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Claude Blumann : “Le traité simplifié viendra simplement modifier les traités existants”

Professeur de droit à l’Université de Paris II Panthéon-Assas et doyen honoraire de la Faculté de droit de Tours, Claude Blumann a effectué pour Touteleurope.fr une analyse juridique du projet de traité simplifié tel qu’élaboré par les 27 chefs d’Etat et de gouvernement lors du Conseil européen des 21 et 22 juin dernier.

Le Conseil européen des 21 et 22 juin dernier est parvenu à un accord sur un traité simplifié. Le contenu de ce traité sera élaboré dans le cadre d’une Conférence intergouvernementale (CIG) qui se tiendra le 23 juillet prochain. Pourquoi faut-il une CIG pour rédiger le nouveau texte ? Quel est son rôle ? Quelles différences y a-t-il entre Conseil européen et CIG ?

Le Conseil européen de Bruxelles des 21-22 juillet 2007 est parvenu à un accord sur un mandat à mettre en œuvre lors de la prochaine conférence intergouvernementale qui s’ouvrira le 23 juillet sous présidence portugaise. Ce mandat consiste en l’occurrence en un document de travail fixant le cadre à l’intérieur duquel devra travailler la future CIG, qui devrait achever ses travaux si tout va bien avant la fin 2007.

Le texte du traité qui en sortira devra ensuite être ratifié par tous les Etats membres selon leur procédure constitutionnelle interne, si possible avant la tenue des élections européennes de juin 2009.

Une conférence intergouvernementale s’avère nécessaire pour élaborer ce nouveau traité car il s’agira d’un traité de révision des traités existants. La voie de l’article 48 du traité sur l’Union (procédure de révision) doit donc être empruntée. Il en a été de même pour les traités d’Amsterdam (1997) ou de Nice (2001).

Le rôle de la CIG est d’élaborer le texte du traité de révision, qui sera ensuite ouvert à la signature puis à la ratification des Etats membres, qui requièrent l’une et l’autre l’unanimité.

La différence entre la CIG et le Conseil européen tient à ce que le Conseil européen, qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 Etats membres est un organe régulier de l’Union, qui se réunit en moyenne de deux à quatre fois par an. La CIG est une instance dite “ad hoc” mise en place uniquement pour élaborer le texte de la révision. La composition n’est pas la même car la CIG peut se réunir aussi bien au niveau des hauts fonctionnaires des Etats membres que des ministres des affaires étrangères (ou autres) ou des chefs d’Etat ou de gouvernement (pour les arbitrages définitifs). Y siègent aussi des représentants de la Commission et des membres du Parlement européen peuvent être entendus.

En l’espèce la formule transparente et démocratique de la convention a été écartée.


Quelle sera la nature de ce traité simplifié ? Ce traité vise-t-il à abroger les traités actuels pour les remplacer par un texte unique (comme devait le faire le Traité constitutionnel) ? Ou s’agit-il de modifier les traités actuels ?

Ce traité simplifié sera un traité “communautaire” ordinaire. L’idée du traité constitutionnel de se substituer aux deux traités existants (UE et CE) a été abandonnée. Le traité simplifié viendra simplement modifier les traités existants. Le traité sur l’Union garde sa dénomination. Il aura un contenu plus institutionnel que le second. Le traité instituant la Communauté européenne (traité de Rome) se voit débaptisé et renommé traité sur le fonctionnement de l’Union (il englobera l’ensemble des politiques de l’Union). Le traité Euratom subsiste en tout état de cause comme troisième traité.

Formellement l’exercice ne va donc pas très loin. Néanmoins il importe d’indiquer que l’Union européenne acquiert - et possèdera seule - la personnalité juridique et qu’elle se substitue complètement à la Communauté européenne. La structure en piliers devrait donc disparaître ce qui constitue un réel progrès et une simplification. La PESC et la défense conservent néanmoins de nombreuses spécificités.


A la demande du Royaume-Uni, la Charte des droits fondamentaux de l’Union ne devrait ni figurer dans le corps du traité, ni lier ce pays. Le traité devrait se contenter d’une référence à la Charte tout en indiquant que cette dernière a “la même valeur juridique que les traités” . Cette alternative réduira-t-elle la portée juridique de la Charte ? Le retrait du Royaume-Uni ne renforce-t-il pas l’impression d’une “Europe à deux vitesses ” ?

La charte des droits fondamentaux ne figurera pas dans le futur traité. Le Conseil européen de Bruxelles n’indique pas quelle sera sa forme juridique précise. Il évoque cependant la conclusion d’un accord interinstitutionnel, qui reprendrait donc sa nature actuelle (AII de décembre 2000). Néanmoins le futur traité reconnaîtra à la charte une pleine valeur juridique contraignante, ce qui en termes juridiques équivaut en réalité à une intégration dans le traité, la portée symbolique en moins cependant.

La charte sera donc obligatoire pour les institutions communautaires et les Etats membres dans l’exercice de leur fonction de mise en œuvre du droit de l’Union. Les particuliers pourront l’invoquer devant leurs juridictions nationales du moins pour les dispositions leur reconnaissant des droits (non pour celles qui arrêtent des principes).

La situation du Royaume-Uni est très particulière. Ce pays a obtenu une clause dite d’opting-out, mais elle même spécifique, puisque théoriquement le Royaume-Uni sera lié par la charte. Néanmoins ni les juridictions britanniques ni a fortiori la Cour de justice ne pourront se prononcer sur la validité de lois ou règles nationales à son égard et les justiciables britanniques ne pourront en aucun cas s’en prévaloir. Autrement dit, le texte liera les autorités britanniques mais il ne pourra être invoqué par les particuliers et il ne pourra servir de base à une contestation du droit national britannique.

Bien évidemment ce statut particulier ne peut que renforcer l’impression d’une Europe à plusieurs vitesses. Mais il importe de rappeler que celle-ci est déjà une réalité bien tangible. L’Euro ne lie que treize Etats membres, l’espace Schengen ne s’applique pas au Royaume-uni, à l’Irlande ni au Danemark. Les dispositions sur la libre circulation des personnes ne s’appliquent pas encore intégralement aux nouveaux Etats membres, etc.


Afin de prendre en compte les craintes exprimées par les Français lors du référendum de mai 2005, le président Sarkozy a insisté pour que le principe d’une “concurrence libre et non faussée” ne figure plus parmi les objectifs de la Communauté, mais soit reconnu comme un simple moyen. Ce changement de perception vous paraît-il pertinent ?

En ce qui concerne la concurrence, le sommet de Bruxelles s’est livré à un exercice de haute voltige ou de prestidigitation aussi dangereux qu’inutile.

La concurrence figure dans les traités on le sait depuis l’origine. Depuis toujours, elle constitue avec la libre circulation un des deux piliers du marché commun. Dans le traité constitutionnel, l’article I-3, au titre des objectifs de l’Union, mentionnait “un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée” .

Le Président Sarkozy, probablement désireux de ne pas voir renaître les polémiques que cette formule avait provoquées a obtenu qu’elle disparaisse des objectifs tels qu’ils seront mentionnés dans le premier des deux traités. Néanmoins tout le dispositif normatif et procédural du droit de la concurrence (actuels articles 81 à 89 du traité de Rome) subsistera dans le traité sur le fonctionnement de l’Union (second traité). Il n’y a donc semble-t-il aucun changement sur le fond. Il s’agit d’une affaire d’affichage.

La France semble également avoir obtenu la signature d’un protocole sur les services d’intérêt général et d’intérêt économique général. Mais celui-ci reprend pour l’essentiel la substance de l’article 16 CE. Reste à savoir si le pouvoir de légiférer dans le champ des SIEG reconnu par l’article III-122 du traité constitutionnel, qui constituait une réelle innovation, sera maintenu.

Propos recueillis le 09/07/07

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