Cinq semaines après les élections européennes, l’activité législative européenne n’a pas encore repris. L’heure est à l’installation du nouveau Parlement européen, lors de cette session plénière de rentrée à Strasbourg (2-4 juillet) et à la répartition des postes clés de l’UE. Le travail “ordinaire” , lui, reprendra pendant l’été et surtout à partir de septembre.
L’élection du président du Parlement repoussée d’une journée
Alors qu’Antonio Tajani, président sortant du Parlement, ouvre officiellement la législature 2019-2024 mardi 2 juillet, l’incertitude demeure très forte quant à la répartition des “top jobs” européens. A 400 kilomètres de Strasbourg, les chefs d’Etat et de gouvernement entament en effet leur troisième jour de négociations dans le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles. Dans l’attente de l’annonce du casting pour conduire l’Europe, le Parlement européen suspend donc immédiatement la séance, car si les eurodéputés sont entièrement libres de choisir leur président, cette élection contribue évidemment à la répartition des instances dirigeantes de l’UE entre les différentes familles politiques.
Avant que l’hémicycle ne se vide, l’Ode à la joie de Beethoven, l’hymne européen, est joué par des musiciens. L’occasion pour l’extrême droite, dont le Rassemblement national, de s’illustrer en refusant de se lever comme il y a cinq ans. Les élus du Brexit Party de Nigel Farage, eux, vont jusqu’à tourner le dos aux musiciens.
Une première journée au rythme de Bruxelles
En conséquence, les tractations des Vingt-Huit rythment la première journée strasbourgeoise des eurodéputés, non sans une certaine confusion. Les nouveaux élus courent (et se perdent) dans l’immense bâtiment, multiplient les rencontres improvisées avec les journalistes. C’est le moment des premières rencontres avec Raphaël Glucksmann ou François-Xavier Bellamy, les deux essayistes devenus députés.
Les réunions s’enchainent également entre les groupes politiques pour bâtir une feuille de route commune pour les cinq années à venir. En effet, le mois de juin n’aura pas été tout à fait suffisant pour que les quatre familles au centre du jeu accordent parfaitement leurs violons : la recherche d’une majorité pour diriger l’UE ne concerne pas que les dirigeants des Vingt-Huit, mais aussi les parlementaires.
Répartition des sièges par groupes politiques pour la législature 2019-2024
Et celle-ci est plus délicate à trouver cette année, la donne politique ayant profondément changé avec les élections européennes. Les conservateurs du PPE (Parti populaire européen) et les sociaux-démocrates (S&D) n’ont, pour la première fois depuis 1979, pas la majorité à eux deux. Aucune orientation majeure ne pourra donc être prise sans les libéraux (Renew Europe, RE) et, probablement, les écologistes - les deux groupes pro-européens en forte progression.
Pour leur part, les partis de droite radicale ont également le vent en poupe, mais devraient rester marginalisés en raison de la nature de leur positionnement et de leurs profondes divisions. A ce stade en effet, pas de grand rassemblement qui irait de Viktor Orban (qui souhaite rester au PPE) ou du parti polonais Droit et justice (qui préfère ne pas s’associer à l’extrême droite) à Marine Le Pen et Matteo Salvini.
Les Vingt-Huit donnent leur verdict, le Parlement critique la méthode
En fin de journée mardi, le voile est levé sur les nominations aux postes clés de l’UE : Ursula von der Leyen (Allemagne, PPE) pour la Commission, Charles Michel (Belgique, RE) pour le Conseil, Christine Lagarde (France, PPE) pour la BCE et Josep Borrell (Espagne, S&D) pour la diplomatie. Pour la présidence du Parlement, les dirigeants formulent un vœu : élire un social-démocrate pour la première moitié de mandat afin d’accorder un second poste majeur à la gauche européenne.
Recommandation entendue et suivie. A 22h, on apprend que seuls 4 eurodéputés seront candidats à la présidence et qu’au sein des trois principaux groupes, seul le social-démocrate italien David-Maria Sassoli se présente. L’équilibre difficilement trouvé à Bruxelles se prolonge donc à Strasbourg, ouvrant au passage la voie à l’élection de Mme von der Leyen le 16 juillet prochain lors de la seconde session plénière du mois.
Celle qui est actuellement la ministre allemande de la Défense n’aura toutefois pas la partie gagnée d’avance. Iratxe Garcia Perez, nouvelle présidente du groupe S&D, prévient ainsi que les eurodéputés se montreront “très exigeants sur la feuille de route de la prochaine Commission” , qui devra être orientée autour de “l’inclusion sociale et du climat”.
Et plus généralement, au moment de tirer le bilan des différents conseils européens de juin et juillet ayant permis d’aboutir à une répartition des postes clés de l’UE, jeudi 4 juillet, les chefs de groupe se succèdent à la tribune pour formuler des critiques, d’une rare violence, à l’encontre des Vingt-Huit. Pour Estéban Gonzalez-Pons, représentant le PPE, la méthode employée s’apparente à une “grossièreté démocratique” , regrettant que le chef de file des conservateurs pour la campagne (Spitzenkandidat) Manfred Weber ait été évincé. Même amertume pour Mme Garcia Perez, pour qui leur candidat, Frans Timmermans, a été écarté par certains pays d’Europe de l’Est pour avoir “défendu les valeurs de l’Union et de l’Etat de droit” . Quant à Philippe Lamberts, coprésident des Verts, ce dernier a estimé que “les logiques nationales ont pris le pas sur le projet et son incarnation” , reprochant également au Parlement européen de ne pas avoir eu davantage de “volonté” pour imposer son propre “contrat de projet” au Conseil.
Autant de critiques susceptibles de soutenir la volonté de Renew Europe, auquel appartient La République en Marche, de lancer une “conférence paneuropéenne pour la démocratisation des processus électoraux” , pour reprendre les mots du président du groupe Dacian Ciolos.
Qui est David-Maria Sassoli ?
David-Maria Sassoli, pour son premier discours en tant que président du Parlement européen le 3 juillet 2019 - Crédits : Parlement européen
En attendant d’éventuels changements, c’est bien David-Maria Sassoli (63 ans), connu au Parlement et dans son pays, mais pas en dehors, qui a été élu à la tête du Parlement. Qui est-il ? D’abord un Florentin de naissance et un Romain d’adoption issu, comme l’indique Le Monde, d’un milieu plus conservateur que socialiste, mais résolument europhile. Ensuite un journaliste à succès, ancien présentateur du principal journal de 20h d’Italie sur la Rai. Et puis un membre majeur du Parti démocrate italien (PD, centre-gauche), auquel appartiennent aussi Federica Mogherini, cheffe sortante de la diplomatie européenne ou encore Matteo Renzi, ancien président du Conseil.
Elu eurodéputé pour la première fois en 2009, M. Sassoli a d’abord été le chef de la délégation du PD au Parlement européen. Avant de devenir vice-président de l’institution de 2014 à 2019. Désormais président, il aura pour responsabilité de signer tous les actes législatifs, de représenter l’institution à l’étranger ou encore lors des Conseils européens. Membre apprécié de l’assemblée strasbourgeoise, il a été chaleureusement applaudi mercredi à la suite de son élection, au-delà des bancs de son propre camp. L’Italien a notamment assuré vouloir jouer le rôle de “garant d’un débat ouvert, direct et pluraliste, dans le respect des opinions de chacun et des prérogatives du Parlement” .
David-Maria Sassoli n’aura en effet pas eu (trop) de mal à recueillir une majorité de suffrages. Même s’il lui aura tout de même fallu deux tours pour l’emporter, deux de ses concurrents étant parvenus à obtenir un nombre de voix très largement supérieur à leur base. C’est le cas du Tchèque Jan Zahradil, seul candidat de droite, qui a probablement su fédérer autour de son nom une partie au moins de l’extrême droite voire l’aile radicale du PPE. Et c’est le cas aussi de l’Allemande Ska Keller, coprésidente des écologistes au Parlement, qui a manifestement été soutenue par une partie des sociaux-démocrates et/ou des libéraux.
Le signe qu’il faudra très vraisemblablement toujours compter avec les Verts pour obtenir des majorités au Parlement européen au cours des cinq années à venir et que l’alliance gauche-centre-droite est pour l’heure encore fragile et limitée.
Les députés français de la semaine : Anne Sander et Gilles Boyer
Anne Sander (LR) et Gilles Boyer (LaREM) - Crédits : Claude Truong-Ngoc ; compte Twitter de Gilles Boyer
Aux côtés de David-Maria Sassoli ont aussi été élus les 14 vice-présidents et les 5 questeurs de l’institution. L’Irlandaise Mairead McGuinness (PPE) occupera ainsi le poste de première vice-présidente du Parlement, devant le socialiste portugais Pedro Silva Pereira ou encore l’ancienne Première ministre de Pologne Ewa Kopacz (PPE). Et si aucun député français n’a été élu vice-président, deux d’entre eux ont été désignés questeurs : Anne Sander (LR, PPE) et Gilles Boyer (LaREM, RE).
Leur rôle sera ainsi de traiter “les affaires administratives directement liées aux députés” , comme l’explique le Parlement européen. Ils feront aussi partie du bureau du Parlement européen, “qui établit les règles relatives au bon fonctionnement” de l’institution et “l’avant-projet de budget du Parlement” . De 2014 à 2019, la Française Elisabeth Morin-Chartier avait déjà occupé cette fonction de questeur avec, parmi ses responsabilités, le traitement des cas de harcèlement moral et sexuel au sein de l’institution.
20 commissions parlementaires
La composition des 20 commissions parlementaires enfin a été annoncée au cours de la session. Ces dernières se réuniront dès la semaine prochaine à Bruxelles pour élire leurs présidents et vice-présidents. Des fonctions clés pour la progression du travail législatif que convoitent l’ensemble des groupes, y compris Identité et démocratie (ID) auquel appartient le Rassemblement national. Mais le parti de Marine Le Pen devrait se voir refuser ces postes par les autres familles politiques, soucieuses de préserver un “cordon sanitaire” .
Côté français, seules les délégations RN et LaREM paraissent suffisamment importantes pour permettre à l’un des leurs de siéger en tant que titulaire dans chaque commission, les autres devant faire des choix et capitaliser également sur des postes de suppléants.
S’agissant des têtes de liste françaises lors des européennes, Jordan Bardella (RN, ID) siègera au sein de la commission des pétitions, Nathalie Loiseau (LaREM, RE) fera partie de la commission des affaires étrangères et de la sous-commission de la défense, Yannick Jadot (EELV, Verts) siègera au sein de la commission de l’environnement, François-Xavier Bellamy (LR, PPE) intègrera les commissions de l’industrie et de la pêche, Manon Aubry (LFI, GUE) fera partie de la commission des affaires juridiques, et Sylvie Guillaume (PS, S&D) retrouvera la commission des libertés, qui traite notamment d’immigration, où elle siégeait déjà.
Les commissions parlementaires constituées se réuniront pour la première fois au cours de la semaine du 8 juillet afin d’élire leurs présidents et vice-présidents.
La prochaine session plénière à Strasbourg aura ensuite lieu du 15 au 18 juillet. Si l’ordre du jour officiel n’est pas encore public, l’événement central sera incontestablement l’élection de la présidente de la Commission européenne, prévue le 16 juillet. Proposée par les Vingt-Huit, Ursula von der Leyen devra recueillir l’assentiment de la majorité des inscrits du Parlement européen, soit 376 voix.