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Face au défi des migrations “Il faut absolument rester dans une logique de solidarité”

Depuis 2015 et l’aggravation du conflit syrien, l’Union européenne se retrouve confrontée à une crise humanitaire sans précédent. Face à l’urgence et aux inquiétudes que ce phénomène suscite, les Vingt-Sept peinent encore à coordonner leurs efforts et à présenter un front uni.

Pour mieux décrire la position de l’Europe face au défi des migrations et de la solidarité, Toute l’Europe interroge Jean-Christophe Dumont, chef de la division Migrations internationales de l’OCDE, rencontré à l’occasion de l’édition 2017 du Printemps de l’économie.

réfugiés syriens

En 2015, l’Allemagne a accueilli près d’un million de réfugiés et la France 80 000. Ces arrivées représentent un réel défi logistique mais aussi d’intégration. Comment ces deux pays procèdent-ils ?


Jean-Christophe Dumont, chef de la division Migrations internationales de l’OCDE

La première étape qui est universelle, est celle du processus de reconnaissance du statut de demandeur d’asile. Que ce soit en France ou en Allemagne, cette étape se déroule de façon relativement similaire. En revanche, là où des disparités se font sentir, c’est en matière d’hébergement et d’accueil offerts pendant la période de traitement de la demande d’asile.

En France, l’aide qui est fournie au travers du contrat d’accueil et d’intégration n’est offerte qu’à partir du moment où le statut de demandeur d’asile est reconnu, ce qui peut être long. En Allemagne, mais aussi en Suède et dans la plupart des pays de l’OCDE, l’accès aux cours de langue, voir l’accès à l’évaluation des compétences et à la formation professionnelle est possible pour ceux qui ont une forte probabilité de rester. C’est-à-dire pour les personnes dont on sait que la nationalité correspond à un taux de reconnaissance élevé. Mis bout à bout, ces éléments débouchent sur des différentiels en terme de réussite et d’accès à l’emploi.

Deuxième différence, structurelle cette fois : la France est confrontée depuis de nombreuses années, à un lourd déficit de places d’hébergement d’urgence. Ceci n’a en revanche rien à voir avoir la crise des réfugiés, qui ne fait que rappeler à la France cette réalité.

Nous savons depuis de nombreuses années que l’Allemagne se trouve confrontée à des défis démographiques majeurs, menaçant son économie. En accueillant des réfugiés, travailleurs potentiels, Angela Merkel fait-elle davantage preuve de pragmatisme que de générosité ?

Les flux de réfugiés se sont concentrés vers l’Allemagne avant même les déclarations d’ouverture de la chancelière allemande. Parmi les raisons qui ont poussé les réfugiés à s’arrêter en Allemagne, il y a évidemment la bonne santé économique du pays, mais aussi la politique d’accueil qui s’est mise en place très tôt à destination des migrants venus de Grèce et de Turquie. Les déclarations publiques d’Angela Merkel n’ont fait que renforcer cette dynamique. Il est évident que la prise de position de la chancelière allemande a été favorisée par un contexte qui tendait à prouver qu’il y avait un déficit de main d’œuvre en Allemagne. Cependant elle n’a pas été justifiée par ce contexte. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne a une grande tradition d’accueil, qui s’inscrit aussi dans sa propre histoire et notamment dans celle de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis janvier 2017, on parle d’un retour des réfugiés vers Calais, comment expliquez-vous ce phénomène ? Et le silence des autorités ?

Les réfugiés ont été envoyés vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO) au moment du démantèlement de Calais avec, pour certains, l’idée que le processus allait se passer vite et sans écueil. Nombre d’entre eux, majoritairement des mineurs, pensaient avoir rapidement la possibilité de rejoindre le Royaume-Uni. Ça n’a pas été le cas. Plus généralement, les réfugiés se sont rendus compte que les démarches allaient prendre plus de temps et être plus complexes que prévu. C’est pourquoi certains ont eu l’idée de retourner en arrière pour retenter leur chance. Je ne connais pas les faits précisément, mais je ne crois pas que l’on soit aujourd’hui confronté à une reconstruction de la jungle, même si quelques personnes y retournent. De nombreux réfugiés ont abandonné l’idée de rejoindre le Royaume-Uni.

Tout autour de la Méditerranée, l’Union renforce ses liens avec les pays tiers, notamment la Turquie, la Tunisie, l’Egypte ou encore la Libye pour contenir l’afflux des migrants. Cependant, ces régimes sont souvent instables et versatiles. La stratégie de Bruxelles est-elle à ce titre viable ?

Cette question est très complexe. Effectivement, cette proposition est sur la table et a d’ailleurs déjà été mise en œuvre ailleurs, notamment par l’Australie, qui a “sous-traité” l’accueil des réfugiés à d’autres Etats, en leur accordant éventuellement une compensation financière. En théorie, cette politique pourrait être compatible avec les obligations humanitaires des pays membres, cependant il convient de s’interroger sur la capacité des pays d’accueil intermédiaires à offrir des solutions durables. Tandis que la question des droits et de la pérennité des solutions proposées soulèvent des interrogations.

Jusqu’à quand l’Union européenne pourra-t-elle s’accommoder de sa décision de maintenir des migrants de l’autre côté de la Méditerranée ?

Cette question est également très complexe car il faut regarder la situation d’une façon un peu équilibrée. L’Europe n’a pas vocation à accueillir tous les Syriens qui sont déplacés. Et il est toujours mieux pour les personnes déplacées de rester au plus proche de leur pays d’origine. D’ailleurs c’est souvent ce que les réfugiés souhaitent eux-mêmes, car ils ont l’espoir d’y retourner une fois le conflit terminé. Donc l’accueil dans les pays limitrophes de la zone de conflit - si on parle de conflit car d’autres cas se présentent - fait partie de la solution.

La capacité de la communauté internationale à aider les pays concernés à fournir des conditions décentes, mais aussi des opportunités en termes de développement, d’éducation, de santé, et puis d’emplois, fait également partie de la solution. Ensuite, évidemment, toute la question est de savoir quelle part de l’effort en termes d’accueil peut-être assumée par des pays qui sont plus lointains. Il convient de reconnaitre que les pays limitrophes ne peuvent pas forcement absorber l’ensemble du flux.

Et puis, il y a également des personnes qui ne souhaiteront pas rester proches de la zone de conflit et aller plus loin. Dans ce cas il faut réfléchir à des solutions qui permettent aux individus d’être plus en sécurité, d’organiser mieux ces mouvements et évidemment de réduire le marché des passeurs et leurs bénéfices. Tout cela appelle donc à des solutions sans doute plus structurelles en termes de réinstallations.

Les dirigeants européens semblent plutôt frileux à l’idée d’ouvrir leurs portes à un plus grand nombre de migrants. Menacés dans leur propre pays par la montée des sentiments nationalistes, peut-on dire que les Occidentaux ont fait le choix de renoncer face aux populismes ?

Ce qui est sûr c’est qu’il y a un risque d’une course vers le moins-disant si on ne se met pas d’accord sur des standards minimums. Ces normes de base permettraient d’éviter que certains pays ne réduisent systématiquement leurs droits, afin de se rendre volontairement moins attractifs. En Europe, un certain nombre de directives encadrent le droit au regroupement familial ou les conditions d’accueil. Il faut les renforcer et les élargir à d’autres catégories de réfugiés, notamment ceux qui sont sous protection subsidiaire et temporaire. Il faut absolument rester dans une logique de solidarité vis-à-vis des bénéficiaires évidemment, mais aussi entre Etats membres, et plus généralement au niveau international. Cette dynamique existe, même si elle n’est pas complètement arrêtée, puisque des efforts sont réalisés au niveau des Nations unies pour définir un plan de réponse global à la fois sur l’immigration et sur les réfugiés. Il faut néanmoins qu’ils se concrétisent par des actions et des engagements qui sont mesurables.

On pointe régulièrement du doigt la Pologne pour sa politique jugée anti-migrants. Pourtant le pays a accueilli une bonne partie de la diaspora ukrainienne ces dernières années. Pourquoi en parle-t-on si peu ?

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont accueilli une bonne partie de la diaspora ukrainienne. Il est vrai qu’en termes de demandes d’asile c’est la première nationalité en Europe. Nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur le fait que la Pologne ait reçu plus de migrants que l’Allemagne en 2016. Il y a une dynamique très forte d’immigration vers la Pologne, temporaire et de travail. Elle est ancrée dans une logique régionale avec notamment l’Ukraine mais aussi la Biélorussie, la Moldavie, la Géorgie. Il est donc inexact de dire que la Pologne ne veut pas de migrants. En revanche, la Pologne avec d’autres pays d’Europe centrale a été effectivement vent debout contre l’automaticité de l’accueil ou du partage des réfugiés par la Commission. Cela renvoie à des questions identitaires, à l’histoire de ces pays.

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