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Déjà réviser le traité de Lisbonne : Pourquoi ? Comment ?

Contre toute attente, l’idée de réformer le traité de Lisbonne a réussi à se frayer un chemin jusque dans les conclusions du dernier Conseil européen. Afin de rendre légal le fonds de stabilisation de la zone euro qu’ils prévoient d’instituer d’ici 3 ans, les Etats vont devoir changer certaines dispositions du traité qui actuellement s’y opposent. Que dit le traité et en quoi contrevient-il au projet de fonds ? Comment les Etats pourront-ils s’y prendre pour réviser le traité ?

Au mois de mai dernier, face au risque de déstabilisation de la zone euro par la crise grecque, et pour rétablir la confiance au sein des marchés, les Etats membres se sont mis d’accord avec le FMI pour instaurer un “mécanisme de stabilisation financière” .


Ce fonds constitue une réserve de 750 milliards d’euros, à laquelle les Etats en difficulté pourraient avoir recours pour se faire prêter de l’argent à des taux préférentiels, et éviter ainsi d’être tributaires des taux très élevés qu’offrent les marchés dans ces situations.

Il s’agissait d’un mécanisme mis en place de manière temporaire pour trois ans. Cependant, au sommet de Deauville, puis ensuite au Conseil européen d’octobre, les Etats se sont accordés pour le pérenniser.

Que dit le traité de Lisbonne ?

Mais la question se pose de savoir si cela va, ou non, à l’encontre du traité de Lisbonne. En effet, depuis la création de l’Union monétaire, une “clause de non-renflouement” figure dans les textes, actuellement à l’article 125 du TFUE.

Le principe qu’elle pose, selon lequel les Etats doivent assumer seuls leurs engagements financiers, et que ni l’Union ni les autres Etats ne peuvent les prendre à leur charge, est assorti d’exceptions figurant à l’article 122 § 2. En effet, “lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés et une menace sérieuse de graves difficultés, en raison d’évènements exceptionnels échappant à son contrôle” le Conseil peut accorder une assistance financière à l’Etat concerné. L’article cite le cas de “catastrophes naturelles” parmi ces circonstances exceptionnelles.

Le fonds est-il compatible avec le traité ?

A l’époque, le règlement établissant le fonds avait fait son possible pour le rendre compatible avec le traité : “l’aggravation de la crise financière a provoqué une grave détérioration des conditions d’emprunt de plusieurs États membres, que les fondamentaux économiques ne peuvent à eux seuls expliquer” , disposait-il. Il s’agissait donc bien d’une “situation exceptionnelle qui échappe au contrôle des États membres” .

Mais si cela peut être vrai pour la dégradation des situations budgétaires de certains Etats membres, ça n’est pas le cas de la Grèce, dont la situation critique est largement imputable à sa propre mauvaise gestion, qui n’entre donc pas dans le champ d’application de l’article 122 § 2.

Un avis partagé par le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, tel qu’il l’explique au détour d’une interview accordée au Financial Times : “Il est expressément interdit dans les traités de sauver un Etat européen de la faillite. De facto, nous avons changé le traité avec ce plan” .

L’aléa moral désigne la perspective qu’un agent, parce qu’il est assuré contre un risque, se comporte différemment, notamment en augmentant sa prise de risque, par rapport à la situation où il devrait en supporter entièrement les conséquences négatives : comme l’assuré ne paie pas en cas de problème, il prend davantage de risque.


En effet, si l’on considère l’esprit du texte, on réalise que l’article 125 a été écrit précisément pour empêcher ce que les Etats souhaitent aujourd’hui mettre en place. L’objectif non dissimulé de l’article était de garantir que les marchés financiers exercent pleinement leur discipline à l’encontre des Etats imprévoyants. Pour ce faire, l’article interdisait la mise en place d’une quelconque garantie externe, qui aurait pu inciter les marchés à prêter dans des proportions ou des conditions anormales. Cela avait pour but de responsabiliser le comportement des Etats, en combattant l’ “aléa moral”.

Cependant, cela soulevait déjà des interrogations à l’époque, et les commentateurs s’étaient demandé dans quelle mesure cette prohibition pouvait être respectée si les difficultés d’un Etat venaient à risquer de contaminer l’ensemble de l’Union monétaire. Certains s’étaient également interrogés sur la compatibilité de cette disposition avec le “principe de solidarité” européen.

L’intervention de la Cour constitutionnelle allemande

Des interrogations prémonitoires, puisque, près de deux décennies après Maastricht, ce sont celles qui ont occupé la Cour constitutionnelle allemande.

Saisie en mai par trois économistes et un professeur de droit constitutionnel, tant importunés par le fond que par la forme de l’affaire, la Cour de Karlsruhe a du se prononcer sur la conformité du mécanisme avec le droit.

Prise en tenaille entre sa raison d’être (l’infraction à la clause de non-renflouement est trop manifeste pour être ignorée) et une responsabilité politique certaine (ni plus ni moins que le sort de la zone euro), la Cour s’en est sortie en invoquant la nature temporaire du mécanisme. Elle a considéré qu’il s’agissait d’une mesure prise dans l’urgence face à une situation imprévue. Ainsi, a posteriori, le plan était conforme au traité, mais ne pourrait pas être reconduit.

C’est pourtant ce que les Etats souhaitent faire, et c’est la raison pour laquelle le traité doit être modifié.

Ne peut-on pas faire autrement ?

Mais à peine désembourbée du marasme institutionnel, l’Europe hésite à s’y replonger. Après dix douloureuses années de tractations entre les Etats, et après la promesse de tous que l’adoption du traité de Lisbonne tournait la page institutionnelle pour un long moment, la décision peut surprendre, et on peut se demander si une révision est vraiment nécessaire.

Si la réponse n’est pas évidente politiquement, juridiquement, c’est probable. La prestigieuse Cour de Karlsruhe a très clairement considéré qu’un fonds permanent serait incompatible avec le traité, et il serait juridiquement hasardeux d’aller contre son jugement.

Mais en vérité, la Cour n’est pas complètement aveugle aux implications politiques de ses jugements, surtout sur un sujet si délicat en Allemagne. Il faut se rappeler que l’introduction d’une clause de non renflouement dans le traité de Maastricht était une des conditions de l’adhésion de l’Allemagne à l’Union monétaire. C’est la raison pour laquelle la Chancelière Angela Merkel a autant insisté pour une modification du traité, bien que cela la mette en délicatesse avec ses partenaires européens.

Que modifier dans le traité ?

Si l’affaire est entendue, reste à savoir quelles dispositions du traité de Lisbonne doivent être modifiées pour rendre le futur dispositif conforme. Deux pistes étaient envisagées : changer le principe, ou élargir le champ des exceptions.

  • Changer le principe, c’est-à-dire supprimer l’article 125, serait un exercice délicat. L’Allemagne continue de combattre l’idée que les Etats mauvais gestionnaires pourraient recevoir des chèques en blanc de leurs collègues vertueux ; d’autant qu’elle serait la première à devoir payer, en tant qu’économie la plus importante du continent.

  • Elargir le champ des exceptions est une solution plus acceptable : l’idée serait de faire un ajout à l’article 122, en précisant plus explicitement que d’importantes difficultés économiques peuvent justifier une aide de la part des autres Etats ou de l’UE.

Comment réformer le traité ?

Rouvrir le traité de Lisbonne, c’est prendre le risque de rouvrir la “boîte de Pandore” contenant les réclamations de tous les frustrés de Lisbonne. Les rejets français, irlandais et néerlandais, ainsi que les valses-hésitations tchèques et polonaises demeurent très présents dans les esprits. Ainsi la France et l’Allemagne souhaitent-elles circonscrire cette révision le plus possible, en passant notamment par une procédure dite “simplifiée” , prévue par l’article 48 § 6 du TUE.

En principe, une révision “ordinaire” du traité nécessite la convocation d’une Conférence intergouvernementale, un processus long et fastidieux, et qui risquerait de remettre en cause d’autres pans du traité.

En procédure simplifiée, une simple décision du Conseil européen, à l’unanimité, est suffisante. En outre, le Parlement européen est simplement “consulté” . Les deux conditions autorisant le choix de cette procédure (une modification pourtant sur une politique interne de l’Union, et qui n’a pas pour effet d’augmenter le champ des compétences de celle-ci) sont ici réunies.

Les incertitudes persistent

En revanche, si la procédure simplifiée fait l’économie d’une conférence intergouvernementale, la ratification de la nouvelle mouture du traité par chaque Etat membre, chacun selon ses propres modalités, reste nécessaire. A noter que tous les Etats membres devront ratifier, et non uniquement les participants à l’Union monétaire, pourtant seuls à être concernés par la modification. Là-dessus, le succès n’est pas assuré. La ratification passe par l’assentiment des Parlements nationaux dans la plupart des Etats. Le chercheur Piotr Kaczynski identifie de nombreux gouvernements européens en position de faiblesse devant leur Parlement : Portugal, Irlande, Pays-Bas, Suède, Belgique ou Italie. Il estime à 50-50 les chances que la révision soit menée à bien.

Contrairement à l’idée que certains s’en font, il n’y a pas d’obligation constitutionnelle d’organiser un référendum en Irlande pour toute modification du traité. La question est étudiée au cas par cas par les autorités juridiques et politiques irlandaises, qui décident ou non de la tenue d’un référendum. Quand il s’agit d’un transfert significatif de compétences, elles choisissent systématiquement de le faire approuver par le peuple. Mais dans un cas comme celui-ci, très circonscrit, elles pourraient s’en passer.


Autre obstacle potentiellement plus explosif : l’éventualité pour l’Irlande de devoir approuver la modification par voie référendaire. Là-dessus, rien n’a été arrêté. Le Premier ministre Brian Cowen a rassuré ses partenaires, en soutenant que l’aspect “chirurgical” de la modification pourrait se passer d’un appel aux urnes. “Il n’est pas vrai que la loi constitutionnelle irlandaise impose un référendum en toute circonstance, quel que soit le contenu du changement” , a-t-il précisé, annonçant que l’avocat général irlandais se prononcerait lorsque les modalités exactes seraient connues. Mais il n’a pas non plus exclu la tenue d’un référendum.

David Cameron, Premier ministre britannique, s’était lui aussi engagé auprès de ses constituants à organiser un referendum sur Lisbonne. Mais il lui est plus facile d’arguer que, n’appartenant pas à la zone euro, le changement de traité ne concerne pas son pays.

Quoi qu’il en soit, le sujet semble être clos pour l’instant. Les Etats ont confié à Herman Van Rompuy, dont l’agenda se libère avec la fin de sa mission à la tête de la task force, la tâche de proposer des solutions, politiques et techniques, avec l’appui de la Commission. A lui de faire preuve d’inventivité d’ici décembre, date du prochain Conseil européen.


Sources :

L’Allemagne et le dossier grec : les juges constitutionnels feront-ils dérailler l’euro ? - Institut Turgot

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