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Europe de la défense : “L’élection de Donald Trump nous fait entrer dans une ère d’incertitudes”

En septembre dernier, dans un climat fragilisé par le référendum sur le Brexit, le sommet européen de Bratislava a émis des propositions concrètes pour faire avancer l’Europe de la défense. Des propositions dont certaines sont à l’initiative de la France et de l’Allemagne, et surtout portées par une nouvelle dynamique du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qui s’est donné un an pour relancer le dossier. Cinq semaines après la victoire de Donald Trump, le projet d’une défense européenne est plus que jamais d’actualité. Arnaud Danjean, député européen membre des Républicains, spécialiste des questions de défense et de sécurité, et ancien fonctionnaire de la DGSE, fait le point pour Toute l’Europe.

Arnaud Danjean au Parlement européen

Touteleurope.eu : L’élection de Donald Trump est-il l’électrochoc qui pousse les Etats membres à passer à la vitesse supérieure pour relancer l’Europe de la défense ? 

Arnaud Danjean : J’aurais préféré que cet électrochoc soit fourni par l’ensemble des crises qui affectent et menacent notre sécurité du Proche-Orient à l’Ukraine en passant par la Libye ou le Mali. Autant de bonnes raisons de s’intéresser à l’Europe de la défense.

Arnaud Danjean, député européen

Arnaud Danjean
est député européen (PPE) depuis 2009. Spécialiste des questions de défense et de sécurité, ancien fonctionnaire de la DGSE, il est membre de la commission Affaires Etrangères & sous-commission Défense du Parlement Européen.

L’élection de Donald Trump nous fait entrer dans une ère d’incertitudes. De ce point de vue-là, un certain nombre de pays se réveillent en réalisant qu’à l’avenir ils ne pourront peut-être pas compter autant qu’ils le pensaient sur les Etats-Unis et qu’il faut qu’ils se prennent en main eux-mêmes pour avancer sur l’Europe de la défense.

On attend beaucoup d’une impulsion franco-allemande. L’Allemagne évolue-t-elle sur ce sujet ? 

Oui c’est un des phénomènes marquants et sans doute l’un des plus tangibles de la progression de ce dossier mais qui reste assez embryonnaire. L’attitude allemande a beaucoup évolué ces derniers mois, en particulier sous l’impulsion de la ministre de la Défense Ursula von der Leyen qui depuis des années répète que l’Allemagne doit assumer plus de responsabilités y compris au niveau européen. Les lignes sont en train de bouger.

Cela signifie-t-il que la France et l’Allemagne vont augmenter la part de leur budget consacré à l’Europe de la défense ?

C’est le cas de l’Allemagne en particulier qui a fourni un effort de défense très important et qui est passée devant la France. En matière de défense, c’est le 2e budget européen après le Royaume-Uni. Il s’agit d’un budget qui n’est pas affecté de la même façon que l’est le budget français. Berlin participe à moins d’opérations extérieures que la France. Elle investit moins dans ses équipements que Paris et a un retard à combler.

J’espère que la France, qui a sanctuarisé son budget de défense à défaut de véritablement l’augmenter, va fournir un effort de défense encore plus conséquent car les défis sont colossaux.

L’une des idées forces est celle d’un siège unique pour les opérations et missions civiles et militaires de l’UE. Il s’agit de créer un état-major européen situé dans la capitale belge. Concrètement comment fonctionnerait-il ? Tous les pays membres seraient-ils concernés ? 

Les pays membres de l’UE et les pays qui participent à la politique de sécurité et de défense commune seront concernés, avec plus d’une vingtaine d’opérations en court. Ces dernières vont des opérations classiques de maintien de la paix, jusqu’à des opérations civiles d’observation de cessez-le-feu en Géorgie ou encore des missions de formation de l’armée malienne à Bamako. Lorsque ces missions sont déployées, l’UE ne dispose pas d’une structure à Bruxelles adaptée pour piloter ces opérations. On s’en remet alors aux Etats membres pour fournir des infrastructures de pilotage de ces opérations.

Par exemple, il y a quelques mois lors d’une opération en Centrafrique, pour piloter cette mission on ne pouvait pas le faire depuis Bruxelles, on le faisait depuis Larissa, en Grèce. Ce n’est pas très adapté en termes de chaine de commandement, d’infrastructure, de logistique, d’avoir à se délocaliser dans un autre Etat membre pour mener une opération sur un autre continent.

Ce serait beaucoup plus pratique et beaucoup moins couteux d’avoir un centre de planification et de conduite des opérations, un petit état-major qui permette de gérer au mieux et le plus directement possible ces opérations et missions européennes.

Le Royaume-Uni a toujours été strictement opposé à la perspective d’un “quartier général” bruxellois, les Britanniques ayant choisi de quitter l’UE, le champ est libre pour avancer sur ce projet ? 

C’est un dossier dont on parle depuis des années et qui était objectivement bloqué par les Britanniques. Le Brexit donne une nouvelle vigueur à ce projet mais un certain nombre de pays s’inquiètent de voir dans ce projet une structure concurrente aux états-majors de l’OTAN alors que nous en sommes très loin en termes d’ampleur, de nombre, et même de complexité des opérations à traiter. Le projet avance mais il reste encore des détails et des obstacles à vérifier entre Etats membres.

Autre piste pour avancer sur l’Europe de la défense : au Parlement européen vous plaidez avec d’autres groupes politiques pour une autonomie stratégique de l’Union européenne. Pourquoi est-ce un enjeu fondamental ?

Ce n’est pas une nouvelle piste à ouvrir ou à explorer par rapport à d’autres projets un peu plus concrets qui existent dans les textes du Conseil de l’UE ou de la Commission européenne. Il s’agit plutôt de la philosophie d’ensemble pour laquelle nous plaidons depuis des années et qui consiste à dire que les Européens doivent être les acteurs de leur propre sécurité et ne pas avoir à s’en remettre systématiquement et exclusivement à des alliances extérieures pour assurer leur sécurité.

Demain, à la table de l’OTAN, vont siéger Recep Tayyip Erdogan et Donald Trump. Je n’ai pas une confiance absolue dans leurs orientations par rapport à la sécurité européenne. J’espère qu’ils resteront fidèles aux engagements de l’OTAN mais je n’en suis pas certain. Dans cette ère d’incertitudes, je veux que l’UE et les Européens soient capables d’assurer eux-mêmes leur sécurité.

Il est question de créer un Fonds européen de la défense, comment sera-t-il financé ? 

C’est la grande nouveauté. La défense est un domaine intergouvernemental, c’est à dire que ce sont les Etats membres qui fixent les orientations en matière de défense. Phénomène inédit, depuis quelques mois Jean-Claude Juncker a manifesté une ambition nouvelle pour la Commission européenne afin qu’elle puisse s’impliquer dans le financement de la recherche et du développement de l’industrie de la défense.

Ce plan d’action est bienvenu sur le principe mais il reste encore assez vague dans ses modalités. Aux côtés du Conseil, de l’Agence européenne de défense et des industriels, le président souhaite que la Commission européenne puisse piloter un certain nombre de programmes dans lesquels on injecterait de l’argent communautaire.

Il y a deux volets : la recherche et développement d’une part et les capacités d’autre part. Pour ce dernier volet, cela signifie que plusieurs Etats européens décident de se doter en commun d’un certain nombre d’équipements militaires qui coûtent très cher et qu’ils ne peuvent pas financer seuls. La Banque européenne d’investissement et la Commission pourraient leur donner un coup de pouce mais il faut encore régler certains détails, comme par exemple celui de la gouvernance de ces programmes. C’est tout à fait embryonnaire, mais cela montre que toutes les institutions européennes se sentent concernées par ces problématiques de défense.

En terme de calendrier, Jean-Claude Juncker s’est donné un an en septembre 2017 pour relancer l’Europe de la défense, quels seront les temps forts d’ici là ?

Je reste assez prudent. Nous allons dans le bons sens mais nous avons eu plusieurs espoirs douchés par le passé. Depuis 1999 et la véritable relance de la politique de l’Europe de la défense, nous n’avons pas beaucoup progressé. Nous sommes encore loin des objectifs fixés par le Conseil européen en 2013.

Ce que nous pouvons espérer, c’est avoir dans un délai raisonnable d’un an des projets concrets en termes de financement et que nous aurons avancé sur la création de cet état-major à Bruxelles. Mais tout dépend de la bonne volonté politique des Etats membres. C’est un domaine sensible qui touche à la souveraineté nationale.

Compte tenu de l’insécurité qui règne aux portes de l’Europe, en 2017 la défense sera un sujet important dans la campagne de l’élection présidentielle en France et celle des élections législatives en Allemagne. La prise de conscience qui existe en Allemagne est tout à fait intéressante. Si les prochains gouvernements issus de ces élections manifestent le même allant que les gouvernements actuels pour concrétiser des projets déjà dans les tiroirs depuis des années, nous pouvons espérer des résultats concrets dès la fin de l’année 2017.

Propos recueillis par Alexandra Lesur

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