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[Fact-checking] L’Union européenne fait-elle “perdre 10 milliards d’euros par an” à la France ?

La France donne plus d’argent à l’UE qu’elle n’en reçoit. Mais peut-on dire qu’elle perd 10 milliards d’euros chaque année, comme l’affirme par exemple Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national pour les élections européennes ?

Nathalie Loiseau, Jordan Bardella et Nicolas Dupont-Aignan, le 4 avril 2019 - Crédits : Capture d'écran / France 2
Nathalie Loiseau, Jordan Bardella et Nicolas Dupont-Aignan, le 4 avril 2019 - Crédits : Capture d’écran / France 2

La France perd chaque année 10 milliards d’euros à cause de l’UE ?
PLUTÔT FAUX

L’Union européenne nous fait perdre 10 milliards d’euros par an” , a affirmé Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national, lors du débat des européennes le 4 avril sur France 2.

D’un point de vue purement comptable, la France est effectivement l’un des contributeurs nets de l’Union européenne. C’est-à-dire que, chaque année, elle donne plus d’argent qu’elle n’en reçoit.

C’est aussi le lot de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie, et des autres pays les plus riches de l’UE, l’Union européenne reposant en partie sur un principe de solidarité ayant pour objectif de faire converger les économies de tous les Etats membres.

En 2017, d’après les derniers bilans clôturés par la Commission européenne, la France n’a ainsi reçu “que” 13,5 milliards d’euros de Bruxelles (sous forme d’aides aux agriculteurs, à l’innovation, aux régions…), alors qu’elle a versé au budget de l’UE 17,9 milliards d’euros. Une somme qui recouvre :

  • 16,2 milliards au titre de la “contribution nationale” au budget de l’UE.
    Cette contribution comprend la ressource “RNB” , indexée sur le revenu national brut de chaque Etat membre (les deux tiers du budget de l’UE) ; la ressource “TVA” , calculée sur la base d’un taux uniforme pour tous les Etats membres ; et la “correction UK” , qui sert à compenser le “rabais britannique” , c’est-à-dire la ristourne accordée par l’UE au Royaume-Uni. Pour cette dernière, la France a versé 1,3 milliard d’euros à l’UE en 2017.
  • Et 1,7 milliard d’euros au titre des “ressources propres traditionnelles” de l’UE (environ 16% des recettes totales de l’UE), qui ne transitent pas par les budgets nationaux.
    Comme les autres Etats membres, la France collecte ainsi chaque année des taxes et droits pour le compte de l’Union européenne, comme les droits de douane payés par les entreprises hors UE, ou encore des cotisations sur le sucre.

En 2017, la France a donc versé au budget de l’UE 4,4 milliards d’euros de plus que ce qu’elle a récupéré.

Cette balance peut toutefois fortement varier d’une année sur l’autre, notamment en fonction des régularisations de comptes (la France a beaucoup moins payé en 2017 qu’en 2016).

Il est donc plus pertinent de considérer la moyenne des quatre premières années du budget pluriannuel de l’UE 2014-2020 : au regard de ces exercices clôturés (bilans définitifs), la France a versé 81,7 milliards à l’UE, et a touché 52,8 milliards d’euros au total, soit une différence de 7,2 milliards d’euros en moyenne chaque année.

Comment le RN obtient-il “10 milliards d’euros par an” ?

Le Rassemblement national semble s’appuyer sur la loi de finances française pour 2019, qui prévoit cette année une contribution totale de la France de 23,2 milliards d’euros au budget de l’UE (y compris les ressources propres traditionnelles).

Le montant versé par l’UE à la France pour l’année 2019 n’a, quant à lui, pas encore été arrêté de manière définitive. Mais en prenant en compte la moyenne des versements européens en France entre 2014 et 2017 (13,2 milliards d’euros), on obtient effectivement une différence de 10 milliards.

La démonstration n’est toutefois pas complètement pertinente. D’abord parce qu’il existe toujours un écart entre les crédits votés dans la loi de finances et le prélèvement sur recettes véritablement “exécuté” à la fin de l’année (selon les bilans définitifs des exercices 2014 à 2017, les prélèvements ont été inférieurs de 1,1 milliard d’euros en moyenne à ce qui avait été budgété).

Ensuite parce que les crédits pour 2019 ne reflètent pas la moyenne des années précédentes (la France a versé 20,4 milliards d’euros en moyenne entre 2014 et 2017, et non pas 23,2 milliards comme cela est prévu pour 2019).

Enfin, le calcul des bénéfices et des désavantages que procure l’UE aux Etats membres peut-il vraiment se résumer à cet exercice mathématique ?

Est-ce vraiment de l’argent “perdu” ?

Ce bilan purement budgétaire ne prend pas en compte les bénéfices et désavantages “indirects” que la France tire de l’UE.

Les 13,5 milliards d’euros qu’elle a perçus en 2017 ont servi à financer des projets et des programmes liés à la recherche et l’innovation, aux infrastructures, à l’énergie, au développement des territoires, à la sécurité ou encore à l’agriculture, la France étant notamment le premier récipiendaire des aides de la PAC, la politique agricole commune. Autant de projets et programmes qui peuvent avoir des effets induits.

Et au-delà des gains mesurables pour chaque Etat membre, une partie du budget de l’UE est aussi dédié à l’action extérieure. Politique de voisinage, aide au développement, actions humanitaires, opérations civiles et militaires en Ukraine ou au Mali… Il peut aussi s’agir d’affirmer le point de vue européen au sein de l’OCDE (sur la taxation de l’économie numérique par exemple), au sein de l’OMC (sur les règles du commerce international que devrait respecter la Chine), ou lors d’autres rencontres internationales (objectifs climatiques lors de la COP21)…

De même, comment quantifier les avantages ou les inconvénients que tire la France du programme Erasmus+, qui a contribué à former 80 000 Français en 2017 ? Quels sont les effets de la convergence des économies des pays de l’Est et de l’Ouest sur les migrations intra-européennes ou les délocalisations d’entreprises ? Comment calculer de manière certaine les effets de la libre circulation des marchandises ? Les gains liés à l’accès, pour les entreprises françaises, à un marché de 500 millions de consommateurs ? Et les pertes liées au dumping fiscal et social pratiqué par d’autres pays de l’UE ?

Les économistes, qu’ils soient pro ou anti-européens, conviennent que l’appartenance au marché unique a, globalement, un impact extrêmement large sur l’économie des Etats membres.

Au Royaume-Uni, les partisans du “leave” avaient, en 2016, eux aussi mis en avant le fait que leur pays pourrait récupérer quasi-automatiquement sa contribution à l’UE en cas de Brexit. Mais dès l’annonce des résultats du référendum, Nigel Farage, alors chef du parti indépendantiste Ukip et plus fervent partisan de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, avait avoué que “c’était l’une des erreurs qu’a commises le camp du ‘out’ ” . Et aujourd’hui en effet, rares sont les parlementaires britanniques à être prêts à assumer la catastrophe annoncée pour l’économie du pays (aussi bien pour la finance que pour les agriculteurs) en cas de divorce brutal de l’Union européenne.

Que dire de l’Allemagne ?

Par ailleurs, si l’intérêt d’appartenir à l’UE ne se mesure qu’à l’aune de la contribution nette des Etats membres, pourquoi dire que l’Allemagne est la grande gagnante de l’Europe ?

Régulièrement, le Rassemblement national dénonce une “bureaucratie” européenne qui “défend avant tout les intérêts allemands au détriment des autres nations” .

D’un point de vue strictement comptable, c’est pourtant l’Allemagne qui subit la “perte” la plus élevée chaque année. En effet, la contribution nationale étant notamment fonction du poids économique de chaque Etat membre, l’Allemagne est le plus gros contributeur de l’Union européenne.

En 2017, elle a payé plus que la France à l’UE (23,7 milliards d’euros au total, contre 17,9 milliards pour la France), alors qu’elle a récupéré beaucoup moins (10,9 milliards d’euros, contre 13,5).

En 2017, la différence entre la contribution allemande au budget de l’UE et les fonds communautaires reçus par le pays se sont ainsi élevés à 12,8 milliards d’euros, contre 4,4 en France.

A l’inverse, la Grèce a été, cette année-là, l’un des pays bénéficiant du solde budgétaire positif le plus important. Derrière la Pologne (+8,3 milliards d’euros), la République hellène finit avec +3,7 milliards d’euros. Gageons pourtant que peu d’analystes estiment qu’elle a été, ces dernières années, le pays le plus gâté de l’UE…

La France paye de plus en plus pour l’UE ? PLUTÔT VRAI

La contribution totale de la France au budget de l’union européenne, en nette augmentation, devrait s’élever à 23,2 milliards d’euros en 2019″ , note le Sénat.

Dans les faits, le budget de l’UE est voté sous la forme d’un “cadre pluriannuel” de 7 ans, et il est d’usage que, dans ce cadre, les Etats membres payent plus en fin d’exercice qu’au début (les projets en cours devant être soldés).

En 2007, la France a ainsi commencé l’exercice pluriannuel européen avec une contribution de 17,5 milliards d’euros. En 2012, celle-ci atteignait 21,3 milliards d’euros. Et l’année suivante, après l’entrée de la Roumanie dans l’UE (passage de l’UE27 à l’UE28), elle avait été portée à 23,3 milliards d’euros.

La contribution française au budget de l’UE pourrait ainsi être la même en 2019 qu’en 2013. Globalement, il est toutefois exact d’observer qu’elle a augmenté dans le temps, alors que la part que la France reçoit de l’UE chaque année est restée à peu près stable (autour de 13 milliards d’euros).

Cela s’explique en partie par le fait que le RNB par habitant de la France ne cesse, lui aussi, de croître, selon les chiffres de la Banque mondiale.

Le budget de l’UE a par ailleurs progressé au gré de l’intégration de nouveaux Etats membres. Ces derniers étant souvent moins riches que les anciens, les contributions nettes de la France et de l’Allemagne, notamment, s’en sont trouvées augmentées.

Le budget de l’UE est très conséquent ?
PLUTÔT FAUX

Le budget de l’UE ne représente qu’environ 1% de toute la richesse (PIB) produite chaque année par les vingt-huit pays membres de l’UE.

En 2018, le budget de l’Union européenne (en crédits de paiements) prévoyait ainsi 145 milliards d’euros de dépenses et de recettes, pour une population estimée à 513 millions d’habitants. Soit une dépense de 282 euros par tête et par an.

Le fonctionnement des institutions européennes (traduction, salaire des fonctionnaires…) représente 6% de ce budget.

A titre indicatif, et même si ces montants sont difficilement comparables en raison de compétences très différentes, le budget des Etats-Unis prévoyait 2 968 milliards d’euros de recettes et 3 325 milliards d’euros de dépenses en 2018, pour 327 millions d’habitants. Soit une dépense de 10 162 euros par tête.

Pour la France, le budget de la même année s’élevait à 302 milliards de recettes nettes et 386 milliards d’euros de dépenses nettes, pour 67 millions d’habitants. Soit une dépense de 5749 euros par tête.

“Le total des dépenses publiques engagées par les 28 États membres au plan national est presque cinquante fois supérieur au budget de l’UE” , note Marion Gaillard, spécialiste de la construction européenne.

Attention !

Lorsqu’on compare les chiffres disponibles en ligne, il faut prêter une attention particulière à ce qu’ils expriment. Le budget peut, notamment, être exprimé en crédits d’engagements ou en crédits de paiements.

Les engagements (160 milliards d’euros pour l’UE en 2018) contraignent l’UE à allouer des moyens à certains projets, contrats, travaux de recherche… au cours de l’année d’engagement ou au cours des années suivantes.

Les paiements (145 milliards d’euros pour l’UE en 2018) correspondent au montant que l’Union s’attend effectivement à dépenser au cours de l’année. Le budget de l’UE ne prévoyant pas de déficit, il correspond aussi aux recettes perçues par l’UE.

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