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Etat des lieux de l’extrême gauche en Europe, par Serge Cosseron

À l’approche des élections présidentielles en France, Touteleurope.eu publie une série d’entretiens sur les familles politiques en Europe. Serge Cosseron, historien et auteur d’un Dictionnaire de l’extrême gauche, fait le point sur l’état de l’extrême gauche européenne.

Touteleurope.eu : Comment définir aujourd’hui l’extrême gauche ?

Serge Cosseron est un historien et éditeur, spécialiste de l’Allemagne de Weimar et de l’extrême-gauche. Il a dirigé un Dictionnaire de l’extreme gauche, paru en 2007 aux éditions Larousse.

Serge Cosseron : L’extrême gauche européenne renvoie à plusieurs expériences historiques. Pour une partie, la référence est la révolution soviétique de 1917, voire la révolution allemande de 1919 à 1923. Pour une autre, il s’agit plutôt de ce qui s’est passé autour des années 1960-80 (avec les luttes contre la colonisation et le mouvement de 1968 et ses retombées), avec l’émergence des problématiques écologiques et féministes. Il existe enfin une troisième vague, au cours des années 1990, née avec l’altermondialisme qui a succédé à une période marquée par la défaite politique des anciennes extrêmes gauches pendant les années 1980.

On voit donc que ces mouvements se forment à partir d’expériences historiques. Ils partagent également le refus de la représentation parlementaire en général, même s’ils se présentent aux élections pour témoigner, et ne rejettent pas, selon les époques, la violence comme moyen d’action potentiel. Trois critères permettent donc d’étudier l’extrême gauche : une référence temporelle, une référence politique et une référence liée aux moyens d’action employés ou suggérés.

En général, l’extrême gauche est anti-stalinienne : elle s’est heurtée pendant des années aux partis communistes dans nombre de pays. Après l’effondrement du bloc soviétique, elle a pu progresser, dans la mesure où les partis communistes ont perdu leur hégémonie et ont du faire leur autocritique. Aujourd’hui, on assiste ainsi à une recomposition des forces politiques, qui amène souvent les partis communistes à travailler avec l’extrême gauche.

L’existence d’une presse quotidienne d’extrême gauche peut donner une mesure de l’importance du mouvement dans un pays. En France par exemple, on a historiquement le journal Libération. En Italie, il Manifesto, en Allemagne Die Tageszeitung (Taz). Il faut aussi estimer l’influence des organisations dans les syndicats : en Allemagne par exemple, l’extrême-gauche y est très peu présente, ce qui est différent en France où se développe un syndicat, SUD, dont nombre de militants sont à l’extrême gauche.

Touteleurope.eu : Quels en sont aujourd’hui les principaux courants en Europe ?

S.C. : On trouve des organisations d’extrême gauche assez différentes selon les pays européens : si elles sont plus marquées idéologiquement dans les pays du Sud, elles le sont moins au Nord, où elles s’intègrent plus facilement dans des mouvements de masse, quand ils existent. Enfin, elles sont quasiment inexistantes aujourd’hui à l’Est en raison du vécu traumatique du stalinisme.

Beaucoup de mouvements d’extrême gauche ne souhaitent pas se constituer en partis. La forme parti est essentiellement présente dans les mouvements trotskistes nés dans les années 1930 et maoïstes apparus dans les années 1960. La référence principale est alors le parti léniniste, constitué d’une hiérarchie et au fonctionnement centralisé, se considérant comme une avant-garde. On retrouve surtout cette tendance dans les pays du Sud. La France est l’un des pays dans lequel le trotskisme s’est le plus développé. En Grèce, en Espagne et au Portugal, c’est plutôt le maoïsme. L’Italie est un cas particulier : l’extrême gauche y a eu une importance comme nulle part ailleurs dans les années 1970, allant jusqu’à un affrontement direct et massif avec l’Etat.

Les nouvelles forces d’extrême gauche, qui n’ont pas les mêmes références historiques, ont une approche un peu plus libertaire, en phase avec les nouvelles technologies par exemple, qui leur permettent de se mobiliser beaucoup plus facilement et rapidement. Leurs rapports avec le politique est aussi tout à fait différent, plus souple et moins idéologisé.

Touteleurope.eu : Quelles relations entretiennent-ils avec le reste de la gauche ?

S.C. : Les relations avec le reste de la gauche sont conflictuelles puisqu’ils s’opposent au réformisme des premiers, ainsi qu’aux verts dans la majorité des cas puisque ces derniers ont adopté des positions beaucoup plus participatives (notamment au Parlement européen).

Touteleurope.eu : Quelle est leur vision de l’Europe ?

S.C. : Tous les mouvements et partis d’extrême gauche sont opposés à la construction européenne actuelle. Contre cette Europe “d’en haut” imposée par Bruxelles et Strasbourg, ils mettent en avant une “Europe des peuples” . Ils ne vous diront donc pas qu’ils sont anti-européens, mais qu’ils veulent une organisation plus démocratique. En témoigne l’appel de toute l’extrême gauche à voter contre Maastricht en 1992, puis lorsqu’elle en a eu la possibilité, en France et aux Pays-Bas en 2005 contre le traité européen.

Touteleurope.eu : Dans quels pays européens est-elle puissante ? Peut-on constater un déclin général de l’extrême gauche ?

S.C. : La situation est assez complexe. Il est parfois difficile de déterminer si un parti est vraiment d’extrême gauche ou non : c’est par exemple le cas de Die Linke en Allemagne, que je ne situerais pas dans cette catégorie bien qu’il soit à la gauche du SPD. Mais l’extrême gauche allemande reste assez forte, elle s’appuie sur un certain nombre de luttes comme l’anti-nucléaire et une culture politique alternative et concrète bien ancrée (squatts, etc).

La France est l’un des pays où l’extrême-gauche semblait la plus forte : l’élection présidentielle de 2002 comptait trois candidats de cette tendance, qui ont recueilli ensemble plus de 10% des suffrages exprimés. A celle de 2012, les deux candidats de l’extrême gauche traditionnelle risquent de ne totaliser au maximum que 2 à 3% de ces votes. Cela pose effectivement la question de son déclin. Déclin sans doute provisoire, car elle trouve dans la candidature de Jean-Luc Mélenchon un refuge temporaire. En Italie, elle s’est exprimé récemment dans différents mouvements, étudiants ou anti-Berlusconi. En Angleterre, les mouvements de jeunes sont également animés par des organisations trotskisantes. Mais c’est en Grèce que l’extrême-gauche est sans doute la plus puissante.

On peut également observer le mouvement des Indignés, parti d’Espagne, qu’on ne peut pas à proprement qualifier d’extrême-gauche mais qui pourtant répond à certains critères semblables, comme la critique radicale de la société actuelle et la volonté de rénover l’expression démocratique mise à mal par les milieux médiatiques dominants. De manière générale, la progression des mouvements libertaires souligne une recomposition des formes traditionnelles d’extrême-gauche ces dernières années. Reste que l’extrême gauche n’a pas jusqu’à maintenant profité de l’aggravation de la crise économique, financière et sociale que connaît l’Europe depuis plusieurs années.

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