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[Fact checking] Entre un député européen et un député français, qui a le plus de pouvoir ?

Ils sont 751 au Parlement européen, 577 à l’Assemblée nationale. Les députés européens sont moins médiatisés, mais ont-ils moins de pouvoir que les députés français ?

L'Assemblée nationale et le Parlement européen jouent-ils à armes égales ? - Crédits : Funky Tee (Flickr) / Pixabay
L’Assemblée nationale et le Parlement européen jouent-ils à armes égales ? - Crédits : Funky Tee (Flickr) / Pixabay

La Constitution française et les traités européens fixent les attributions des députés de l’Assemblée nationale et des eurodéputés du Parlement européen. Plusieurs témoignages d’anciens élus des deux hémicycles et quelques statistiques sur les travaux parlementaires permettent néanmoins de préciser le rôle qu’ils exercent vraiment.

Les députés européens ne peuvent pas proposer de lois, contrairement aux députés de l’Assemblée nationale ?
PLUTÔT VRAI

Dans l’Union européenne, c’est la Commission européenne qui dispose du pouvoir d’initiative des “lois” . C’est donc elle qui, en premier lieu, les propose au Conseil de l’UE et au Parlement européen en vue de leur adoption. Elle suit toutefois les orientations définies par le Conseil européen, qui rassemble les Etats membres. Et en vertu de l’article 225 du traité sur le fonctionnement de l’UE, le Parlement peut également lui suggérer de proposer une législation “sur les questions qui lui paraissent nécessiter l’élaboration d’un acte de l’Union” .

De leur côté, les députés de l’Assemblée nationale - comme les sénateurs - peuvent déposer eux-mêmes des “propositions de lois” . Et ils ne s’en privent pas. Au cours de la dernière législature (2012-2017), 1 823 textes ont ainsi été proposés par les parlementaires français. Ils partagent néanmoins ce pouvoir avec le gouvernement, qui a déposé 434 “projets de lois” pendant la même période. Et dans les faits, ce sont ces projets - issus de l’exécutif comme à Bruxelles - qui constituent la grande majorité de la législation française adoptée : 75,5 % des textes adoptés entre 2012 et 2017 avaient été déposés par le gouvernement.

Par ailleurs, selon les études, de 10 à 30 % environ des lois françaises (et non pas 80 % comme on l’entend parfois) sont d’origine européenne. Il peut notamment s’agir de la transposition de directives, qui priment sur le droit national et qui sont adoptées… par les eurodéputés ! Par exemple, à l’automne 2017, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi antiterroriste inscrivant dans le droit français le “Passenger name record” (PNR), un système voté au Parlement européen en 2016.

L’européanisation des politiques nationales varie néanmoins fortement d’un secteur à un autre, comme l’explique Yves Bertoncini, l’ancien directeur de l’Institut Jacques Delors. Dans une synthèse de 2014, il a repris les estimations suivantes :

Les députés français sont plus indépendants que les eurodéputés ?
PLUTÔT FAUX

Au Parlement français, 78 % des projets de lois (déposés par le gouvernement) ont été adoptés au cours de la dernière législature (2012-2017), contre seulement 6 % des propositions déposées par les députés et les sénateurs. Deux taux qui montrent bien combien le vote des parlementaires français est, pour l’essentiel, conditionné par leur appartenance - ou non - à la majorité gouvernementale.

A l’Assemblée nationale, la partie se joue essentiellement entre la majorité et l’opposition. Cela donne lieu à de longues joutes verbales. Mais généralement, les projets du gouvernement sont adoptés par les députés de la majorité, tandis que les propositions de lois - le plus souvent issues de l’opposition (et notamment du groupe des Républicains depuis 2012) - sont retoquées. Ponctuellement, des frondeurs se démarquent, mais leur résistance reste rarement sans conséquence. En décembre 2018 par exemple, le député Sébastien Nadot a été exclu du groupe La République En Marche après avoir voté contre le budget 2019.

Au Parlement européen, les domaines dans lesquels les eurodéputés ont leur mot à dire sont plus limités que ceux qu’ont à connaître leurs homologues nationaux. Mais leur pouvoir d’intervention sur les projets d’actes législatifs (y compris le budget annuel de l’UE) est plus important, et s’exerce largement hors du giron de la Commission européenne. “Je ne dis pas que le Parlement européen est un bastion de courage politique, loin de là. Mais au moins, il existe une vraie autonomie du travail des parlementaires, condition indispensable pour pouvoir infléchir un texte” , note Jean-Sébastien Lefebvre, journaliste spécialisé en affaires européennes.

De plus, au sein de chaque groupe du Parlement européen, des élus de plusieurs pays se côtoient. Ils appartiennent à la même famille politique, mais leur sensibilité n’est pas toujours la même. Si des consignes de vote leur sont généralement transmises, comme à l’Assemblée nationale, les eurodéputés ont les mains bien plus libres pour y déroger. Le 15 février 2017, les socialistes français se sont par exemple opposés à l’accord de libre-échange avec le Canada (CETA), alors que la majorité du groupe des sociaux-démocrates l’a soutenu.

En France, avec le système majoritaire, “la volonté des uns l’emporte par K.O sur celle des autres” , écrit ainsi Jean-Louis Bourlanges, actuellement député MoDem des Hauts-de-Seine, après avoir été eurodéputé pendant 19 ans. Alors qu’ “en Europe, on identifie la fabrication de la loi à un patient travail d’écoute de chacun, de réduction des différences, et de délimitation artisanale d’un bien commun” , selon l’élu.

L’Opinion a aussi interrogé la députée MoDem Marielle de Sarnez, la députée UDI Sophie Auconie et leur consœur républicaine Constance Le Grip, toutes trois anciennes eurodéputées. La conclusion est sans appel : “l’influence d’un député européen est bien plus grande que celle d’un député national” , estime le journal.

La recherche systématique de compromis empêche le Parlement européen d’avancer ?
PLUTÔT FAUX

Au Parlement européen (comme dans beaucoup d’Etats membres de l’Union européenne), aucun groupe ne dispose, à lui seul, de la majorité. Des alliances sont systématiquement nécessaires, aussi bien pour faire passer les amendements des plus grands groupes que ceux des plus petits. “A partir du moment où vous suivez un dossier, si vous arrivez à fédérer autour de vous des députés d’autres partis politiques et d’autres pays, vous pouvez le faire avancer” , explique Edouard Martin, eurodéputé sortant (Génération.s) au Monde, en donnant pour exemple le refus d’octroyer le statut d’économie de marché à la Chine en 2016.

Dès lors, les eurodéputés manient plus aisément l’art du compromis que leurs homologues de l’Assemblée française. Les plus sceptiques jugeront que les textes adoptés par le Parlement européen sont trop souvent réduits au “plus petit dénominateur commun” . Mais ce n’est pas toujours vrai. En 2017, la Commission européenne avait par exemple proposé de réduire de 30 % les émissions de CO2 des voitures neuves d’ici à 2030. En 2019, après que le Parlement a proposé de rehausser cet objectif à 40 %, il s’est entendu sur l’objectif de 37,5 % avec le Conseil, traditionnellement moins ambitieux que la Commission.

La procédure est, il est vrai, beaucoup plus longue à Strasbourg qu’à Paris. Entre 2014 et 2019, la plupart des actes législatifs ont été adoptés en première lecture, en 18 mois en moyenne. “Si un acte législatif doit faire l’objet d’une deuxième lecture, la durée moyenne de la procédure atteint 39 à 40 mois” , reconnaît le Parlement européen. Mais in fine, environ un acte législatif sur deux est adopté au Parlement européen, contre un sur cinq à l’Assemblée nationale.

Les observateurs les plus bienveillants comme Jean-Louis Bourlanges soutiennent donc que le compromis permet bel et bien d’avancer. Et démocratiquement à 28 pays, en tenant compte de la voix de chacun, plutôt qu’en imposant les vues d’une moitié d’Européens sur tous les autres peuples du continent.

Interrogé par Toute l’Europe après vingt-cinq années de service au Parlement européen, Alain Lamassoure n’hésite pas à aller encore plus loin : “un député européen ordinaire a une capacité à faire avancer les sujets, inventer des solutions, incomparablement plus grande qu’un député national” , voire même que la plupart “des ministres du gouvernement français” .

Le Parlement européen n’a aucun pouvoir de contrôle sur la Commission européenne ?
FAUX

La Constitution française prévoit que l’Assemblée nationale peut adopter une motion de censure ou “désapprouver le programme ou une déclaration de politique générale du gouvernement” . Ce qui doit entraîner sa démission. Une centaine de motions ont ainsi été déposées sous la Ve République, mais une seule a été adoptée, sous la présidence du Général de Gaulle en 1962, conduisant à la démission du gouvernement Pompidou.

De même, le Parlement européenexerce des fonctions de contrôle politique” , selon le traité sur l’Union européenne. Les eurodéputés peuvent adopter une motion de censure pour obliger les membres de la Commission à “démissionner collectivement de leurs fonctions” . “Aucune des huit motions de censure soumises jusqu’ici au Parlement n’a été adoptée” , précise l’institution. Mais en 1999, sous la menace d’un tel scénario, “la Commission Santer a démissionné avant que le Parlement ne la dissolve” .

En revanche, si l’Assemblée nationale peut être dissoute par le président de la République (c’est ce qui s’est produit à 5 reprises, dont en 1962 sous Charles de Gaulle, en représailles à la motion de censure), le Parlement européen est à l’abri d’un tel retour de bâton.

Par ailleurs, ce sont les eurodéputés qui sont chargés d’élire le président de la Commission européenne, sur proposition des chefs d’Etat et de gouvernement. Et une fois désigné par le Conseil européen, c’est l’ensemble des commissaires, en tant que collège, qui est soumis à un vote d’approbation du Parlement européen.

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