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Comment Internet a changé le métier de journaliste en Europe

“J’appelle journalisme tout ce qui aura moins de valeur demain qu’aujourd’hui”. Ces mots, que l’on prête à André Gide, soulignaient déjà il y a un siècle le caractère profondément éphémère de la production journalistique… A l’aube du XXIe siècle, le développement du numérique, l’accès aux informations toujours plus rapide, la diffusion d’informations toujours plus importante ou encore le nombre croissant de données et l’innovation des formats semblent donner plus que raison à l’écrivain français. Dès lors, comment le métier et le rôle du journaliste ont-ils évolué avec le numérique ? Est-il d’ailleurs plus pertinent de parler d’évolution ou de révolution ?

Le webjournalisme, ou comment Internet a changé le métier de journaliste en Europe
Le webjournalisme, ou comment Internet a changé le métier de journaliste - Crédits : DragonImages / iStock

Qu’est-ce que le webjournalisme ?

Internet a pu, dans un premier temps, provoquer une certaine méfiance de la part des journalistes : peur de l’extinction de la presse papier et du métier “littéraire” , nécessité de s’adapter aux nouvelles technologies… Pourtant, le numérique s’est peu à peu révélé aux yeux des journalistes comme un outil performant et un puissant vecteur d’informations. Ainsi, le journalisme s’est adapté et a développé de nouvelles techniques, de nouvelles méthodes, de nouveaux regards quant à l’attente des lecteurs.

Au début des années 2000, le “journaliste numérique” avait pour principale tâche de produire des contenus pour un site web. Depuis, il est devenu nécessaire (voire impératif !) pour tout journaliste “d’avoir des compétences qui n’étaient pas dans son portefeuille autrefois” , explique Alice Antheaume, directrice adjointe et responsable de la prospective de l’Ecole de journalisme de Sciences Po Paris - et auteure du livre Le journalisme numérique (2013) ainsi que du blog Work in Progress (W.I.P). Ces compétences variées vont ainsi de la connaissance de l’audience et la culture du partage à la maîtrise de données en passant par l’exploration de nouveaux formats, comme les applications et les formats mobiles.

Samuel Laurent, journaliste au Monde et responsable de la rubrique Les Décodeurs, confie qu’il “n’y a pas qu’un métier dans une rédaction aujourd’hui (…) mais des journalistes, rédacteurs, infographistes” . Etre journaliste à l’ère numérique consiste encore à rédiger des articles, mais le style de ceux-ci doit maintenant être adapté à chaque format (les lecteurs passant environ 5 minutes par jour à consulter les news sur des formats numériques) et ainsi compatible avec la demande des lecteurs : un contenu qui ne sera que survolé doit se doter d’un titre plus accrocheur, certaines informations ne sont relayées que brièvement et doivent par conséquent aller à l’essentiel, etc.

Mais le journaliste n’a jamais vraiment travaillé seul. “Avant, il y avait des ouvriers typographes, des directeurs artistiques qui choisissaient les unes” , souligne Arnaud Mercier, fondateur du Master Journalisme et médias numériques à l’université de Lorraine, à Metz - et co-auteur avec Nathalie Pignard-Cheynel de Mutations du journalisme à l’ère numérique : un état des travaux (2014). “Il y a toujours eu un écosystème qui fait que la production d’information est dans une codécision, une action commune autour d’un objectif. Ce qui a changé avec le numérique est que le journaliste reste en connexion avec d’autres métiers, mais ils ne sont plus les mêmes” , poursuit-il. Le langage commun, liant tous les aspects du webjournaliste, serait alors un aspect fondamental du travail.

Ces mutations se reflètent bien évidemment au sein des études de journalisme. Pour Arnaud Mercier, il apparaît évident de devoir mêler toutes les formations auparavant séparées, pour penser en terme de “rich media” , ne pas faire de “l’art pour l’art” mais bien “choisir la meilleure articulation entre divers supports pour faire une démonstration plus pertinente” .

Un autre aspect qui ne doit pas être négligé : le changement constant de paradigme induit par les progrès technologiques. Il est ainsi nécessaire de réussir à s’adapter à ces évolutions, qui ne cesseront d’exister : “Il n’y a pas de nouvelles formes de journalisme qui vont se routiniser une fois qu’on les aura bien intégrées” . Un constat que font également les écoles de journalisme, comme à Sciences Po où les enseignements sont modifiés “chaque année, sinon chaque semestre, pour correspondre aux dernières évolutions des pratiques journalistiques (engagement avec le lecteur, maîtrise de la gestion d’un projet de A à Z, innovation sur mobiles…)” , selon Alice Antheaume. Pour celle-ci, il ne fait ainsi aucun doute que l’on puisse parler de “révolution” et non d’évolution. Ainsi, le terme de “journaliste numérique” serait, avec la rapide évolution du métier, quasiment devenu un pléonasme !

Vous avez dit révolution ?

Les robots-journalistes

Ces algorithmes permettent de récolter des informations sur Internet ou à partir de bases de données et nécessitent donc moins de temps de recherche. Ils transforment de manière automatique des données en texte à partir de paramètres choisis par ceux qui effectuent les commandes. Les premiers ont été utilisés en mars 2014 aux USA par le Los Angeles Times pour la récolte d’informations concernant un tremblement de terre en Californie. Cet outil a été utilisé un peu après en Europe : en France par exemple, Le Monde a utilisé Data2Content pour de nombreux articles sur les résultats des cantonales de mars 2015. En Allemagne, le Berliner MorgenPost utilise encore le robot-journaliste Feinstaub-Monitor pour évaluer les données relatives à la pollution de l’air dans la capitale.

Révolution du rôle du journaliste avec le développement d’Internet et du numérique certes, mais celle-ci se fait-elle au détriment de la qualité ? Pour Samuel Laurent, il faut arrêter de penser que “le web, c’est mal écrit” . Internet a permis le développement de nouveaux outils de travail pour le journaliste, comme la datavisualisation ou datajournalisme, c’est-à-dire le fait de traduire des masses d’informations non sous forme de texte, mais sous forme d’infographies, de cartographies, de vidéos… une variété de contenus plus accrocheurs visuellement, et dans certains cas plus parlants.

L’adaptation des rédactions aux réseaux sociaux

Autre bouleversement majeur provoqué par l’arrivée d’Internet : l’explosion des réseaux sociaux. Celle-ci a fortement impacté la conception des informations et l’organisation des équipes de rédaction. Dans un premier temps, la gestion de l’image en ligne des journaux a été gérée par la création d’un métier spécifique : le social media editor. Ce journaliste - ou rédacteur professionnel de la communication - est en charge de la ligne éditoriale digitale.

Mais bien qu’il s’agisse d’un métier récent, certains le considèrent déjà obsolète. Les réseaux sociaux font en effet partie aujourd’hui de chaque étape de la création de contenus. La rédaction doit par exemple prendre en compte le degré potentiel de partage d’un article et sa structure par rapport à l’évolution de la lecture - maintenant plus rapide et avide de liens vers d’autres contenus. C’est ce que Sébastien Rouquette, professeur à l’université Clermont-Auvergne et chercheur dans le domaine des nouveaux médias, qualifie d’ “hypermédia” : la lecture devient hypertextuelle et contrairement au journal, les lecteurs ne consultent pas l’intégralité d’un site de presse mais se dirigent vers les liens inclus dans les articles ou proposés en bannière.

L’omniprésence des réseaux sociaux influence le métier de journaliste de façon variée. La presse puise dans la richesse des communautés toujours connectées, toujours réactives. Si Twitter est un outil de partage et de communication, il permet également au journaliste de trouver des informations puisque celles-ci sont souvent plus directes, plus locales et plus rapides que n’importe quel journaliste sur le terrain. La relation entre les journalistes et Twitter est, selon Arnaud Mercier, multi-face : “C’est l’objet que les journalistes se sont appropriés le plus massivement, pour y faire plusieurs choses : l’échange entre pairs, la diffusion quasi-publicitaire des publications, l’utilisation du crowd-sourcing pour repérer des sources et lancer des appels.” L’arrivée des smartphones accroît encore l’emploi des réseaux sociaux comme source avec la facilité de partager des images et des vidéos filmées sur place.

Au-delà des réseaux sociaux, Internet laisse libre cours aux équipes journalistiques pour faire des expériences inédites. Un journal européen qui illustre bien le potentiel d’innovation dont la presse peut s’emparer est The Guardian. Sa stratégie ? Dans les mots d’Emily Bell, son ancienne directrice des contenus numériques : “to be of the web, not on the web” . Car si d’un côté le site n’hésite pas à innover, de l’autre plusieurs de ses essais ne connaîtront pas de succès : le News Desk Live par exemple ouvrait les conférences de rédaction au public pour lui permettre de participer aux thèmes traités. Mais cette expérience a été arrêtée au bout de quelques semaines par manque d’intérêt du public !

Personal branding et individualisation du journaliste

Alors que les réseaux sociaux jouent un rôle multiforme dans le partage et la création de contenus, la personnalité en ligne des journalistes gagne en importance. Comptes Twitter, blogs, Instagram… En forgeant leur présence sur Internet, certains journalistes modifient la perception de la presse pour les lecteurs. Là où, auparavant, le journaliste s’effaçait derrière l’institution du journal pour lequel il travaillait, il n’est maintenant plus rare qu’un article commence par le nom d’un journaliste, voire par une courte biographie de celui-ci, une photo ou un lien Twitter. La signature du journaliste semble presque s’inverser, attirant les lecteurs spécifiquement vers les propos d’une personne. L’intimité et la confiance se transfèrent potentiellement de l’institution à l’individu.

Dans un premier temps, les blogs collaboratifs tels que Boing Boing ont connu un grand succès au début des années 2000, montrant l’importance des auteurs derrière les propos. Puis, au cours des années 2010, des applications telles que Flipboard ont été lancées. Cette application, meilleure de l’année 2011 selon Apple, agrège différents réseaux sociaux et sites d’informations pour que l’utilisateur confectionne son propre magazine. Elle intègre également un large panel de réseaux sociaux de partage au sein de l’application.

Un autre exemple : le site Crowdne.ws laisse les lecteurs s’abonner à différents journalistes pour lire seulement leurs articles et en quelque sorte recruter leur propre équipe de rédaction. Sa page d’accueil met en avant l’élimination du “middle man” , l’intermédiaire que représentaient les journaux, le “big media” , ici vu comme un frein et un handicap au travail de journaliste. On trouve sur cette même page une citation du penseur Clay Shirky selon laquelle “nous avons besoin de journalisme, pas de journaux” .

Ce type de sites et d’applications pourrait prendre plus grande ampleur dans les années qui viennent. Ainsi, le NiemanLab prédisait en 2013 une migration du rôle du journal vers la création de plateformes de talents. Ce phénomène s’avérera peut-être le grand test du journalisme pour s’adapter à l’ère digitale, comme il a su le faire pour les révolutions de la communication jusqu’à présent.

Les mutations numériques au Guardian en quelques dates

Article réalisé dans le cadre d’un projet collectif avec Sciences Po Paris, dont les participants sont Aurore Taillet, Astrid Voorwinden et Hirotoshi Yamakawa.

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