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Coupe du monde : l’UE est-elle responsable de l’explosion du foot-business ?

En 1995, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne secoue le milieu du football en mettant fin aux quotas de joueurs étrangers dans les clubs européens. Le principe de libre circulation des travailleurs doit donc s’appliquer au sport. Nombreux sont ceux qui accusent la décision d’avoir largement contribué à l’expansion du “foot-business”.

Foot-business
Crédits : Andreas Steidlinger/iStock

Qui aurait pu prédire au début des années 1990 qu’une simple plainte d’un joueur de 1ère division belge inconnu du grand public suffirait à ébranler les fondements sportifs et économiques du football mondial ? En 1995, le procès intenté par le milieu de terrain Jean-Marc Bosman contre son club, le FC Liège, est porté devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Par un arrêt qui a fait couler beaucoup d’encre, la Cour donne gain de cause au joueur, et ouvre ainsi la voie à la dé-régularisation des transferts.

Le litige remonte au printemps de l’année 1990. Jean-Marc Bosman joue alors pour le FC Liège, et voit son contrat arriver à terme. Liège propose à M. Bosman de renouveler son contrat, mais en réduisant son salaire de 75%. Le joueur refuse et se tourne alors vers le club de Dunkerque qui lui fait une proposition bien plus avantageuse.

Un obstacle reste toutefois à franchir : une règle de l’UEFA (l’Union des associations européennes de football) impose encore aux clubs qui accueillent un nouveau joueur de verser une “indemnité” à celui qui le cède. Même s’il arrive en fin de contrat. Jean-Marc Bosman se retrouve ainsi tributaire du club de Liège qui, redoutant la non-solvabilité de Dunkerque, bloque le transfert. Le joueur belge dépose alors une plainte contre le FC Liège et l’UEFA.

Le procès s’éternise, Jean-Marc Bosman reste attaché à Liège - mais suspendu - puis signe de courts contrats avec les clubs français de Saint-Quentin (France), Saint-Denis de la Réunion et Charleroi (Belgique). Le joueur conteste alors une autre règle de l’UEFA, qui limite à 3 le nombre de joueurs étrangers pouvant jouer dans un club. Selon lui, cette clause de nationalité expliquerait sa difficulté à trouver un autre employeur, et entraverait sa carrière.

Cinq ans plus tard, l’affaire est portée devant la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’arrêt dit Bosman, la Cour donne gain de cause au milieu de terrain belge, estimant que la réglementation de l’UEFA est contraire aux “principes de libre circulation de l’espace communautaire” . C’est un tournant : le football devient une activité économique comme une autre, soumise aux règles du marché unique. Les quotas de nationalité sont abolis pour les ressortissants de la Communauté économique européenne (CEE) et indemnités de transfert abolies pour les joueurs en fin de contrat.

Concentration de talents

La barrière des quotas levée, le marché des transferts explose et les clubs se mettent à recruter très largement à travers l’espace européen. Entre 2003 et 2005, d’autres arrêts de la CJUE étendent le principe de libre-circulation des joueurs à 24 pays ayant passé des accords d’association avec l’UE, puis à 77 pays du Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

La proportion de joueurs étrangers dans les championnats européens s’envole alors, passant de 18,6% en 1995 à 46,7% en 2015. Cette même année, le chiffre atteint même 66,4% des effectifs en Premier League anglaise, où l’argent, issu des droits télévisés, coule à flots.

Dès 1998, le Real Madrid ne présente plus que 4 Espagnols sur 11 joueurs en finale de Ligue des champions. Dans la même compétition, en 2010, l’Inter Milan ne compte aucun Italien sur 11 joueurs.

Or, pour le professeur de droit à l’université de Rome Andrea Manzella, les quotas de joueurs nationaux avaient une justification : “garantir des débouchés au niveau des championnats de haut niveau pour les centres de formation locaux” . Ainsi, la fin des quotas couplée à la dérégulation des transferts bénéficie avant tout aux clubs les plus riches. Comme le souligne un rapport de l’Observatoire du Football, “ces équipes dominantes peuvent en effet concentrer les talents de manière encore plus forte que dans le passé” . Elles bénéficient ainsi d’un avantage certain face aux plus petits clubs et ligues qui ne peuvent rivaliser, ni sur le terrain du sport, ni sur celui du recrutement.

Certains voient tout de même au moins deux avantages à cette évolution du sport. D’abord, celle de mettre fin à un système qui liait de façon quasi-irrémédiable les joueurs à leur club. La plus grande mobilité des travailleurs renforce de fait leur pouvoir de négociation, et par conséquent leurs salaires. Les clubs surenchérissent pour s’arracher les meilleurs joueurs qui augmenteront les performances de l’équipe et généreront aussi des revenus commerciaux et de sponsoring.

Deuxièmement, la concentration des meilleurs joueurs mondiaux dans quelques équipes a évidemment un impact sur la qualité de jeu : au micro de France Culture, dans l’émission Répliques rediffusée en juin dernier, le journaliste de l’Équipe Vincent Duluc admettait qu’elle permet de “voir des matchs absolument fantastiques” .

Régulation des transferts

Si l’UE a peu à peu renforcé sa coopération avec les hautes instances sportives, elle ne semble pas prête à reculer sur le principe de circulation. En 2008, la Commission européenne rejetait ainsi la proposition du président de la FIFA Joseph Blatter d’instaurer la règle du “6+5” (au moins six joueurs nationaux alignés par les clubs en championnat). Mais pour Pierre Auriel, doctorant en droit à Paris 2, la libre circulation n’est pas responsable de tous les maux du football. Dans un article écrit pour le magazine So Foot, il estime ainsi qu’en aucun cas la législation européenne n’empêche une régulation des transferts et des salaires, que ce soit au niveau communautaire, national, ou par l’UEFA.

Des tentatives de régulation ont tout de même été mises en place par l’UEFA. Parmi elles figure notamment la règle du fair-play financier, entrée en vigueur en 2015, qui dispose que les clubs participant aux compétitions européennes ne peuvent dépenser plus qu’ils ne gagnent. Toutefois, cette régulation est soupçonnée de créer des inégalités plus qu’elle ne les corrige : elle limite en effet les investissements des petits clubs, tandis que les plus grands peuvent user de montages financiers pour contourner la règle.

Il faut également le souligner : les dérives du foot-business ne commencent pas avec l’arrêt Bosman. Il s’agit bien d’une lame de fond initiée des années plus tôt. En 1974, Joao Havelange, sitôt élu à la présidence de la FIFA, déclarait alors déjà : “Je suis là pour vendre un produit appelé football”.

Pour Antoine Dumini et François Ruffin, auteurs de Comment ils nous ont volé le football (2014, Fakir Editions), cette élection de Joao Havelange - et le début du juteux business du sponsoring “marquent la véritable entrée de l’argent dans le football” . Dans les années 1980, les droits télévisés explosent et les salaires des joueurs suivent la même courbe. Ainsi pour Andrea Mazella, en ébranlant le système régulatif, l’arrêt Bosman n’a fait que rendre possible l’expansion de la pression économique qui s’était accumulée derrière le football depuis quelques années.

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