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Dominique Janin : “Reste à savoir si le Conseil des ministres acceptera de boire la potion qui est imbuvable”

Dominique Janin, Secrétaire général adjoint de l’Assemblée de Régions européennes viticoles (AREV) nous livre ses réflexions sur le projet de réforme de l’Organisation Commune du marché viticole européen communiqué par La commissaire à l’Agriculture Mariann Fischer Boel le mercredi 4 juillet 2007.

La Commission européenne vient de proposer une réforme de l’Organisation Commune du marché viticole européen avec l’arrachage de 200 000 hectares de vigne. Pourquoi une telle mesure ? Comment cette nouvelle est-elle accueillie par les viticulteurs ?

Cette réforme a pour objectif déclaré de venir à bout des excédents périodiques ou, pour certaines régions, chroniques, éliminés par une distillation subventionnée qui coûte cher. Or, pour y parvenir, la Commission européenne imagine que c’est en prenant pour modèle ce qui se pratique dans les pays tiers que l’Europe obtiendra des résultats. Mais c’est prendre le contre-pied du mode de production européen au moment où certaines régions phares du nouveau monde en reviennent et souhaitent s’en inspirer. Les pays tiers ont une logique industrielle et sans contraintes, alors que nous sommes dans une logique plutôt artisanale très encadrée.

Toutes les mesures proposées par la Commission européenne, à savoir l’arrachage massif, la suppression de toutes les mesures de gestion de crise, puis libéralisation totale des droits de plantations à partir de 2014, vont entraîner un chamboulement incroyable de la viticulture européenne.

De plus, la Commission enlève une partie du budget du premier pilier, donc du fond dédié à l’OCM (Organisation commune du marché viti-vinicole) pour le transférer sur le second pilier, le développement rural. Alors que pour obtenir des fonds “développement rural” de ce second pilier, il faut toujours obtenir des cofinancements sur la région ou la commune, difficiles à avoir.

La Commission propose aussi la confusion des genres entre vin de table et vin de qualité. Il n’y aura plus que des vins avec ou sans indications géographiques, sachant que pour les vins d’indication géographique protégée, il suffit que 85 % de ce vin provienne de la zone pour obtenir l’appellation. Par ailleurs, il est prévu, pour toutes les catégories, de mentionner le millésime et le cépage, ce qui était auparavant réservé exclusivement au vin de qualité.

Il y a toute une batterie de mesures qui sont vraiment incohérentes ou inadaptées. Pas seulement pour la France, mais aussi pour l’Allemagne et beaucoup d’autres pays.

Les régions européennes viticoles que vous représentez ont-elles été surprises par cette mesure ?

Absolument. Une réforme s’imposait certes pour pallier les aberrations du système actuel et pour améliorer la compétitivité des exploitations européennes, mais pas celle-là. Cela fait quand même 18 mois que nous travaillons dessus et que nous faisons des propositions constructives pour apporter notre pierre à l’édifice. Mais je dois dire que la Commissaire européenne à l’agriculture et ses services se sont montrés particulièrement “autistes” . Ils ont toujours déclaré à qui voulait l’entendre qu’ils étaient ouverts au dialogue et à l’écoute des politiques et des professionnels, mais force est de constater qu’ils n’ont pas varié dans leur vision très libérale : la proposition législative est pratiquement identique à la communication faite en juin 2006.

L’AREV est une association qui rassemble à la fois les représentants politiques et professionnels de quelque 70 Régions d’Europe, donc des gens de terrain qui savent de quoi ils parlent, qui ont des responsabilités, qui sont parfaitement légitimés démocratiquement, et leurs propositions ne sont pas faites à la légère. Depuis 18 mois, nous avons donc émis plusieurs avis dûment argumentés, mais la Commission n’a guère bougé. C’est comme s’il s’agissait pour certains d’imposer leur idéologie libérale, qui tourne le dos à 2000 ans d’histoire viticole européenne. Reste à savoir si le Conseil des ministres acceptera de boire la potion qui est imbuvable.

Il semblerait que certains viticulteurs approuvent les mesures d’arrachage comme “solution” contre la crise que traverse leur secteur d’activité confronté à la concurrence des pays du Nouveau Monde. Que pensez-vous de cette résignation ?

C’est bien triste d’être résigné, surtout quand on est jeune viticulteur et qu’on a beaucoup investi, qu’on s’est endetté, et qu’on n’a pas le retour sur l’investissement. La viticulture est une vocation en Europe et ce n’est pas un business. En Europe, nous avons majoritairement une logique artisanale même s’il existe aussi de grands groupes et de grosses unités.

Maintenant, si certains viticulteurs souhaitent arracher leurs vignes pour toucher des primes, qu’ils le fassent. Mais, il ne faut pas arracher n’importe où n’importe comment. Il ne faut pas que les terres à vignes puissent être libérées pour des constructions, ce qui amènerait à un mitage des zones d’appellation ou autres zones viticoles.

Ce qui nous guette également, c’est qu’à partir de 2014, il y aura l’autorisation de planter partout dans les zones délimitées. Il pourrait y avoir des grosses surprises, avec des remembrements rapides qui feraient place à cette viticulture industrielle, ou avec des “délocalisations” de vignobles des zones pentues vers les plaines où coûts d’exploitation et rentabilité sont nettement moindres, mais où la vigne n’a jamais eu sa place à côté du maïs par exemple.


La Commission européenne a délégué à chaque Etat une enveloppe nationale. A lui de décider de la répartition des arrachages. Comment cela est-il mis en œuvre ?

La Commission européenne répartira entre les Etats membres les fonds destinés à la restructuration, la promotion vers les pays tiers etc. selon différents critères et sur la base de programmes à soumettre. En revanche, elle veut s’arroger les compétences qui sont réservées jusqu’ici au Conseil pour imposer plus facilement sa vision des choses.

Elle va diminuer les aides européennes pour la viticulture, mais en même temps, elle veut plus de pouvoir et de compétences techniques. J’espère qu’au Conseil des ministres, nos hommes politiques vont débattre des orientations fondamentales de la viticulture européenne avant de négocier quoi que ce soit. En fait, il faudrait revoir toute la copie. C’est ni fait ni à faire. Mais se battront-ils avec autant de détermination qu’en son temps contre la fameuse “Directive Bolkestein” ? Il y va de l’avenir de la viticulture européenne.

En tout état de cause, c’est la collectivité territoriale qu’est la région qui est la mieux à même de traiter ce sujet sur le terrain. Son avis devrait donc être pris en considération.

Propos recueillis le 04/07/2007

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