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Brexit : quelles conséquences pour la pêche ?

Tout comme les agriculteurs, les pêcheurs britanniques ont massivement soutenu le Brexit dans l’idée de “reprendre le contrôle de leurs eaux territoriales”, actuellement partagées avec leurs voisins européens où leur activité est abondante. Mais alors que la possibilité d’un “no deal” s’accroit à mesure que la date de sortie approche, l’UE prépare un secteur de la pêche fébrile à cette perspective et cherche à limiter la casse.

Vue sur un village de pêcheurs en Écosse - Crédits : CasarsaGuru / iStock
Vue sur un village de pêcheurs en Écosse - Crédits : CasarsaGuru / iStock

Sujet phare des partisans du Brexit pendant la campagne pour le référendum, le secteur de la pêche est un enjeu majeur pour le Royaume-Uni. Ce territoire îlien dispose, en effet, d’une importante zone maritime et est ainsi, en 2017, le troisième plus gros pêcheur de l’UE (722 691 tonnes pêchées) derrière le Danemark (904 450), l’Espagne (902 162) et devant la France (529 340).

Tout comme les agriculteurs, les pêcheurs britanniques ont ainsi ardemment soutenu le Brexit, même en Irlande du Nord, qui s’est pourtant prononcée à 56% contre la sortie de l’UE. Pour Steeve Barratt, pêcheur à Ramsgate (Royaume-Uni), “on veut juste éviter ces réglementations européennes, on ne peut pas survivre avec donc on n’a pas d’autres choix que de sortir et de continuer seul” .

L’accord de sortie, ardument négocié par Theresa May avec Bruxelles mais rejeté par les députés britanniques le 15 janvier 2019, prévoit des solutions pour l’après-Brexit. Il maintiendrait, pendant une période temporaire, les conditions actuelles d’accès aux eaux territoriales des Etats membres et des limites de pêche. Le temps de négocier un accord spécifique sur la question sensible de la pêche, normalement d’ici juillet 2020.

Mais avec le rejet de l’accord par la Chambre des communes, le risque d’une sortie brutale le 30 mars s’est accru. Le secteur européen de la pêche, qui dépend de son accès aux eaux britanniques, est fébrile.

“Reprendre le contrôle de nos eaux”

Car à l’instar de la politique agricole commune (PAC), la politique européenne de la pêche (PCP) réglemente et organise le secteur halieutique depuis 1970. “Conçue pour gérer une ressource commune, elle donne à l’ensemble de la flotte de pêche européenne une égalité d’accès aux eaux et aux fonds de pêche de l’UE et permet aux pêcheurs de se faire une concurrence équitable” , explique la Commission européenne. Cela signifie que les zones économiques exclusives (ZEE) des États membres, soit l’espace maritime sur lequel chaque État côtier exerce ses droits en matière d’exploitation et d’usage des ressources (200 miles nautiques depuis les côtes ou la moitié de la zone si elle est en concurrence avec un autre État côtier), sont mises en commun et accessibles à tous.

Dans un souci de préservation des stocks de poissons à long terme, la PCP prévoit également des quotas contraignants de pêche. Le volume des quotas (ou totaux admissibles de capture - TAC) pour les stocks en eaux profondes est défini tous les ans ou tous les deux ans par le Conseil des ministres de la pêche. “Ils sont répartis entre les pays de l’UE sous la forme de quotas nationaux (…) distribués en appliquant un pourcentage différent par stock et par pays” , précise la Commission. La PCP limite donc la pêche britannique dans les eaux britanniques… au profit de ses concurrents européens. Pour autant, ce sont les Etats membres qui répartissent les quotas qui leur sont attribués, et la répartition effectuée par le gouvernement britannique est particulièrement défavorable aux petits bateaux de pêche.

De quoi, malgré tout, facilement convaincre les pêcheurs d’outre-Manche de la responsabilité de l’UE et de vouloir reprendre le contrôle de leurs eaux, très poissonneuses - près de 40% des poissons dans l’UE y sont pêchés - mais exploitées par une bonne partie de leurs voisins européens. D’autant plus que les pêcheurs britanniques eux-mêmes s’aventurent peu chez leurs voisins : de 2011 à 2015, ils n’ont capturé que 90 000 tonnes de poisson en dehors de leurs eaux, loin des 760 000 tonnes prélevées par les Européens dans les eaux britanniques.

Theresa May a ainsi promis que le Royaume-Uni quitterait la PCP lorsque le Brexit serait effectif et “négocierait en tant qu’État côtier indépendant l’accès à ses eaux territoriales” , comme le fait actuellement l’UE avec les pays tiers. Une promesse réitérée dans le Livre blanc publié par le gouvernement en juillet 2018.

Inquiétudes européennes

Mais près de 40 ans après l’instauration de la PCP, les pêcheurs européens sont maintenant dépendants de leur accès aux eaux britanniques. 30 % des captures françaises y sont effectuées, dont 50 % pour les pêcheurs bretons et 75 % pour les Hauts-de-France, selon le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Avec la Normandie, ces deux régions représentent 75% du secteur halieutique français pour un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros réalisé dans les eaux britanniques en 2017. La pêche (et l’aquaculture), c’est aussi 166 000 emplois directs dans l’Union européenne dont plus de 40 000 en Espagne et près de 23 000 en France (2017).

La future sortie du Royaume-Uni de l’UE a donc de quoi inquiéter les pêcheurs français mais également néerlandais, danois ou encore espagnols qui ont leurs habitudes dans les immenses eaux britanniques. Plusieurs organisations de pêche, dont le CNPMEM, se sont même rassemblées dans l’EUFA (European Fisheries Alliance) qui défend les intérêts des flottes européennes auprès de l’équipe de négociateurs européens.

Si le Brexit rétablit une frontière terrestre et ferme ses eaux, nos pêcheurs perdront 30 % de leurs revenus” , souligne Sean O’Donoghue, porte-voix des pêcheurs bruxellois. En France, on pêche le lieu noir à 92% et le hareng à 74% dans les eaux britanniques. Certaines flottilles sont complètement dépendantes de cet accès, précise le CNPMEM. Et plusieurs espèces ne sont présentes que dans la ZEE du Royaume-Uni.

Ce que l’accord de sortie sur la table prévoit

Quelques jours avant que les Vingt-Sept ne valident l’accord de sortie négocié par Theresa May à Bruxelles, plusieurs pays menés par la France ont réclamé des garanties sur leur accès aux eaux britanniques après le Brexit. Afin d’éviter de bloquer l’accord de retrait, ces discussions très sensibles ont été repoussées par les deux parties à la période de transition.

La déclaration politique qui encadre les négociations autour de la future relation prévoit de conclure un accord sur la pêche avant le 1er juillet 2020. Ce “afin qu’il soit en place à temps pour permettre de déterminer les possibilités de pêche [les quotas] pour la première année suivant la période de transition [2021]” . Des discussions qui n’auront évidemment lieu qu’à condition qu’un accord de sortie soit ratifié avant le 29 mars 2019.

Le point de convergence pourrait venir du fait que 75% des poissons pêchés par les Britanniques sont écoulés de l’autre côté de la Manche et circulent librement grâce au marché unique. “Pour rétablir le rapport de force, les 27 veulent dès lors lier l’accès au marché unique à celui aux eaux territoriales [britanniques]” , expliquent Les Échos. Ce qui impliquerait côté britannique de remettre en question toutes les promesses faites aux pêcheurs durant la campagne du référendum…

Le report des discussions a déjà été très mal accueilli par certains pêcheurs britanniques, qui devront continuer à accepter leurs concurrents européens et respecter les quotas dans leurs eaux pendant les deux ans de la période de transition, en cas d’accord. “L’association Fishing for Leave, représentant les pêcheurs britanniques pro-Brexit, a condamné cet accord, qualifié de ‘capitulation’, et a accusé Theresa May d’avoir menti aux Communes” , relate Le Point.

Comme le prévoit la déclaration politique UE/Royaume-Uni, un accord indépendant sur la pêche sera quoi qu’il en soit nécessaire pour établir les relations entre le Royaume-Uni et l’UE-27 concernant la pêche. Car l’accord de retrait prévoit pour l’instant qu’à l’issue de la période de transition (qui s’achèverait en décembre 2020), si aucun accord n’est trouvé, le fameux backstop (filet de sécurité) s’appliquera. Le Royaume-Uni sera ainsi maintenu dans une union douanière avec l’UE mais en excluant, entre autres les services et les produits de la mer. Donc “pour nous, si on tombe dans la solution du backstop, c’est comme s’il y avait un no deal” , explique le CNPMEM.

En cas de no deal, que se passera-t-il ?

En cas de no deal et de retrait brutal le 30 mars, le Royaume-Uni sortira immédiatement de la PCP et pourra alors bloquer l’accès à ses eaux pour tous les pêcheurs européens. “L’accès aux eaux du Royaume-Uni et aux ressources de pêche afférentes sera cadré par le droit britannique” , précise le ministère de l’Agriculture français.

Le Royaume-Uni sera dans ce cas “responsable de gérer ses propres ressources naturelles marines et pourra contrôler et gérer l’accès à la pêche dans les eaux britanniques” . Ainsi, “les navires non immatriculés au Royaume-Uni ne jouiront plus d’un accès automatique aux eaux britanniques” , précise le gouvernement.

Le règlement européen sur la pêche illégale s’appliquera cependant aux pêcheurs britanniques qui souhaitent exporter leur pêche dans l’UE. Cette législation requiert que les pays tiers doivent disposer d’un certificat de capture attestant de la légalité de la pêche des produits importés. En l’absence de ce document, les produits sont bloqués par les douanes.

Une contrainte administrative qui ne devrait pas plaire aux pêcheurs britanniques. Mais en contrepartie, “la loi britannique pourra imposer la réciprocité en matière d’exigibilité du certificat de capture à l’exportation de produits de la mer vers son territoire” , précise le ministère de l’Agriculture. Une possibilité confirmée par le gouvernement britannique.

Au-delà des contraintes administratives, ce sont les droits de douane négociés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui se verront immédiatement appliqués, comme en l’absence d’accord commercial ou d’union douanière.

Les chalutiers irlandais, qui n’auront pas non plus accès aux eaux britanniques, craignent de leur côté que la concurrence avec les pêcheurs européens se fasse d’autant plus importante dans leurs propres eaux territoriales. Normalement, les quotas de pêche devraient l’empêcher mais il sera très tentant pour les concurrents européens privés d’accès aux eaux britanniques d’investir dans des chalutiers sous pavillon irlandais.

L’UE se prépare au scénario d’une sortie brutale

Alors que la perspective d’un “no deal” se fait de plus en plus plausible, la Commission européenne cherche à préparer au mieux le secteur et limiter la casse. L’exécutif européen a proposé deux mesures d’urgence prévues pour entrer en vigueur avant le 29 mars 2019.

Un premier règlement permettrait aux pêcheurs français d’obtenir une compensation du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) dans le cas où la fermeture des eaux britanniques les contraindrait à suspendre leurs activités. Ces fonds ont été établis dans le cadre du budget pluriannuel de 2014-2020 et l’enveloppe est limitée. Mais elle constitue une solution de moindre mal pour certains navires qui ont leurs habitudes dans les eaux britanniques.

Un second règlement prévoit de pouvoir délivrer des autorisations de pêche aux Britanniques dans les eaux de l’UE. En contrepartie de quoi les navires de l’UE devraient également bénéficier d’un accès aux eaux britanniques. Une réciprocité qui règlerait le problème jusqu’à la fin de l’année, puisque les quotas de pêche ont déjà été fixés pour 2019. Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) craint cependant une possible concurrence déloyale des Britanniques qui ne seraient plus soumis aux règles de la politique commune de la pêche (PCP), à l’exception des quotas.

La Commission prévient par ailleurs que ces mesures ne pourront pas compenser toutes les conséquences d’un “no deal” .

Etant donné que la pêche relève de la politique européenne, le gouvernement français n’aurait quant à lui pas la possibilité de mettre en place de telles mesures de son côté. Cependant, le ministre de l’Agriculture devrait recevoir le Comité national des pêches mi-février pour aborder la question d’un potentiel plan d’urgence à destination des secteurs les plus touchés par le Brexit. Quoi qu’il en soit, il est probable qu’un accord de pêche se fera rapidement entre le Royaume-Uni et l’UE en cas de no deal, souligne le CNPMEM.

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