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Dorothée Schmid : “En Méditerranée, on a beaucoup de mal à avancer de manière concertée sur certaines questions”

Dans un discours de campagne prononcé à Toulon en février 2007, Nicolas Sarkozy a esquissé les grands traits d’une “Union méditerranéenne” qui approfondirait les liens entre les pays riverains de la Mare Nostrum. Cette initiative figure désormais à l’agenda de la prochaine présidence française de l’Union européenne.

Touteleurope.fr a rencontré Dorothée Schmid, spécialiste des questions méditerranéennes et moyen-orientales à l’Institut français des relations internationales (IFRI) pour lui demander quelques éclairages sur ce projet aux contours encore flous.


En quoi consiste le projet d’Union méditerranéenne ?

Il s’agirait de créer une Union théoriquement calquée sur le modèle de l’Union européenne, une organisation régionale qui rassemblerait tous les Etats riverains de la Méditerranée. Cette Union serait dissociée du partenariat euroméditerranéen, mais néanmoins articulée avec lui d’une manière qui n’est pas encore précisée. Elle traiterait de thématiques très diverses qui iraient de la préservation de l’environnement à la sécurité, en passant par la question des migrations.

Quels objectifs la France poursuit-elle ?

La France poursuit essentiellement des objectifs nationaux à travers cette initiative. Il s’agit de montrer qu’elle est à nouveau capable d’exercer un leadership dans cette région où les Français ont eu une influence continue depuis la fin du 19e siècle. On trouve aussi une idée chère au Président de la République : prendre un certain nombre de thématiques européennes dont il considère qu’elles sont en panne, pour les relancer avec une énergie différente et un angle de vision légèrement décalé - en l’occurence un rétrécissement du partenariat euroméditerranéen aux seuls Etats riverains.

Comment nos partenaires ont-ils réagi à ce projet ?

Les réactions ne sont pas forcément enthousiastes de la part des Etats qui ne sont pas associés à cette initiative, en particulier l’Allemagne, qui a montré son agacement face à ce discours de leadership régional français sur lequel elle n’a pas été consultée.

Même nos partenaires européens de la Méditerranée, comme l’Espagne ou l’Italie, ont eu quelques réticences, car ces pays ont été mis au courant un peu sur le tard. L’Espagne est un peu en concurrence avec la France pour le leadership en Méditerranée. Elle considère qu’il est effectivement bon de réfléchir à ces questions, mais qu’il ne faut pas agir en dehors du cadre de l’Union européenne.

Quelles ont été les réactions en Turquie ?

On a beaucoup dit que Nicolas Sarkozy a conçu cette initiative en partie pour décentrer la Turquie de son projet européen, puisqu’il a répété à plusieurs reprises que ce pays serait un pilier de l’Union méditerranéenne. Je ne pense pas que cela soit central dans ce projet, mais les Turcs l’ont reçu comme tel. Je pense de toute façon que Nicolas Sarkozy a une vision instrumentale du dossier turc, sur lequel il évolue beaucoup, en fonction de la conjoncture politique. L’Union méditerranéenne sera certainement une carte dans le dialogue bilatéral franco-turc.

De leur côté, les Turcs poursuivent leur agenda de réformes pour l’adhésion. Pour eux, ce processus d’ancrage essentiel ne préjuge pas forcément de l’issue des négociations. L’idéal pour la Turquie serait d’avoir un jour le choix d’adhérer ou non à l’Union européenne. Les Turcs ont en quelque sorte intériorisé la réticence de certains Etats membres, dont la France, et l’utilisent dans un nouveau discours diplomatique.

Quel bilan peut-on tirer du partenariat Euromed ?

Après plus de dix ans, on considère généralement que la partenariat n’a pas atteint les objectifs définis à Barcelone en 1995. Il s’agissait alors d’aboutir à une stabilisation stratégique de la Méditerranée, en passant par le développement, la démocratisation et le dialogue culturel entre le Nord et le Sud.

Sur le volet politique, il est clair qu’on a très peu avancé. Sur le volet économique, on a signé des accords d’association bilatéraux avec l’ensemble des Etats du Sud à l’exception de la Syrie, dont la mise en oeuvre démarre à peine. Ces accords de libre-échange n’ont pour l’instant pas eu d’effets positifs en terme de développement. Quant à la question du dialogue Nord-Sud, les Européens commencent à peine à s’en emparer.

Pour autant, le bilan n’est pas si négatif en terme de sociabilisation, car on a instauré un dialogue semi-institutionnalisé qui permet de réunir régulièrement tous les Etats du partenariat, en dehors de l’influence américaine. Mais il est clair qu’on a beaucoup de mal à avancer de manière concertée sur un certain nombre de sujets politiques qui ont entraîné des blocages dès le départ.

Quels sont aujourd’hui les enjeux du partenariat Euromed ?

Il faut aujourd’hui replacer ce partenariat dans le cadre de la politique européenne de voisinage, qui couvre à la fois le voisinage centre-est européen et le voisinage méditerranéen. Au moment du lancement de cette politique en 2003, les pays méditerranéens se sont sentis un peu délaissés par les Européens.

Les thématiques couvertes par ce partenariat restent pourtant extrêmement urgentes. Finalement, on en est au même point qu’au début des années 90 en terme d’instabilité politique. La menace terroriste s’est accrue. La question migratoire a pris de l’ampleur. Tous les fondamentaux qui avaient motivé la naissance de ce partenariat sont présents et sont même renforcés aujourd’hui.

C’est donc vrai qu’il y a une urgence des questions méditerranéennes. Le problème c’est qu’on n’a jamais réussi à les traiter de manière régionale cohérente, notamment par manque de volonté politique au sud de la Méditerranée. Il n’est pas certain que l’Union méditerranéenne fonctionne mieux à cet égard, puisque ce qui a bloqué ce partenariat, ce n’est pas la présence des Etats du nord de l’Europe. C’est plutôt le conflit israëlo-palestinien, différents conflits de frontières entre Etats ou la mauvaise volonté politique de certains pays du sud.

Les pays méridionaux attendent surtout des Européens une coopération économique et financière qui les aide à entrer dans la mondialisation. Sur le plan politique, les initiatives américaines dans la région ont crispé ces pays sur l’enjeu de la démocratisation. La question des migrations concerne surtout les pays du Maghreb, qui se retrouvent aujourd’hui en situation de pays de transit et s’inquiètent du fait que l’UE leur sous-traite le blocage des migrants. Un pays comme la Maroc a tout intérêt à entrer dans une relation plus coopérative avec l’UE pour définir une politique migratoire commune.

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