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En Europe, “le populisme se nourrit de l’identité culturelle”

Le 25 avril, la Fondation Calouste Gulbenkian organisait à Paris une conférence intitulée “L’Union européenne au-delà du status quo : le défi démocratique”. Un évènement programmé dans le cadre des Consultations citoyennes sur l’Europe, au cours duquel le politologue Jacques Rupnik a permis au public de mieux comprendre le succès des populismes.

De gauche à droite : Viktor Orban, Premier ministre hongrois et Andrej Babis, Premier ministre tchèque, lors du Conseil européen du 14 décembre 2017
De gauche à droite : Viktor Orban, Premier ministre hongrois et Andrej Babis, Premier ministre tchèque, lors du Conseil européen du 14 décembre 2017. Crédits : Conseil de l’Union européenne

L’ancrage démocratique n’est plus une évidence dans l’Union européenne.” Pour Jacques Rupnik, directeur de recherche à Sciences Po et politologue, l’UE fait actuellement face à un clivage sur la question de la démocratie et de l’Etat de droit. Après vingt-cinq ans de convergence “spectaculaire, rapide et sans précédent entre Est et Ouest, la démocratie ne se porte plus très bien dans certains pays” , estime le politologue. Dans son viseur : la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie ou encore la République tchèque, où les partis populistes et extrémistes ont le vent en poupe. Jacques Rupnik a répondu aux questions du public sur le sujet.

Les facteurs socio-économiques peuvent-ils expliquer la montée des populismes en Europe ?

Dans l’ensemble de l’Europe, les mouvements populistes rencontrent un soutien plus important des classes les moins favorisées. Pourtant, expliquer la montée du populisme par le chômage, la faible croissance du pays ou d’autres facteurs socio-économiques ne paraît pas satisfaisant pour Jacques Rupnik.

En Pologne par exemple, certaines régions ont moins profité que d’autres de l’expansion économique de ces vingt dernières années. Mais le pays, actuellement gouverné par le parti populiste PiS, est le seul qui n’ait pas connu la récession après la crise de 2008 : il est même en plein boom économique.

En République tchèque également, le taux de croissance tourne entre 3 et 4 % et le taux de chômage est le plus bas d’Europe (2,9 %). Le pays doit même faire venir de la main d’œuvre d’Ukraine. A Prague, les politiques s’interrogent sur le taux d’augmentation des enseignants… un débat qui paraîtrait surréaliste en France. Le parti social-démocrate, au pouvoir pendant quatre ans jusqu’en 2017, a perdu deux tiers de ses voix alors que son bilan était positif et qu’il proposait d’augmenter les salaires des fonctionnaires de 10 à 15 %. L’explication économique de la victoire d’Andrej Babiš, milliardaire populiste, aux élections législatives tchèques de 2017 ne tient donc pas debout.

Comment comprendre dans ce cas le succès des populismes, notamment dans les pays d’Europe centrale ?

La crise migratoire de 2015-2016 n’en est pas l’élément déclencheur, mais a été révélatrice d’un malaise plus ancien. Elle a ainsi amené au pouvoir des forces qui mettent l’accent sur la souveraineté du peuple et de la nation, contre le “carcan” de la démocratie libérale, son constitutionnalisme et sa séparation des pouvoirs. C’est la remise en cause du libéralisme politique au nom de la souveraineté populaire. Par conséquent, l’Union européenne empêcherait la vraie souveraineté populaire de s’exprimer. Le président de la Diète polonaise Marek Kuchciński parle à ce titre “d’impossibilisme légal” .

Les populismes brandissent la souveraineté nationale contre ce qui a été présenté comme une invasion migratoire. Les pays d’Europe centrale ressentent une grande vulnérabilité, bien que le nombre de migrants à leurs frontières est dérisoire. Un sentiment lié à leur Histoire : durant la guerre froide, il était difficile de sortir, mais aussi de rentrer dans ces pays. Ils n’ont donc pas connu la liberté de circulation de l’Europe occidentale pendant un demi-siècle. Cette angoisse est aussi liée à une démographie déclinante - la Bulgarie a perdu 20 % de sa population en 20 ans, et deux millions de Polonais ont émigré en Europe occidentale. Ce sont des petites nations avec peu d’habitants, qui ont acquis un Etat récemment. Outre une souveraineté déjà remise en cause dans le contexte européen, elles craignent un “grand remplacement” provoqué par la crise migratoire. Une angoisse que les forces populistes et nationalistes ont su exploiter.

La montée des populismes est donc liée à des questions d’identité ?

Le populisme se nourrit de l’identité culturelle. Ce que les populistes mettent en avant, c’est une conception organique de la nation. Il y a un vrai débat européen aujourd’hui sur la définition de la nation. En France, c’est l’Etat qui a créé la nation : c’est un très long processus. En Europe centrale à l’inverse, l’Etat est récent mais les nations sont anciennes, avec des identités et des langues anciennes. C’est la nation qui a construit l’Etat, à partir d’une identité culturelle, d’une langue ou d’une filiation religieuse.

Cette conception organique de la nation est aussi une conception culturelle. Il est très difficile, dans une conception organique de la nation, de faire de la place à un corps étranger. Pour les pays d’Europe centrale, il s’agit alors de protéger la nation de “l’invasion” qui vient du Sud, de pays d’un autre continent et d’une autre civilisation que la leur. D’un autre côté, Angela Merkel, en Allemagne, accueille les migrants pour respecter les valeurs de l’Union européenne, telles que les Droits de l’Homme. Il y a donc une Europe qui met en valeur l’identité culturelle face à une Europe abstraite, normative.

Le populisme est-il une forme de dégagisme, un rejet de structures existantes qui seraient archaïques et inappropriées ?

Le populisme est la tentative de s’approprier le monopole sur la représentation politique. C’est dire : “nous sommes les seuls représentants authentiques du peuple” . Cela se traduit par un rejet des institutions, des contraintes européennes, mais également peu de respect pour la minorité. On juge la démocratie libérale par la façon dont elle traite la minorité, l’opposition. Sinon, c’est la tyrannie de la majorité. Les partis populistes ont comme préférence le système référendaire à la démocratie représentative. En Europe du sud, Syriza ou Podemos sont des partis populistes de gauche. Ils s’opposent au système et aux partis.

Dans le cadre des
Consultations citoyennes sur l’Europe, la première partie de la conférence a été consacrée à un débat avec le public. La ministre française chargée des Affaires européennes Nathalie Loiseau et son homologue portugaise Ana Paula Zacarias ont ainsi pu répondre aux questions des personnes présentes sur des sujets aussi divers que l’organisation des Consultations, la crise migratoire, l’adhésion de la Turquie ou encore les universités européennes.

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