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Droits des femmes : un bilan des avancées en France, par Laurence Rossignol

A l’occasion de l’édition 2017 de la Journée internationale des droits de la femme, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes revient sur les mesures prises pour améliorer la situation des femmes pendant le quinquennat de François Hollande.

Laurence Rossignol

La Commission européenne a présenté un engagement stratégique pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour la période 2016-2019. Comment cette stratégie est-elle appliquée en France ?

Militante féministe, Laurence Rossignol adhère à la Ligue communiste révolutionnaire puis au Parti socialiste en 1981. Elle commence alors sa vie professionnelle comme journaliste juridique à “la Vie ouvrière” , une revue de la CGT. Elle entre au conseil national du PS en 1993, puis au Conseil économique et social en 1999. Vice-présidente du Conseil régional de Picardie depuis 2004 et Sénatrice de l’Oise depuis 2011, elle devient secrétaire d’État chargée de la Famille, de l’Enfance, des Personnes âgées, et de l’Autonomie en avril 2014. Elle est aujourd’hui, depuis 2016, ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes.

Laurence Rossignol : L’égalité femmes-hommes constitue un véritable enjeu de société et l’Union européenne en a fait l’un de ses principes fondateurs. Aujourd’hui, la Commission européenne s’engage à intégrer cette question dans toutes ses politiques, et à la promouvoir dans sa législation et les projets soutenus.

La France intègre les enjeux liés à l’égalité entre les femmes et les hommes dans ses politiques publiques de manière à la fois transversale et spécifique. De manière transversale, parce que l’égalité femmes-hommes recouvre tous les champs d’intervention de l’Etat. De manière spécifique, parce que les femmes rencontrent des difficultés particulières auxquelles il faut des réponses adaptées.

Aujourd’hui la France couvre tous les domaines requis par la stratégie européenne, à savoir : l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté ; l’éducation et la formation ; l’accès à la santé ; la lutte contre les violences fondées sur le sexe ; l’économie et le marché de l’emploi, la lutte contre les stéréotypes liés au genre, la conciliation de la vie familiale et professionnelle.

En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a été promulguée symboliquement le 4 août. Cette loi-cadre au champ d’action très large vise à inciter les pères à prendre un congé parental, à conditionner l’accès aux marchés publics au respect par les entreprises de l’égalité professionnelle, à protéger les mères isolées des impayés de pension alimentaire, ou encore à étendre à tous les champs de responsabilité le principe de parité : fédérations sportives, chambres et ordres professionnels. Elle permet aussi de mieux lutter contre les violences faites aux femmes, grâce au renforcement de l’ordonnance de protection et des infractions relatives au harcèlement.

Nous avons également lancé des plans d’actions spécifiques sur certains sujets.

En 2016, le premier Plan interministériel en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (2016-2020) témoigne d’un engagement fort de la part du gouvernement dans son ensemble pour faire progresser l’égalité.
Nous avons également lancé le 5ème Plan de mobilisation et de lutte contre les violences sexistes. Il vise à accélérer le parcours de sortie des violences pour les victimes. Ce plan s’inscrit dans une politique publique globale, structurée autour de plans triennaux en place depuis plus de 10 ans.

En outre, la France a introduit dans sa législation la notion d’agissement sexiste, via la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Cela signifie que nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

C’est un signal fort visant à rendre compte de la gravité de ce type d’agissements qui, bien qu’en apparence de moindre intensité, ont des conséquences tout aussi graves que d’autres comportements comme le harcèlement sexuel ou l’agression. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, renforce l’arsenal juridique concernant l’agissement sexiste, en rendant obligatoire pour les employeurs la mention de l’interdiction de tout agissement sexiste dans le règlement intérieur, en rendant le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) compétent pour engager des actions de prévention contre les agissements sexistes.

Convaincu.e.s que l’inégalité entre les femmes et les hommes tient ses origines dans les discriminations sexistes, nous avons mis en place en septembre 2016 la campagne “Sexisme pas notre genre” qui s’inscrit dans le Plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme lancé cette même année.

Cette campagne invite l’ensemble des citoyennes et des citoyens à agir et à réagir, en proposant des initiatives qui font reculer le sexisme, en soutenant la mobilisation et en témoignant de leurs expériences du sexisme. Catalyseur de l’action publique, c’est la mobilisation de toutes et tous qui conduira à l’égalité !

Début février dernier, vous avez participé à la signature par une municipalité près de Rouen de la Charte européenne pour l’égalité des hommes et des femmes dans la vie locale. Quel est l’objectif de cette charte ? Peut-on mesurer les progrès réalisés par les villes qui ont déjà signé ce texte ?

Les collectivités territoriales, échelon de gouvernance le plus proche des citoyens, ont une responsabilité et un rôle majeur à jouer pour favoriser une société plus égalitaire.

La Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale leur est destinée. Les collectivités locales et régionales d’Europe qui souhaitent concrétiser leur engagement en faveur des droits des femmes sont invitées à la signer, à prendre publiquement position sur le principe de l’égalité des femmes et des hommes, et à mettre en œuvre, sur leur territoire, les engagements définis dans la Charte.

La Charte comporte 30 articles intéressant tous les domaines d’actions des collectivités territoriales en tant qu’employeur, donneur d’ordre, prestataire de services… Elle énonce les droits, cadre juridique et politique, et précise les principes et outils nécessaires à sa mise en œuvre concrète et progressive, par le biais de plans d’actions conçus par et pour les collectivités elles-mêmes.

Aujourd’hui la France compte près de 150 villes signataires. La mise en œuvre de la Charte est encadrée depuis 2012 par un Observatoire de la Charte. Cet organisme soutient les collectivités dans l’élaboration du Plan d’action, le suivi de sa mise en œuvre, et l’évaluation de son impact sur le terrain. Cette évaluation a pour but de mesurer l’effectivité de la mise en œuvre de la Charte.

L’Observatoire de la Charte propose ainsi une série d’indicateurs thématiques qui orientent les villes signataires dans l’évaluation concrète des politiques en faveur de l’égalité femmes-hommes mises en place. Il est donc du ressort de chaque ville signataire de procéder à l’évaluation de ses politiques locales en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Fin janvier, le gouvernement a lancé un Plan sectoriel mixité dans les métiers du numérique. Aujourd’hui, en France il y a seulement 28% de femmes dans ce secteur. Que propose ce plan pour y remédier ?

La promotion de la mixité des métiers constitue un enjeu essentiel de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’objectif est d’atteindre un tiers des métiers mixtes en 2025. Pour cela, plusieurs plans ont été déployés dans des secteurs comme les transports ou le bâtiment, depuis le lancement dès 2014 d’une plateforme partenariale pour la mixité des métiers.

Aujourd’hui, le numérique constitue un secteur en essor et un formidable levier de transformations économiques et sociales qui ne peut se passer des nouveaux talents et des forces vives que représentent les femmes. Promouvoir la mixité, c’est également s’engager collectivement en faveur de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes au sein de notre société.

C’est pourquoi le Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, ainsi que le Secrétariat d’Etat chargé du numérique, auprès du Ministère de l’Economie et des Finances, se mobilisent aux côtés des représentant.e.s du numérique, pour favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux métiers du numérique.

Ce plan fixe l’objectif d’atteindre un tiers de métiers mixtes d’ici 2025. Dans le secteur du numérique il s’agit de déconstruire l’idée que les domaines de la technologie et de la technique seraient “typiquement” masculins. Jusqu’en 1985, le secteur informatique, prédécesseur du numérique, était la 2e filière comportant le plus de femmes ingénieures. Aujourd’hui, la proportion de filles baisse.

Le principal levier d’action de ce plan est de fédérer l’action des acteurs publics et privés du secteur numérique vers la promotion de la mixité et de l’égalité professionnelle.

Pour remédier au manque de mixité dans le numérique, ce plan propose des actions de déconstruction des stéréotypes de genre à toutes les étapes du cheminement professionnel des femmes : de l’orientation scolaire et universitaire jusqu’à l’accès à l’emploi et à l’entrepreneuriat, en passant par la formation continue et la gestion des plans de carrières.

Aujourd’hui l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes s’établit à 16,3 % au sein de l’Union européenne. La France se situe en deçà de la moyenne européenne, avec un écart de rémunération entre les femmes et les hommes de 15,8 %. Comment expliquez-vous ce retard vis-à-vis par exemple de pays comme la Slovénie, la Pologne ou encore l’Italie ?

Au cœur des écarts de salaire, on retrouve les stéréotypes de sexe qui cantonnent les femmes dans certaines filières de métiers, leur imposent la charge du travail domestique et familial et alimentent l’idée que le salaire d’une femme dans un ménage serait le salaire “d’appoint” . Si une partie des écarts de salaire peuvent être expliqués par des facteurs tels que le plafond de verre, la concentration des femmes dans les métiers les moins bien rémunérés et sur les postes les plus dévalorisés ou encore les temps partiels subis ; près de 10% de ces écarts restent “inexpliqués” .

Cette part “intangible” des inégalités de salaire relèverait des discriminations dont les femmes sont victimes sur le marché de l’emploi. Ces discriminations s’enracinent dans les idées reçues sexistes. C’est donc un réel travail sur les mentalités qu’il convient d’engager. Durant ce mandat nous nous sommes attachés à agir sur tous les leviers structurels qui alimentent les écarts de salaires. Cet écart est en diminution (moins 2% depuis 2002) constante et nos efforts ne s’arrêteront pas tant que les compétences et le travail des femmes ne sera pas reconnu à sa juste valeur par tou.te.s les employeur.e.s en France.

Pensez-vous que la lutte contre les violences à l’égard des femmes n’est plus une question de sanction, mais de prévention ?

Les violences faites aux femmes sont un ensemble de crimes et de délits pour lesquels des sanctions sont prévues dans la loi. Au-delà des dispositifs légaux, il s’agit de s’attaquer à la source du problème pour l’éradiquer. La prévention est donc un levier incontournable de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Dans notre 5e plan de mobilisation et de lutte contre les violences sexistes, nous avons donné une grande place à la question de la prévention. Il s’articule autour de 3 axes principaux : d’abord, il s’agit d’assurer l’accès aux droits et sécuriser les dispositifs qui ont fait leurs preuves pour améliorer le parcours des femmes victimes de violences (violences conjugales, sexuelles, psychologiques, etc.). Ensuite, il convient de renforcer l’action publique là où les besoins sont les plus importants : les enfants victimes des violences conjugales ; les jeunes femmes particulièrement exposées aux violences ; les femmes vivant en milieu rural.

Enfin, il faut déraciner les violences par la lutte contre le sexisme, qui banalise la culture des violences et du viol.Qu’il s’agisse de violences sexuelles, de violences physiques ou de meurtres conjugaux, les violences faites aux femmes relèvent d’un continuum provoqué par une seule et même idéologie : le sexisme. C’est donc vers ce dernier que se concentrent nos efforts de prévention.

C’est pourquoi le 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019) s’inscrit dans la parfaite continuité du Plan d’action et de mobilisation contre le sexisme engagé en septembre 2016. Des campagnes ont été et sont menées pour poursuivre le travail de déconstruction des stéréotypes qui constituent le terreau des violences faites aux femmes.

Aujourd’hui a lieu la Journée internationale des droits de la femme. Quel message principal souhaitez-vous adresser aux Français ?

En cette journée internationale des droits des femmes, je souhaite m’adresser aux Français et aux Françaises afin d’inviter l’ensemble de la société civile à poursuivre la lutte contre toutes les formes de discriminations fondées sur le genre. Dans un contexte mondial de montées des conservatismes et traditionalismes, il est plus que jamais nécessaire d’affirmer son engagement contre le sexisme, dans ses différentes formes.

C’est pourquoi j’ai souhaité réunir des féministes de tous les continents pour envoyer un message fort aux pouvoirs qui menacent les droits des femmes : nous sommes mobilisées, nous sommes solidaires, et nous poursuivons la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité. Nous allons donc nous réunir autour d’un texte, le Serment de Paris, qui constitue un plaidoyer politique témoignant de notre détermination à combattre le sexisme et à rassembler les forces progressistes qui s’organisent pour contrer l’offensive de certains Etats conservateurs, y compris des grandes puissances comme la Russie ou les Etats-Unis.

Propos recueillis par Alexandra Lesur

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