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Crise grecque : causes, état des lieux, issues possibles

Depuis un an et demi, la Grèce n’a cessé de faire la Une de la presse économique européenne. Aujourd’hui, les Etats sont sur le point de lui signer un second chèque. Pourquoi l’économie grecque n’est-elle toujours pas rétablie ? Entre le maquillage de ses comptes public et les problèmes structurels de son économie, quelles sont les véritables causes de la crise grecque ? Quels scénarios de sortie de crise peut-on envisager ?

Les difficultés structurelles de la Grèce

L’économie grecque a connu une très nette progression depuis le milieu du XXe siècle. De pays quasiment “sous-développé” dans les années 50, il fait désormais partie des trente pays les plus riches du monde. Mais malgré une croissance spectaculaire jusque dans les années 70, d’importants problèmes structurels ont perduré. Son entrée dans la zone euro a pourtant redonné un coup de fouet à son économie, là où ailleurs en Europe la croissance stagnait : la Grèce a bénéficié pendant sept ans du meilleur taux de croissance de la zone, ayant pu bénéficier de capitaux à des taux privilégiés. Mais cette accession n’a pas été accompagnée de réformes en profondeur.

En effet, la Grèce est confrontée depuis longtemps à de nombreux problèmes structurels qui handicapent son économie. D’abord, c’est le pays de la zone euro le plus fermé, puisque ses exportations ne dépassent pas 22% de son PIB (contre 63% en moyenne dans la zone euro). Son marché intérieur de 11,5 millions d’habitants ne lui offre pas tant d’opportunités de croissance. D’autant que l’investissement dans la recherche et le développement, qu’il soit public ou privé, reste atrophique : l’effort public est deux fois moins important que la moyenne européenne, et l’effort privé, sept fois !

Quant au climat social, il y a plusieurs années déjà qu’il est dégradé en Grèce. On se souvient de la révolte de la “génération 700 euros” à la fin de l’année 2008 : les jeunes Grecs, bien que les plus diplômés d’Europe, sont très touchés par la précarité et le chômage.

C’est que le modèle social grec manque de viabilité sur le long terme. Le système de retraite est très déficitaire. Le secteur public est très vaste et généreux, tout comme l’assistance sociale, sans pourtant faire preuve d’efficacité : les transferts sociaux ont un effet bien moindre sur la pauvreté qu’ailleurs en Europe.

Mais tous les frais ainsi engendrés pèsent sur le budget de l’Etat, qui ne rentre quasiment jamais dans les clous du Pacte de stabilité, et atteint encore moins l’équilibre ; d’autant que si les sorties sont nombreuses, les rentrées, elles, sont excessivement faibles.

D’abord en raison d’une économie souterraine très importante - estimée à 20% du PIB - à tel point qu’aux premières heures de la crise, elle a permis au pays de se maintenir à flot ; mais qui sur le long terme prive les caisses publiques d’importantes sources d’argent. Mais surtout, c’est l’évasion fiscale qui fait perdre jusqu’à 30 milliards d’euros à l’Etat chaque année - plus d’un quart du montant de l’aide accordée par l’UE à la Grèce ! Un sport national largement favorisé par la corruption qui règne au sein du fisc grec, comme dans le reste de l’appareil d’Etat.

C’est d’ailleurs l’un des principaux problèmes de la Grèce, qui bloque toute avancée : la corruption est profondément ancrée dans la culture administrative - Transparency International estime que le montant des pots-de-vin distribués en 2009 atteint 88 millions d’euros.

Nous sommes rentrés dans le noyau dur de l’Eurozone sans prendre les mesures nécessaires pour s’y adapter. Notre administration publique est très touchée par la corruption car aucun contrôle n’existe pour l’empêcher. Notre économie reste traditionnelle et n’a pas su s’adapter aux changements. Notre système politique quant à lui est clientéliste et a eu du mal à affronter les problèmes” reconnaissait déjà Georges Papaconstantinou à l’occasion d’une rencontre à la Maison de l’Europe, lorsqu’il était ministre grec des Finances.

Les causes de la crise

Comment donc sauver “le pays le plus mal gouverné de l’Europe développée” selon un article récent du quotidien Irish Times ?

Cette culture de la corruption dans la manière de gérer les affaires publiques est à l’origine de mensonges persistants sur l’état des comptes publics grecs. En 2000, afin de rejoindre la zone euro, la Grèce fournit de fausses statistiques, divisant par deux le chiffre de son déficit public. Un mensonge que reconnaît le gouvernement en 2004, sans être particulièrement inquiété. Seul Eurostat a toujours refusé de valider les comptes grecs.

En 2004, passer aux aveux n’avait pas déclenché de réaction sur les marchés - la crise n’avait pas encore frappé. A la fin 2010 au contraire, l’annonce par le gouvernement socialiste, nouvellement élu, d’un déficit deux fois plus élevé que celui annoncé déclenche un vent de panique qui fait bondir le “spread” , c’est-à-dire la différence du coût de la dette grecque comparé au taux de référence pour la zone euro, celui de la dette allemande. Le 15 décembre, l’agence de notation Fitch abaisse la note de la Grèce en dessous du niveau A, une première pour un pays européen. La notation de la Grèce par les trois grandes agences américaines n’aura de cesse de dégringoler par la suite.

La Grèce aurait été aidée dans la falsification de ses données par la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui en retour aurait touché près de 300 millions de dollars de commissions, selon l’article du New York Times ayant révélé l’affaire.

Face au naufrage de l’un des leurs, les autres Etats de la zone euro sont partagés entre la nécessité de manifester leur soutien, notamment pour éviter un effet de contagion (l’Espagne et le Portugal donnent eux aussi des signes de faiblesse), et le souci de ne pas donner l’impression que la Grèce se trouve dans une situation si critique qu’elle pourrait avoir besoin d’une aide financière - clause à priori rejetée par les traités européens. De plus, l’Allemagne rechigne particulièrement à faire acte de solidarité à l’égard d’un pays qui a manqué à ses obligations.

En attendant, la Commission européenne place la Grèce sous tutelle budgétaire le 1er février 2010.

Austérité drastique + injection d’argent européen = une formule gagnante ?

De son côté, la Grèce se voit dans l’obligation de lancer des programmes d’austérité afin de réduire au maximum ses dépenses. Le premier plan qu’elle annonce en janvier, prévoyant 10 milliards d’euros d’économies, n’ira pas suffisamment loin. Un second plan arrive en mars, qui prévoit une réduction supplémentaire de 4,8 milliards d’euros. En mai, au moment où les Européens se mettent d’accord pour l’aider d’une enveloppe de 110 milliards d’euros, la Grèce présente un plan sur 3 ans permettant un total de 30 milliards d’euros d’économies.

Augmenter les recettes :
- privatisations d’entreprises publiques
- hausse de la TVA,
- augmentation des taxes sur le tabac, l’alcool, les carburants et le luxe,
- hausse des impôts sur le revenu
- contrôles plus stricts de la fraude fiscale
- nouvelles taxes sur les entreprises ou encore les jeux d’argent.

Réduire les dépenses :
- Réduction des primes et des avantages salariaux des fonctionnaires et des employés des entreprises publiques,
- gel des retraites du secteur public et du secteur privé.

Le programme joue bien entendu sur deux leviers : l’augmentation des recettes, et la réduction des dépenses de l’Etat (voir ci-contre).

Finalement, sur l’année 2010, la Grèce parviendra à réduire son déficit de 5 points de pourcentage, quelque chose qu’aucun autre pays de l’Eurozone n’aura jamais réussi. Cette réduction aurait pu être encore plus importante si le chiffre définitif du déficit de 2010 n’était pas encore plus élevé que prévu (15,4% au lieu de 13,7%).

Toutes ces mesures ont un fort effet récessionnaire : entre la fin 2009 et la fin 2001, le PIB grec se contracte de 6,6%. Plus que cela, lancées rapidement, elles créent un véritable choc social. Bien qu’au départ, une majorité de Grecs est favorable aux réformes, ce soutien s’amenuise à mesure que les mesures d’austérité se durcissent. Pourtant, une partie de la population continue de donner à son gouvernement le bénéfice du doute, car pour l’instant, le pays manque d’alternative.

Tout en poursuivant ces objectifs de réduction des dépenses et d’augmentation des recettes, la Grèce ouvre aussi de grands chantiers : en premier lieu celui de la réforme du système de retraites, en repoussant la durée de cotisations et l’âge légal de départ à taux plein. Elle souhaite aussi améliorer la qualité des dépenses sociales, lutter contre l’économie grise, et lance un programme de privatisations afin de redynamiser certains secteurs économiques et, à nouveau, de réduire la dette. Dans le même ordre d’idée, elle s’attèle à la flexibilisation de son marché du travail, en ouvrant davantage les professions protégées de manière injustifiée. Enfin, elle engage un grand programme de lutte contre la corruption au sein de l’appareil d’Etat.

Certaines de ces mesures bénéficient du soutien d’une population consciente de la mauvaise direction qu’a emprunté son pays depuis trop longtemps.

L’échec de la formule

Au départ, le plan d’austérité grec combiné au prêt européen porte ses fruits, et les spreads diminuent de 3,5 % en une quarantaine de jours.

Mais, ravivée par les crises irlandaise et portugaise, la crise grecque repart de plus belle au début de l’année 2011. Outre ses difficultés structurelles persistantes, une série de rumeurs et de maladresses alimente la crise de confiance des marchés et maintient le pays sous l’eau. En mars, le délai de remboursement des crédits prêtés par l’Europe passe à 7 ans et demi au lieu des 3 ans prévus au départ. On s’interroge sur la nécessité de l’allonger à 10 ans. Face à cette dégringolade, l’agence Standard & Poor’s dégrade la note de la Grèce de trois crans, en faisant ainsi le pays le plus mal noté au monde. Les Etats finissent par se rendre à l’évidence : un second prêt d’un montant encore à définir (de 40 à 120 milliards selon les estimations) devra intervenir.

Dans le pays, les tensions sociales sont de plus en plus fortes. Le mouvement des indignés grecs, fort de dizaines de milliers de personnes, se rassemble depuis plusieurs semaines à Athènes. Le pays connaît sa neuvième grève générale depuis le début de la crise. La crise sociale manque d’entraîner une crise politique : sous la pression de la rue, le premier ministre, Georges Papandréou, remanie son gouvernement, dont il obtient qu’il soit confirmé par le Parlement par un vote de confiance. Cette légitimité nouvelle lui permet de boucler un nouveau plan d’austérité de nature à accompagner le futur prêt européen : des économies supplémentaires de 28,4 milliards d’euros et 50 milliards de privatisations.

Aujourd’hui, certains commentateurs se demandent si la formule austérité carabinée et injection de prêts européens à taux plus avantageux que le marché finira réellement par fonctionner. Mais existe-t-il une alternative ?

Les scénarios de sortie de crise

D’après le think thank Bruegel, il faudra au moins vingt ans à la Grèce pour que sa dette publique (avoisinant actuellement 150% de son PIB, soit 350 milliards d’euros) se retrouve sous le seuil autorisé par le pacte de stabilité européen (60%), et encore, seulement dans des conditions extrêmement strictes. Dès lors, l’une des solutions serait tout simplement d’effacer une partie de la dette grecque. Détenue en partie par des acteurs privés, il ne s’agirait pas de les exproprier, mais de leur fournir en échange des obligations du Fonds européen de stabilité financière. C’est la solution proposée par le quotidien allemand Die Presse. Pourtant, la chancelière allemande elle-même risque de ne pas apprécier la démarche - or, il faudrait pour ce faire l’unanimité des 27 Etats membres.

Dans le même ordre d’idées, les taux d’intérêts pourraient être baissés. Actuellement, ceux réclamés par l’Europe sont de 6% ; or les Etats qui prêtent l’argent l’empruntent eux-mêmes à un taux bien moins élevé. En diminuant (voire abandonnant) leur marge, ils pourraient grandement aider leur soeur malade. Là encore, il n’est pas certain que les Etats (et en particulier l’Allemagne) soient prêts à ce genre d’effort.

La proposition allemande de mettre à contribution les investisseurs privés (banques, assurances…), en leur demandant d’accepter un remboursement plus tardif de leurs obligations, ou de souscrire de leur plein gré de nouveaux emprunts, au fur et à mesure de l’arrivée à expiration de ceux déjà émis par la Grèce, a fait l’objet d’un accord entre les 27 en début de semaine, et pourrait être entérinée lors du Conseil européen qui s’achève vendredi 24 juin. Mais mobiliser ainsi les créanciers pourrait passer pour une mise en faillite du pays, ce qui enverrait un message extrêmement violent aux marchés, dont les Etats craignent qu’ils retirent massivement leurs investissement dans d’autres pays affaiblis de la zone euro (Portugal, Irlande…).

Quoi que les Etats décident, puisque c’est à eux que reviendra la décision, la Grèce semble condamnée à rester dans un tunnel pour la prochaine décennie au moins : pour les dirigeants grecs, la politique d’austérité relève “d’un choix entre une voie difficile et une voie catastrophique” , selon les mots de Georges Papaconstantinou.


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