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Christian Fauliau : “Les populations agricoles africaines ne ressentent plus l’UE comme un partenaire privilégié mais comme un parmi d’autres”

A l’occasion du sommet UE-Afrique, qui s’est déroulé les 8 et 9 décembre 2007 à Lisbonne, Christian Fauliau, ancien senior économiste de la Banque mondiale, consultant international spécialiste des institutions agricoles et rurales et du renforcement des capacités, revient sur les accords de partenariat économique qui doivent entrer en vigueur le 31 décembre 2007.


Le 31 décembre 2007 marquera la clôture de négociations commerciales entamées il y a cinq ans entre l’Europe et les pays ACP. Ces négociations doivent aboutir à des accords de libre-échange entre les deux régions, appelés accords de partenariat économique (APE). Que pensez-vous de ces accords ?
En quoi diffèrent-ils des accords de Cotonou ?

Ces nouveaux accords sont un changement radical. Ils posent comme fondement que les pays africains peuvent et doivent entrer en compétition avec le reste du monde dès maintenant.

Les évaluations des accords de Cotonou ont démontré que malgré des conditions d’accès au marché européen plus favorables pour les pays africains ceux-ci n’ont pas réussi à profiter totalement des nouvelles opportunités d’exportation qui leur étaient offertes.

Ce bilan a été une surprise pour certains mais pas pour ceux qui connaissaient vraiment les conditions de productions dans les pays et savaient parfaitement que ce sont ces conditions de production qui doivent être améliorées avant de penser à un accroissement des exportations.

Nous pouvons donc logiquement nous étonner que l’UE préparant les nouveaux accords ait pris comme porte d’entrée principale le commerce et la réduction des barrières douanières.

Il aurait peut-être mieux valu prendre l’appui à la production et à la productivité pour la consommation nationale et l’exportation. Des accords commerciaux progressifs auraient alors eu tout leur sens comme mesure d’accompagnement. Sauf à considérer que les évaluations sont inutiles, c’est logiquement ce qui est ressorti de celles des impacts des accords de Cotonou.

La dynamique appui au développement accompagnée d’une amélioration progressive des accords commerciaux va être remplacée par une dynamique ouverture commerciale accompagnée d’un appui au développement. L’objectif premier n’est plus le développement global, l’objectif premier devient la performance des exportations/importations. Ce changement d’objectif et donc de critère d’évaluation des performances est-il le mieux adapté à la situation actuelle des pays d’Afrique de l’Ouest ? Il est permis d’en douter.

Il était reconnu par tous que la situation des pays d’Afrique de l’Ouest méritait de conséquents et longs efforts de mise à niveau et de traitement particulier pour développer et stabiliser des économies fragiles.

En proposant ces accords, l’UE laisse entendre que cette situation a brusquement changé dans les cinq dernières années. Le niveau de développement de ces pays a tellement progressé que l’on peut maintenant considérer qu’ils peuvent entrer en libre compétition avec les pays industrialisés de l’Europe.

Certes les APE proposés laissent entendre qu’il faudra “la définition et mise en œuvre de stratégies de mise à niveau” mais seulement comme mesures d’accompagnement et limitées dans le temps. Certes quelques délais seront donnés pour la libéralisation totale du commerce de certains produits mais sous forme d’exception.

La règle instaurée est bien que le libre échange entre les pays des deux zones devient le cadre commun du commerce.

Le commerce du maïs, par exemple, va se dérouler dans les mêmes conditions pour tous. L’UE considère comme normal que le producteur de maïs à 100 km de Bouake, sans accès ni au crédit, ni aux semences sélectionnées, ni aux engrais, sans mécanisation, sans route asphaltée, très peu ou pas scolarisé, sans accès à la formation continue ni au conseil agricole, normal donc que ce producteur de maïs soit mis en libre concurrence avec le producteur européen.

Le producteur européen, qui, grâce aux plans de développement nationaux soutenus par toute la nation, a vu s’installer autour de lui tout ce qui manque au producteur d’Afrique de l’Ouest. C’est aussi grâce au soutien de la PAC qu’il a pu et qu’il continue à s’adapter au marché international sans que ses ressources soient véritablement mises en péril. Il en va de même du producteur de tomates, de volailles, de viande et de riz.

Mais pire encore, ce pauvre producteur de l’Afrique de l’Ouest non soutenu est même devenu la vache à lait des nouvelles politiques de décentralisation et dynamiques de développement à la base promues par les institutions internationales et supportées par tous les gouvernements, dans ce cadre il va devoir cotiser pour la réparation de la piste, la construction ou l’entretien de l’école, la construction ou l’entretien du dispensaire etc.… imposition indirecte au détriment de l’investissement sur son exploitation agricole.

Contrairement aux idées reçues, ce qui fausse le plus le jeu de la concurrence ce ne sont pas les subventions directes mais plutôt des subventions indirectes c’est-à-dire des nations qui ont construit et continuent à entretenir un environnement favorable à la production agricole et à sa valorisation (dans les pays industrialisés) par rapport à des nations qui n’ont pas encore pu ou voulu mettre en place ces dispositifs (dans les pays du sud) et ont laissé leurs producteurs tout faire eux mêmes seuls. Les jeux de la concurrence ne sauraient dépendre des seuls producteurs, ils dépendent aussi de l’environnement dans lequel ils évoluent.

Quel va être l’impact des APE sur le développement de l’agro-industrie naissante dans les pays africains ?

La lecture des différents documents montre à quel point cette partie du problème a été sous estimée, voire ignorée au début des discussions. Elle apparaît dans les dernières négociations mais comme pour la production agricole elle est abordée essentiellement dans sa pure dimension commerciale. Or l’agro-industrie dans les pays africains représente un enjeu beaucoup plus large.

Outil de développement souvent décentralisé, elle crée des pôles d’emplois pour les jeunes diplômés à plusieurs niveaux : employés, cadres moyens et supérieurs. Requérant des services : de crédits, de commercialisation des intrants, de commercialisation des produits, d’appui conseil et de structuration paysanne etc.… elle est une des principales réponses à la demande d’emploi des lettrés.

Le développement de cette agro-industrie naissante est certainement l’une des meilleures parades aux désirs de migration. La mettre en danger serait une option totalement à l’encontre d’une autre politique majeure de l’UE qui consiste à vouloir freiner les migrations africaines vers l’Europe par le renforcement d’un développement local.

Pensez-vous que la date butoir du 31 décembre 2007 pour l’entrée en vigueur des accords de partenariat économique soit prématurée ?

Il était prévu dans les accords de Cotonou que la préparation des futurs accords devait commencer dès le début des années 2000. Si les Etats n’ont pris aucune initiative dans ce sens, il faut reconnaître que l’administration européenne n’a pas mis beaucoup de pression pour que cela évolue dans le bons sens. Ce n’est finalement que vers 2005/2006 que la machine à préparer les nouveaux accords s’est vraiment mise en place. D’abord lentement mais ensuite avec, au moins pour l’Afrique de l’Ouest, une participation et un dynamisme des organisations professionnelles agricoles sans précédent.

Quinze à vingt ans de travail, une volonté de participer pleinement au débat, des ateliers de réflexion dans chaque pays, des conférences sous régionales regroupant tous les leaders autour de vrais débats sur ces accords, il était logique de penser que l’administration européenne allait se réjouir de cet élan de la société civile, allait le soutenir, lui donner le temps de prendre toute son ampleur. Les observateurs attentifs ont eu la surprise de voir une administration intraitable vouloir maintenir sans aucune marge de manœuvre cette échéance du 31 décembre 2007.

Ce maintien a été le plus souvent soutenu au nom d’un respect des échéances prévues dans le cadre de l’OMC. Les producteurs agricoles des pays africains se sont entendu marteler que l’OMC avait des exigences incontournables, eux qui tous les jours voient les dégâts produits par le non respect de la suppression des subventions à la production du coton par les Etats-Unis et la même UE, eux qui voient le temps accordé, jusqu’en 2013, à réforme de la PAC.

Les producteurs agricoles se posent de nombreuses questions. Ils sont d’accord pour signer des APE mais pourquoi n’ont-ils pas le même temps pour préparer ces accords que celui accordé à la réforme de la PAC jusqu’en 2013 ? Que cache cet empressement à imposer cette signature ? N’est-ce pas une énorme maladresse de l’UE de briser un élan si positif des organisations professionnelles agricoles, elle qui par ailleurs prétend défendre en permanence l’émergence de la société civile ?

Ces accords se veulent des accords de “partenariat économique” . Le mot partenaire ne devrait-il pas avoir tout son sens ? Celui de finaliser en commun avec le temps nécessaire à chacun un accord gagnant-gagnant.

Pour ne pas avoir pris ce temps là, il est à craindre que les populations agricoles africaines ne ressentent plus l’UE comme un partenaire privilégié mais comme un parmi d’autres opérateurs internationaux, comme une institution qui imposent uniquement ses points de vue en fonction de ses propres intérêts. Non pas partenaire de développement mais une maison d’affaire commerciale.

La situation n’est plus celle des années soixante. S’il l’UE ne se distingue plus comme un partenaire avec des qualités spécifiques, elle ne peut plus non plus se prévaloir d’une sorte de quasi monopole des échanges avec l’Afrique. D’autres opérateurs internationaux sont là, la Chine et très rapidement l’Inde, le Brésil etc.… La disparition du statut de partenaire privilégié pourrait bien entraîner une mise en concurrence terrible pour l’UE surtout pour ce qui concerne les matières premières africaines dont elle a tant besoin.

La conclusion de l’intervention du Président Wade du Sénégal au mois de Novembre 2007 devrait être relue avec une attention maximale. C’est une mise en garde très écoutée par les nouvelles générations de cadres africains.
Cette mise à zéro des barrières douanières était elle le meilleur instrument de développement à offrir à l’Afrique ? Si l’on regarde quelques pays qui se sont vu offrir ou imposer la même dynamique, on peut en douter.

Comment l’UE aide l’Afrique dans le secteur de l’agriculture ? Quel sera l’impact des accords de partenariat économique dans ce secteur ?

L’impact le plus bénéfique de l’aide de l’UE pour le secteur agricole vient de la construction des infrastructures. Les importants programmes routiers, même si beaucoup reste à faire, ont eut un impact très positif sur l’accès aux intrants et l’accès au marché pour les producteurs.

Cette stratégie est fondamentale. Elle doit être renforcée surtout au regard des rapides croissances urbaines qui requièrent des producteurs agricoles une liaison rapide et permanente avec les villes.

Elle permet de diminuer les pertes des produits frais et généralement les coûts de transports induisant mécaniquement une possibilité de croissance des revenus des producteurs.

Les évaluations des accords de Cotonou ont démontré que l’ouverture plus large des marchés européens est certes intéressante mais très insuffisante à maximiser ses exportations.

Comme les autres coopérations internationales, l’UE n’a pas évité le piège de l’aide budgétaire pour des pays qui n’y étaient pas prêts.

La question des réformes institutionnelles et de leur articulation avec les systèmes de coopération internationale a été clairement posée. Les administrations des secteurs éducation et santé dans le cadre des programmes éducation pour tous ont été sensiblement renforcées mais pour le secteur agricole il faut reconnaître que très peu a été fait.

Les APE et leurs mesures d’accompagnement ne vont-ils pas se heurter aux mêmes contraintes ? Le développement agricole dépend-il d’abord d’une simple ouverture des marchés ou d’une administration décentralisée et efficace capable d’analyser les contraintes puis de planifier et suivre la mise en œuvre des réponses supportées par l’aide internationale ?

Que dire de l’impact de la suppression de la fiscalité de porte sur les recettes des Etats et leurs capacités a financer leur développement. Que se passera-t-il quand l’aide compensatoire de l’UE nécessairement limitée dans le temps s’arrêtera ? Les Etats vont-ils à nouveau surtaxer le secteur agricole et rural au détriment de ses capacités d’investissement dans les exploitations ?

Ces APE semblent poser plus de questions qu’ils n’en résolvent. La levée de bouclier des organisations professionnelles agricoles de l’Afrique de l’Ouest sous le leadership du ROPPA n’était pas sans fondement. Il est à souhaiter que cette force nouvelle des organisations paysannes africaines, avec laquelle il faudra nécessairement compter sera sérieusement prise en compte dans les dernières négociations.

En tout état de cause, il semble dommage de ne pas avoir donné jusqu’en 2013, comme pour la réforme de la PAC, pour finaliser des APE intégrant la demande paysanne. Le mot partenariat s’accommode mal de ces mécanisme deux poids deux mesures.

Propos recueillis le 08/12/07

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