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EU-Talk n° 28 avec Albrecht Sonntag, spécialiste des politiques du football européen

Le 10 juin dernier était donné le coup d’envoi de l’Euro 2016 de football au Stade de France. Troisième évènement sportif mondial par son ampleur, l’Euro réunit pendant tout un mois des millions de supporters autour de leur équipe. Un mois de football, un mois de fêtes mais surtout un mois d’enjeux ! Sportifs, économiques, sécuritaires, sociaux, culturels … les enjeux de cette compétition et plus largement du football européen sont immenses et invitent à de nombreuses questions.

A l’occasion de l’Euro 2016, Toute l’Europe vous a proposé d’échanger sur le thème “Les enjeux du football européen”, jeudi 16 juin, entre 13h et 14h, avec Albrecht Sonntag, spécialiste des politiques du football européen.

EU-Talk Albrecht Sonntag - Football européen

Albrecht Sonntag dirige l’EU-Asia Institute à l’ESSCA Ecole de Management, Angers. Depuis près de vingt ans, il étudie les multiples dimensions socio-culturelles et politiques du football européen. Il a été le coordinateur du projet de recherche transnational FREE (“Football Research in an Enlarged Europe”). Plus récemment, il a rédigé un rapport pour l’UNESCO sur la lutte contre le racisme et la discrimination dans le football international et un guide de voyage à l’intention des visiteurs allemands de l’Euro 2016. En 2015-2016, il a été membre du “High-level Group” sur la diplomatie du sport mis en place par le Commissaire Tibor Navracsics. Enfin, il est membre du Conseil scientifique du think tank européen Sport et citoyenneté.

Retrouvez ci-dessous le transcript de ce chat :

12h53 Toute l’Europe :
Bonjour ! Le chat avec Albrecht Sonntag va bientôt commencer !

13h01 Commentaire de la part de Albrecht Sonntag
Coup d’envoi ! Arbitré par l’équipe de Toute l’Europe, le match verbal peut commencer…

13h01 Commentaire de la part de michel45
Bonjour, croyez-vous plausible la création, à terme, d’une “superligue” regroupant les plus grands clubs européens ?

13h02 Albrecht Sonntag :
Plausible, absolument. Souhaitable, c’est une autre question.
En fait, les forces du marché - notamment les “grands clubs” ou qui croient l’être - pousseront forcément dans cette direction.
Est-ce pour autant compatible avec ce qu’on appelle “le modèle européen du sport” ? Il me semble que non.
L’Union européenne a-t-elle les moyens de contrecarrer une telle initiative, qu’elle vient de l’UEFA ou d’acteurs privés ? Sans doute pas. A voir s’il y a des résistances dont on ne se doute pas encore.

13h05 Commentaire de la part de androssy
Le football européen devrait-il assumer le sport spectacle à l’américaine qu’il est devenu, avec des ligues fermées ou encore un salary cap ?

13h06 Albrecht Sonntag :
Une question qui fait un peu suite à la précédente et qui est aussi pertinente.
En revanche, vous mentionnez deux phénomènes qui ne sont pas forcément liés ! Il serait parfaitement possible d’introduire un salary cap dans le football européen tel qu’il est organisé actuellement, si seulement les clubs l’acceptaient. Il me semble même que c’était dans le cahier de charges initial de la task force du financial fair-play.
En même temps, une ligue fermée est aussi imaginable sans salary cap. Et si elle devait advenir sur le plan européen, je suis presque certain que les très grands clubs feront tout pour éviter de passer par le salary cap.

13h08 Commentaire de la part de dfhgh
bonjour monsieur, pouvez nous en dire plus sur le modèle europeen du sport dont vous parliez ?

13h09 Albrecht Sonntag :
C’est une vision de l’organisation du sport qui est basée sur un genre de pyramide ininterrompue entre le niveau “grassroots” dans les clubs locaux et le tout haut niveau.
Il y a donc une perméabilité entre les différents niveaux de la pyramide, ce qui nécessite un système de promotion/rélégation.
Le modèle européen du sport postule clairement que le sport ne devrait jamais être uniquement et exclusivement spectacle, mais que c’est un vecteur de citoyenneté et d’intégration sociale.
Aujourd’hui, l’Union européenne insiste beaucoup moins sur son “modèle européen du sport” , probablement parce que la Commission se rend compte qu’elle ne possède pas tous les outils de le défendre contre les forces du marché.

13h12 Commentaire de la part de codeurdu59
Est-ce que le football calme les tensions politiques actuelles ?

13h13 Albrecht Sonntag :
Très bonne question. Vous parlez des tensions politiques en France, n’est-ce pas ? Réponse ambivalente : oui, le football, avec sa surmédiatisation monopolise un peu la sphère publique, d’autant plus que l’Euro a lieu en France.
Il y a sans doute aussi certaines personnes qui considèrent l’Euro comme une trêve où un “intérêt supérieur” est en jeu et qu’il convient de reprendre le manifestations après, plutôt que pendant.
Ceci dit, en France, plus que dans d’autres “grands” pays de football, l’idée selon laquelle le football serait “un opium du peuple” servant à asservir et abrutir les masses, semble toujours être défendue par un nombre significatif de citoyens.
Ce n’est pas mon opinion. L’histoire du football nous enseigne que les stades ont toujours été des endroits où la liberté d’expression dépassait celle de la vie quotidienne “normale” . Je ne suis donc pas un partisan de la théorie “du pain et du cirque” , selon laquelle les dirigeants occupent le pauvre peuple (incapable de penser pour lui-même paraît-il) pour qu’il ne s’occupe pas de la politique…

13h17 Commentaire de la part de sarahc
Bonjour, avec les événements récents, qui est responsable des incidents parvenus à Marseille ? l’UEFA ? L’Europe ? Les Clubs ? Les Etats ? La ville ?

13h18 Albrecht Sonntag :
Des événements de ce genre ont souvent plusieurs causes, et une responsabilité partagée.
Les villes ont-elles sous-estimé l’afflux de personnes indésirables dans un pays facile d’accès, avec toutes les infrastructures de transport nécessaires, et des frontières nombreuses et tout de même ouvertes ? Sans doute.
La police est-elle a) fatiguée, et b) plutôt enclin à voir dans un supporter de football un danger potentiel qu’il convient de combattre durement ? Sans doute les deux.
Les médias n’adorent-ils pas ce type d’événement pour le passer boucle et ainsi agrandir son impact ? Sur les réseaux sociaux, il y a pas mal de témoignages qui confirment certains reportages, mais il y en a aussi de plus en plus d’autres qui disent qu’ils n’ont rien vu d’inquiétant durant toute la première semaine.
Visiblement, il y a toujours le danger qu’une minorité monopolise l’espace médiatique par ses actions spectaculaires et violentes, alors qu’une grande masse de personnes est en train de passer un bon moment en France.

13h22 Commentaire de la part de jiaijo
Bonjour Monsieur, l’implication de hooligans russes à Marseille signifie-t-elle que le phénomène s’est déplacée vers l’Est de l’Europe ?

13h23 Albrecht Sonntag :
Sans utiliser forcément le terme “hooligan” , on peut parler d’individus enclins à la violence, souvent avec des tendances proches de l’extrème droite. Ce phénomène est simplement mieux combattu en Europe occidentale, mais il existe aussi chez nous.
Prenez l’Allemagne : cela semble être le pays avec la meilleure prise en charge des supporters, avec le meilleur encadrement des groupes ultra, avec la meilleure politique de prévention contre des actes de violences au stade. Et pourtant, il y a une frange qui est susceptible d’arborer des symboles nazis, d’utiliser un langage raciste, de chercher la violence.
Le PDG du Borussia Dortmund, franchement un exemple dans le suivi et l’accompagnement de ses supporters, m’a confié qu’il avait peur chaque samedi quand il voyait le célèbre “mur jaune” et qu’il était à chaque fois soulagé si cela s’était bien passé.
Ce qui est inquiétant par rapport à l’Europe de l’Est, et surtout par rapport à la Russie, c’est qu’il y a des politiques qui défendent le hooliganisme ou la violence de type “hyper-masculine” comme une bonne chose, un comportement “naturel” en sorte. Cela, effectivement, vous ne trouverez plus à l’Ouest.

13h28 Commentaire de la part de Jules
On n’entend presque plus parler du “fair-play financier” : l’idée est-elle enterrée ?

13h29 Albrecht Sonntag :
Pas du tout. Au contraire, les formalités à remplir par les clubs européens en matière d’audit financier n’ont rien à envier à la bureaucratie de la politique agricole commune (je plaisante 🙂
Mais sérieusement : les finances sont bien contrôlés. Maintenant, comme il fallait s’y attendre, il est extrêmement difficile de prouver des méfaits ou d’appliquer des sanctions.
Et surtout, on est en train de constater que le fair-play financier n’établit pas vraiment plus de concurrence saine ou d’égalité des chances, mais cimente au contraire le statut de ceux qui sont devenus très riche (de quelque manière que ce soit…) au détriment de ceux qui souhaiteraient les imiter.
Ce n’est donc pas encore l’heure de l’enterrement du fair-play financier - d’autant que l’un de ses effets immédiats a effectivement été de réduire la masse globale de la dette des clubs européens - mais c’est l’heure des ajustements. Attendons peut-être l’élection du successeur de Michel Platini à la tête de l’UEFA…

13h32 Commentaire de la part de minorityreport
Les droits télé explosent (notamment en Angleterre), mais l’endettement de certains clubs reste énorme. L’économie du foot n’est-elle pas une bulle prête à exploser ?

13h33 Albrecht Sonntag :
Oui. Une autre question ?

13h33 Commentaire de la part de s.laurent
Un évènement sportif international est-il bénéfique économiquement pour le pays hôte ? N’est-ce pas un gouffre financier ?

13h34 Albrecht Sonntag :
Je dois m’excuser auprès de minorityreport d’abord : je ne voulais pas vous envoyer balader. (Je reviens tout de suite à la question de s.laurent, question très pertinente).
Alors : oui, les droits télé explosent en Angleterre, et l’expérience nous dit que tout le bénéfice que font les clubs grâce à cette manne, va directement dans la poche des joueurs (et de tout ce qui tourne autour). J’ai écrit une chronique sur lemonde.fr sur ce phénomène de bulle et ce que j’en pense. Vous la trouvez facilement en ligne sous le titre évocateur “Désabonnez-vous!”

Maintenant, la question de s.laurent. Vous avez raison. Je ne parlerai pas d’un gouffre, mais la recherche sur les méga-événements montre clairement que les coûts engendrés par l’organisation d’une telle compétition dépassent les retombées économiques potentiels (qui sont systématiquement gonflées dans la phase de candidature et de préparation).
Une ville comme Bordeaux, symbole mondial du vin, a-t-elle besoin d’organiser Autriche - Hongrie pour augmenter sa notoriété ? On peut en douter.
Pour une ville comme Lens, peu connu à l’étranger, la notoriété qu’elle peut obtenir grâce à l’Euro, elle en fera quoi ? Cela risque tout de même pas d’attirer une foule d’investisseur ?
J’ai conduit une recherche de terrain comparative il y a pas mal d’années maintenant sur les Coupes du monde 1998 et 2006. And the winner is :
a) la FIFA (ou dans le cas de l’Euro : l’UEFA). Le méga-événement est la vache à lait qui permet de financer beaucoup d’autres choses. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose : les compétitions de jeunes, ou les tournois féminins ne sont pas en mesure de s’auto-financer. Ils bénéficient donc des revenus générées par les méga-événements.
b) les fédérations nationales : ils reçoivent une partie non-négligeable des recettes. Cela leur permet de soutenir financièrement leur football amateur. On ne va pas s’en plaindre.
c) les ligues professionnelles : les méga-événements sont une occasion en or pour obtenir des infrastructures flambant neuf à moindre coût, puisque pour la construction des stades, il y a beaucoup d’argent public qui est utilisé. Dans la foulée de l’événement, cela permet de mieux accueillir le public habituel, et ainsi d’augmenter les ressources du football professionnel dans le pays concerné.

13h44 Commentaire de la part de Sportetcitoyennete
Qui gouverne le foot en Europe ?

13h45 Albrecht Sonntag :
Le football en Europe est gouverné à différents niveaux par différents acteurs. Sur les deux dernières décennies, le centre de gravité s’est déplacé de plus en plus vers le niveau européen, mais les fédérations nationales, et les ligues professionnels dans les différents pays ont encore beaucoup d’impact dans la gouvernance du football.
Ce n’est certainement pas la Commission européenne qui gouverne ce sport, et elle se gardera bien à le faire (autonomie du sport oblige !) En revanche, c’est bien son job de veiller à ce que cette activité économique de plus en plus importante et de plus en plus transnationale respecte la loi.
Dans le projet de recherche FREE (www.free-project.eu), nous avons plaidé pour une meilleure reconnaissance et implication des supporters (notamment des supporters organisés) dans les instances de gouvernance et dans les clubs.
On n’y est pas encore, mais l’idée fait son chemin. Le principe d’une bonne et saine gouvernance du football devrait être celui d’une implication de l’ensemble des “stakeholders” (parties prenantes). Cela permettrait de garantir que le jeu ne vend pas entièrement son âme, mais reste un vecteur d’intégration sociale et d’appartenance locale ;

13h49 Commentaire de la part de youtissha
Quelles sont les politiques actuelles menées par les grandes instances du football pour lutter contre le racisme ?

13h51 Albrecht Sonntag :
Il ne faut surtout pas sous-estimer la sincérité avec laquelle les instances de gouvernance du football combattent le phénomène. D’abord par conviction, car le racisme (et toute discrimination, en fait) est contraire aux valeurs fondamentales de diversité et d’inclusion du football.
Ensuite, aussi par intérêt : le spectacle est quand même plus sympa s’il est porté par des valeurs positives que s’il est perturbé par des violences verbales insoutenables. Bref : les instances de gouvernances font quelque chose.
Font-ils ce qu’il faut faire ? C’est une autre question. J’ai rédigé l’année dernière un rapport pour l’UNESCO sur la lutte contre le racisme et la discrimination dans le football, et nous sommes arrivés à la conclusion qu’ils ne s’y prennent pas toujours très bien.
Par exemple, punir des clubs entiers pour le comportement d’une minorité, cela peut être très contre-productif auprès du grand nombre de supporters qui n’a rien fait de mal.
Il faut aussi veiller à ne pas “surcharger la barque” en répétant sans cesse qu’il faut combattre le racisme, alors que le phénomène a considérablement diminué ces quinze dernières années (à des degrés différents selon les pays, il est vrai).
Ce qu’il faudrait faire, en fait, c’est mieux aider les initiatives antiracistes portés par les fans de foot, les clubs de supporters eux-mêmes. Il n’y a rien de mieux que l’auto-régulation si on veut en venir à bout de ce racisme résiduel qu’on peut encore rencontrer au stade.
Si vous avez envie, vous pouvez télécharger le rapport gratuitement, de mémoire sous http://www.essca.fr/UNESCO - bonne lecture !

13h58 Commentaire de la part de theo
Un Brexit aura-t-il des conséquences pour les joueurs et le bon fonctionnement de la Premier league et des autres ligues nationales ?

13h58 Albrecht Sonntag :
Déjà 13h58 - on s’approche des arrêts de jeu ! Mais comme les arbitres sont très généreux ces jours-ci …
Le Brexit n’aurait à mon avis aucun impact sur le football. Il n’y a aucun besoin d’être un Etat-membre de l’Union européenne pour avoir une fédération membre de l’UEFA. La preuve : la Turquie fait partie de l’Europe de football de manière stable et indiscutable.
Et la PremierLeague n’a vraiment aucun intérêt de revenir sur la libre circulation des joueurs ! Les dirigeants et les clubs savent très bien l’avantage qu’ils tirent du fait qu’elle soit capable d’attirer les meilleurs joueurs d’Europe ou d’ailleurs.
Donc, je ne vois vraiment pas. Longue vie au business de la Premier League 🙂

14h02 Commentaire de la part de lucas.moura
Le football, et plus largement le sport, participe-t-il directement ou indirectement à la construction européenne ?

14h03 Albrecht Sonntag :
Ah ! on a gardé la question la plus difficile pour la fin !
Le football est une passion européenne qui arrive à mobiliser énormément de gens, que ce soit dans les stades ou dans l’échange (inépuisable) autour de ce sujet. Cet échange, il est de plus en plus transnational, comme notre recherche l’a démontré.
Et cet échange participe effectivement d’une meilleure compréhension entre les individus normalement un peu “emprisonnés” dans un discours médiatique et politique très national.
Si on comprend donc par “construction européenne” la construction d’un espace de communication et de partage dans lequel on apprend à mieux se connaître, voire à mettre des stéréotypes en question, oui, le football y participe, à son niveau et de sa propre manière. Ce n’est pas rien.
Peut-il pour autant aider à la construction d’un ensemble politique supranational ? J’en doute. D’abord, et c’est une bonne nouvelle, parce qu’il ne se laisse pas facilement instrumentaliser. Ensuite, parce que les problèmes auxquels est confrontée l’Union européenne aujourd’hui ne sauront être résolus sans une solidarité plus profonde que celle que peut aider à établir un jeu, quelles que soient ses capacités à établir un dialogue et une empathie mutuelle.
Coup de sifflet final ? Si vous n’avez pas pu poser votre question, lancez-la moi sur Twitter @albrechtsonntag.

Merci, et bon vent à l’Euro2016 !

14h10 Toute l’Europe :
Merci, Albrecht Sonntag d’avoir répondu aux questions des internautes ! Bon Euro 2016 à tous et à bientôt !


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