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Brexit : quel impact sur l’agriculture européenne et britannique ?

En 2016, les agriculteurs britanniques ont été parmi les plus fervents partisans du Brexit. Mais à mesure que la date de sortie effective approche, la perspective d’une sortie brutale et sans accord du Royaume-Uni de l’UE se profile. Dès lors, quelles pourraient être les conséquences du Brexit pour les secteurs agricole et agroalimentaire des deux côtés de la Manche ?

Champ de foin, région de l'Aberdeenshire (Écosse) - Crédits : Placebo365 / iStock
Champ de foin, région de l’Aberdeenshire (Écosse) - Crédits : Placebo365 / iStock

Le 13 novembre dernier, la Première ministre Theresa May a présenté l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE, ardemment négocié avec Bruxelles depuis 17 mois. Si cet accord est adopté par le Parlement britannique et entre en vigueur avant la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE, prévue le 29 mars 2019, le pays se retirera des institutions européennes mais restera intégré au marché unique pendant une période de transition d’au moins 18 mois. Sans accord à l’inverse, il sortira brutalement de la Politique agricole commune et du marché unique le 30 mars.

Au Royaume-Uni, des subventions maintenues

Malgré l’incertitude qui planait alors sur le versement des subventions européennes, sans lesquelles ils seraient nombreux à ne plus pouvoir vivre selon les syndicats, les agriculteurs britanniques ont été parmi les plus fervents partisans du Brexit. Lors du référendum de 2016, ils se sont dit excédés par la réglementation européenne et confiants à l’idée que le pays pouvait, seul, faire face à la concurrence internationale en matière d’agriculture. Les électeurs ruraux ont ainsi majoritairement choisi de quitter l’UE, sauf en Écosse, en Irlande du Nord et dans certaines parties du pays de Galles.

Pourtant, depuis l’adhésion du Royaume-Uni en 1973, l’UE a un impact fondamental sur le secteur agricole britannique. Les fonds européens que touche le pays sont issus pour moitié de la Politique agricole commune (PAC), à hauteur de 28 milliards d’euros sur 7 ans (2014-2020), soit près de 4 milliards par an répartis entre les deux piliers : subventions agricoles et développement rural. Ce qui fait du secteur agricole britannique le 6ème récipiendaire de cette politique communautaire.

S’il est adopté par les députés britanniques, l’accord de sortie négocié par Theresa May avec Bruxelles prévoit que l’avenir de l’agriculture fera l’objet de négociations entre les deux parties durant la période de transition. Le Royaume-Uni continuerait donc de participer au budget européen jusqu’en 2020, ce qui assurerait la continuité du financement de la PAC. Et les agriculteurs britanniques conserveraient le droit aux aides de la PAC jusqu’à cette date.

Mais dans la perspective où l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE n’entrerait pas en vigueur et où le pays quitterait donc l’UE sans accord (“no deal”), Londres pourrait brusquement interrompre sa contribution au budget européen. De son côté, l’UE pourrait ne plus verser ses subventions aux agriculteurs britanniques - et diminuer celles destinées aux agriculteurs européens.

“Si le Royaume-Uni quitte l’UE sans accord, le ministère de l’Agriculture […] s’assurera que le flux de financement aux agriculteurs […] soit ininterrompu” , peut-on cependant lire sur le site du gouvernement britannique. Londres garantit donc, pour l’instant, que les agriculteurs recevront, même en cas de no deal, l’équivalent des subventions européennes jusqu’à la fin 2020.

Dès lors, si les subventions ne semblent pas au cœur des préoccupations, c’est plutôt la fin de la libre circulation des biens agricoles et agroalimentaires qui inquiète les agriculteurs des deux côtés de la Manche, d’autant plus si le divorce s’avère brutal.

Un secteur très intégré

Car les secteurs agricole et agroalimentaire représentent 11% des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en 2017.

En la matière, l’UE affiche une balance commerciale très excédentaire avec le Royaume-Uni : 47 milliards de dollars sont exportés vers le Royaume-Uni depuis l’UE, soit près de 9% des exportations agricoles et agroalimentaires européennes, alors que 4 % des importations agricoles et agroalimentaires de l’UE-27 proviennent du Royaume-Uni, pour un montant de 17 milliards de dollars. Certains secteurs agricoles britanniques ont toutefois développé des relations extrêmement étroites avec l’UE : par exemple, ceux de la viande de mouton, de bœuf ou du colza ont destiné plus de 90% de leurs exportations à l’UE-27 en 2017.

La libre circulation des personnes a également permis aux secteurs agricole et agroalimentaire britanniques d’employer des travailleurs européens (et notamment d’Europe centrale et de l’Est) qui représentent une part substantielle de la main d’œuvre : 98% dans le secteur horticole, 50% dans les centres d’emballage des œufs, 60% dans la volaille. Or dans l’accord de sortie et en cas de no deal, les Britanniques renoncent à la libre circulation des personnes, en faveur d’une politique d’immigration stricte basée sur les compétences choisies par le gouvernement.

Par ailleurs, en cas de no deal, ce sont les tarifs douaniers de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’appliqueront sur le commerce entre l’UE et le Royaume-Uni. Les barrières tarifaires et non tarifaires sur le montant des produits agricoles échangés pourraient ainsi s’élever à 64% contre 26% aujourd’hui en moyenne, selon une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).

Selon cette évaluation économique, “un retour aux règles OMC impliquerait significativement moins de commerce agricole et agroalimentaire entre l’UE-27 et le Royaume-Uni dans les deux sens” : dans ces domaines, les exportations de l’UE-27 vers le Royaume-Uni diminueraient ainsi de 62%. Dans les secteurs du riz, de la viande blanche, du sucre, ou encore des produits laitiers et de la viande rouge, les économistes prévoient une réduction des exports mutuels de plus de 90%.

Et les agriculteurs européens ?

La France et les Pays-Bas sont les deux pays qui verraient leurs relations commerciales le plus se rétracter, mais nettement moins que l’Irlande, dont les importations agricoles proviennent à 46% du Royaume-Uni (contre 4% en moyenne pour les autres États membres). “Si jamais la frontière et la protection commerciale se remet en place entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, cela pourrait avoir des impacts d’autant plus négatifs que les processus de production sont très intégrés entre les deux côtés de la frontière” , souligne Cecilia Bellora, économiste au CEPII.

Si l’accord est approuvé et que les futures relations entre les deux parties sont négociées au cours de la période de transition, le secteur agricole pourrait donc être au cœur d’un accord de libre-échange qui permettrait une élimination des droits de douanes et l’absence de restrictions quantitatives, comme l’ont expliqué les leaders européens dans les conclusions du Conseil européen de mai 2018.

Une situation pour le moins inédite pour l’UE, qui “n’a jamais conclu d’accord de libre-échange englobant l’ensemble des produits agricoles” , note sur son blog Alan Matthews, professeur au Trinity College de Dublin. Et qui inquiète certains syndicats agricoles européens. Car si le Royaume-Uni négocie des accords commerciaux avec des pays tiers - ce que le gouvernement espère -, certaines denrées britanniques pourraient devenir plus compétitives sur le marché européen et le Royaume-Uni pourrait augmenter ses exportations vers l’UE-27, explique ce spécialiste irlandais de la PAC.

A plus court terme, “à partir du moment où un débouché important se ferme ou s’appauvrit, où un marché est déséquilibré, l’ensemble des filières à l’échelle européenne est déstabilisé” , explique Michel Lafont, responsable du pôle économie-prospective à la Chambre régionale d’agriculture de Normandie. Pour autant, il est difficile d’en évaluer les conséquences en termes d’emploi sur les territoires européens.

Quoi qu’il en soit, le Brexit va poser un problème général de réorganisation du marché qui pourrait s’avérer plus violent en cas de no deal : “cela conduira à des difficultés très concrètes durant quelques mois avant un rééquilibrage sur le marché européen : un peu trop d’offre et des prix à la baisse” , poursuit l’ingénieur en agriculture. “On est sur un marché européen ouvert donc si ça coince à un endroit, cela se répartit ailleurs et fait pression sur l’ensemble du marché” .

Quelles conséquences sur la PAC ?

Enfin, le départ du Royaume-Uni, contributeur net au budget de l’UE, aura immanquablement un impact sur le financement de la Politique agricole commune. Il laissera un trou annuel de 7 milliards d’euros au budget européen. Pour autant, dans sa proposition pour le cadre financier 2021 - 2027, la Commission n’a pas proposé d’augmenter les efforts des autres États membres et préfère miser sur la croissance économique et le fait que les États membres et le Parlement accepteront de doter le budget de nouvelles ressources propres, ce qui n’est pas gagné…

En conséquence, “le recul de la PAC dans le budget s’accélère” , explique la Chambre d’agriculture de Normandie, d’autant plus que “la Commission part du principe que l’Union est amenée à prendre en charge de nouveaux défis” . La PAC pourrait donc ne plus représenter que 28% du budget sur la période 2021-2027, en cours de négociation, contre 35% dans l’actuel cadre financier pluriannuel. Un recul notamment justifié par une réduction de 43,3 milliards d’euros des fonds alloués à cette politique, selon la proposition de la Commission actuellement discutée.

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