permette un revenu décent. C’est-à-dire, par pays, au moins la moitié du salaire médian” , a-t-elle déclaré.

Les réactions n’ont pas tardé, entre propagation de fake news et critiques appuyées par des données statistiques.

Qu’en est-il vraiment ? Quels sont les pays de l’UE qui disposent déjà d’un salaire minimum instauré au niveau national ? Quels sont les montants de ces “SMIC” dans les pays de l’Ouest et de l’Est ?

Quel serait l’impact potentiel de la proposition de Nathalie Loiseau et de celles de Benoît Hamon, Ian Brossat ou encore Manon Aubry ? Qu’en pense Marine Le Pen ? Et que proposent les institutions européennes ?

Toute l’Europe déchiffre ce dossier complexe. Avec une première précision d’importance : aucun parti ne propose un salaire minimum chiffré, c’est-à-dire un “montant” que tous les patrons du continent devraient verser uniformément à leurs salariés. Il s’agirait plutôt de définir une méthode commune de calcul pour établir des salaires minimums relatifs dans chaque Etat membre, en fonction de leur contexte économique et social.

Six pays de l’UE n’ont pas de salaire minimum ?
PLUTÔT VRAI

En Autriche, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en Italie et en Suède, il n’existe pas de salaire minimum défini au niveau national. Ces six Etats membres de l’UE ont néanmoins fixé un salaire minimum par branches ou prévoient que les salaires minimums soient déterminés par une négociation des partenaires sociaux.

Les 22 autres Etats membres de l’UE ont quant à eux instauré un salaire minimum national. Même l’Allemagne, en 2015, après y avoir été longtemps réticente.

Le SMIC est de 36 euros de l’heure en France contre 4,40 euros en Bulgarie ?
FAUX

C’est une infox de Marine le Pen qui n’est pas passée inaperçue sur France 2 le 14 mars. Face à Nathalie Loiseau, qui était alors ministre des Affaires européennes, la présidente du Rassemblement national (RN) avait raillé la proposition d’Emmanuel Macron d’instaurer un salaire minimum européen, en sous-entendant qu’il s’agirait d’un montant chiffré imposé uniformément en Europe alors que de fortes disparités existent actuellement.

Pour appuyer sa démonstration, Marine le Pen avait parlé d’un SMIC bulgare “à 4,40 euros” , contre “36 euros en France, me semble-t-il” .

Ce montant de 36 euros correspond en réalité au coût horaire moyen de la main d’œuvre en 2018, selon Eurostat. En Bulgarie, ce coût était de 5,40 euros par heure.

Pour ce qui concerne le SMIC horaire brut, il est aujourd’hui de 10,03 euros en France… et tourne autour d’1,5 euro en Bulgarie. Soit un salaire minimum mensuel de 1 521 euros brut en France (pour 35 heures), contre 286 euros brut en Bulgarie (pour 40 heures).

Le salaire minimum varie donc fortement au sein des Etats membres. Selon les chiffres Eurostat du 1er semestre 2019, la France se situe à la sixième place des pays imposant les minimas les plus élevés, derrière l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande et le Luxembourg (de 1 500€ à plus de 2 000€ brut).

En Bulgarie, Roumanie, Lettonie et Hongrie, le salaire minimum ne dépasse pas 500 euros brut par mois.

Même lorsqu’ils sont mis en perspective avec les prix des biens et des services (le coût de la vie), les salaires minimums - qui ne sont actuellement pas calculés sur les mêmes bases d’un pays à l’autre - varient fortement à l’échelle des Vingt-Huit. Dans les pays de l’Est, les habitants ont ainsi un pouvoir d’achat moins élevé en moyenne, même si les produits y coûtent moins cher qu’à l’Ouest.

Nathalie Loiseau propose de baisser le SMIC en France ?
FAUX

La tête de liste de La République en marche pour les élections européennes propose d’instaurer un salaire minimum européen “au moins” égal, dans chaque pays, à “la moitié du salaire médian” .

Selon les dernières données disponibles de l’Insee (2015), le SMIC ne pourrait donc plus être abaissé en-dessous de 899 euros net en France.

Le salaire médian correspond au salaire qui divise en deux la population des salariés : la moitié des travailleurs gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Il se différencie du salaire moyen qui est la moyenne de l’ensemble des salaires de la population (Insee).

Le salaire minimum français étant actuellement fixé à 1 203 euros net, “il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes” , a réagi Ian Brossat, le candidat du Parti communiste pour les européennes, qui craint que cela entraîne un nivellement vers le bas. C’est aussi l’opinion de Benoît Hamon, tête de liste de Génération.s, qui estime que ce salaire minimum européen pourrait devenir “une cible en Europe” et que le gouvernement pourrait s’en servir pour “favoriser demain ce qui pourrait être une remise en cause du SMIC en France” .

Pour l’heure, proposer d’instaurer ce salaire minimum européen - qu’on le juge protecteur ou dangereux - ne veut toutefois pas dire que la candidate de la majorité souhaite revoir le montant du SMIC français, comme l’en accuse encore plus directement le député de la France insoumise Adrien Quatennens.

Nous ne voulons évidemment pas baisser le SMIC français” , a d’ailleurs précisé la tête de liste de LaREM sur Twitter.

Dans son esprit, sa proposition créerait plutôt un élan vers la revalorisation du salaire minimum dans les pays où il est très faible actuellement. “Chaque année, un conseil des ministres du travail européen devrait être consacré au SMIC. Cette réunion aura un objectif, amener les pays européens les plus pauvres à augmenter leur salaire minimum. Cela ne fera pas du SMIC bulgare un SMIC français du jour au lendemain, mais il y aura une dynamique” , précise-t-elle ainsi au Parisien.

Problème : un salaire minimum existe déjà en Bulgarie. Et il est plus élevé que ce que propose Nathalie Loiseau…

En 2014, selon les dernières données d’Eurostat sur le salaire médian, sa proposition n’aurait permis de revaloriser le salaire minimum qu’entre 20 et 80 euros en République tchèque, en Estonie, en Espagne (le salaire minimum était alors très bas, sous le coup de la crise économique), en Croatie et en Slovaquie.

[Toutes les estimations sont présentées dans les infographies ci-dessous.]

La moitié du salaire médian, c’est moins que le seuil de pauvreté ?
PLUTÔT VRAI

Le Parti socialiste ou certains médias de gauche, comme Marianne, reprochent pour leur part à la candidate de LaREM de qualifier de “décent” un salaire minimum qui serait inférieur au seuil de pauvreté.

Ce dernier correspond, selon l’Insee et Eurostat, à 60% du niveau de vie médian (ou du revenu disponible médian, mesuré après impôts et prestations sociales).

En d’autres termes, en 2015, un individu était “considéré comme pauvre” lorsqu’il vivait avec moins de 1 071 euros par mois en France ou moins de 167 euros par mois en Bulgarie. Des seuils supérieurs au “SMIC européen” envisagé par Nathalie Loiseau (équivalent à 899 euros net en France et moins de 150 euros net en Bulgarie en 2015).

Ces données étant relatives, elles peuvent néanmoins fluctuer en fonction des pays et de la conjoncture économique.

Pour définir le seuil de pauvreté, l’Observatoire des inégalités préfère quant à lui utiliser le seuil de 50 % du niveau de vie médian, qu’il juge “plus conforme à la réalité de la pauvreté” . En 2015, il estimait ainsi le seuil de pauvreté français à 847 euros. Et dans ce cas, la proposition de Nathalie Loiseau l’aurait légèrement surpassé.

Le Parlement européen, Génération.s, LFI et le PC proposent un seuil plancher supérieur au SMIC français ?
VRAI

Dans une résolution sur le dumping social adoptée en septembre 2016, le Parlement européen recommande l’instauration, dans tous les Etats membres, “de planchers salariaux […] dans le but de parvenir progressivement à au moins 60 % du salaire moyen au niveau national” .

Cela serait revenu, en France, à porter le SMIC à 1 350 euros net en 2015 (contre 1 137 euros net à l’époque et 1 203 euros net en 2019).

Le rapport ayant été rédigé par l’eurodéputé français Guillaume Balas, aujourd’hui estampillé Génération.s, c’est logiquement la proposition que défend actuellement Benoît Hamon, qui parle d’une “cible qui nous amène tous à viser un objectif plus haut” . Ian Brossat, au Parti communiste, partage cet objectif.

A La France insoumise, Manon Aubry propose, elle, l’établissement d’un “SMIC européen” équivalant “à 75% du salaire médian” et assorti de “critères de convergence” . En 2015, cela serait revenu à porter le SMIC français à 1 348 euros net par mois.

Quel serait l’impact des propositions françaises dans les autres Etats membres ?

Pour se faire une idée et comparer l’impact que pourraient avoir, pays par pays, toutes ces propositions françaises en matière de salaire minimum européen, il faut malheureusement prendre en compte l’année 2014…

C’était il y a cinq ans, les salaires minimums ont été nettement revalorisés depuis - surtout dans des pays de l’Est et en Espagne - mais c’est à 2014 que remonte la dernière enquête d’Eurostat sur la structure des salaires. Et donc les seules données comparables à l’échelle de l’UE.

Un “SMIC européen” , une idée nouvelle ?
FAUX

L’idée d’instaurer un salaire minimum européen n’est pas nouvelle. Les institutions européennes ont lancé leurs premiers ballons d’essais dès 1993. La commission de l’emploi du Parlement européen avait alors appelé les Etats membres à adopter des “mécanismes pour la fixation de salaires fixés par la voie législative ou liés au salaire moyen national” , tandis que la Commission européenne souhaitait dans un avis qu’ils “prennent les mesures appropriées pour assurer le respect du droit à une rémunération équitable” .

Ces tentatives sont restées lettre morte jusqu’à aujourd’hui, la majorité des pays considérant que la politique de salaire minimum est une question d’ordre purement national. Mais les débats se poursuivent et ont pris une certaine importance à partir des années 2000.

En France, plusieurs candidats s’en sont saisi lors de la campagne des européennes de 2014. Alors qu’il n’était encore que tête de liste du Parti populaire européen, l’actuel président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait lui aussi annoncé qu’il plaiderait “pour que chaque État membre introduise un salaire minimum adapté à ses pratiques nationales de négociations salariales et à ses conditions économiques” .

Quelques jours après l’adoption d’une nouvelle résolution en ce sens au Parlement européen, le chef de l’exécutif européen a finalement appelé, en janvier 2017, à instaurer “un salaire social minimum” d’abord dans la zone euro, puis dans tous les pays de l’Union européenne. Mais deux ans après, l’idée est toujours loin de faire l’unanimité en Europe. Selon Euractiv, des pays de l’Est y seraient notamment réticents pour ne pas “entamer un avantage compétitif précieux” dont ils disposent actuellement grâce aux bas salaires.

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