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Brexit : pourquoi l’incertitude peut renforcer les eurosceptiques

Les négociations du Brexit, s’annonçant comme imprévisibles suite aux dernières élections du 8 juin 2017 en Grande-Bretagne, pourraient in fine bénéficier aux partis eurosceptiques. Un nouvel événement inattendu, à l’image du Brexit ou de l’élection de Trump, reste donc possible…

Brexit : pourquoi l'incertitude risque de renforcer les partis eurosceptiques
Par Philippe Huberdeau - en partenariat avec le Diploweb.com.

L’impact du 8 juin

Philippe Huberdeau est conseiller des Affaires étrangères et administrateur à la Commission européenne. Il a enseigné les questions européennes à Sciences Po Paris, à l’Ecole Polytechnique et à l’Inalco, et est l’auteur de “La construction européenne est-elle irréversible ?” , préface d’Enrico Letta, coll. Réflexeurope, Paris, La documentation française, 2017.

La Construction européenne est-elle irréversible ?

L’article a été publié pour la première fois le 25 juin 2017 sur le site de notre partenaire Diploweb.

A la faveur du Brexit et de l’élection de Trump, on assiste à une forme de prise de conscience de l’importance de la cohésion de l’UE dans un monde de plus en plus incertain et dangereux. Une prise de conscience se traduisant par une remontée du sentiment pro-européen inédite depuis le référendum de 2005 à propos de la Constitution européenne.

Pour autant, l’euroscepticisme continue d’être bien présent en s’appuyant sur différentes formes de populismes dans les Etats membres : rejet des élites, crainte de la mondialisation, stigmatisation de l’immigration, désillusion face à la lenteur du rattrapage économique des nouveaux Etats membres.

Dans ce contexte, l’évolution des négociations du Brexit ouvertes le 19 juin 2017 ne manquera pas d’avoir un impact sur les élections à venir dans les différents Etats membres, à commencer par celles qui auront lieu en Allemagne le 24 septembre 2017, en Autriche le 15 octobre 2017, en République tchèque le 20 octobre 2017, et les élections anticipées vers lesquelles semble se diriger l’Italie à l’automne de la même année.

La date limite pour le retrait du Royaume-Uni de l’UE étant aux termes de l’article 50 fixé au 29 mars 2019, les élections européennes prévues en mai 2019 seront tout particulièrement influencées par l’issue d’un processus de Brexit qui apparaît plus incertain que jamais. En effet, si le Brexit n’a pas été au coeur du débat électoral britannique, les électeurs considérant que la question avait déjà été tranchée lors du référendum du 26 juin 2016, le scrutin n’en a pas moins des répercussions importantes sur les négociations qui débutent. Ne disposant plus que d’une majorité relative, Theresa May doit tout à la fois tenir compte au sein de son parti d’une frange eurosceptique favorable à une stratégie jusqu’au-boutiste (“Better no deal than a bad deal”) et s’assurer du vote d’un Parlement majoritairement favorable à une séparation en douceur, à commencer par le parti unioniste nord-irlandais avec lequel elle s’est alliée.

Cette tension importante associée à la précarité de la majorité relative dont dispose le gouvernement britannique placent le ministre en charge du Brexit dans une mauvaise posture pour négocier. David Davis ne dispose pas de marges de manœuvres suffisantes pour pouvoir faire de manière crédible des concessions significatives, notamment sur la question sensible de la facture à payer avant de sortir et de conclure un nouvel accord avec l’UE, ce qui risque de se traduire par un enlisement voire un échec des négociations. Cette situation risque en retour d’affaiblir un gouvernement de Theresa May déjà fragilisé, ce qui pourrait soit provoquer la chute de ce gouvernement voire de nouvelles élections, soit une demande d’annulation de la procédure éventuellement à la suite d’un nouveau référendum.

Quatre scénarios possibles

Lors d’interventions suite aux élections britanniques du 8 juin 2017, le ministre allemand des finances et le Président français ont tous deux fait allusion à la possibilité d’une annulation de la procédure de Brexit. Le 13 juin 2017, Wolfgang Schäuble a souligné que si les Britanniques “souhaitaient revenir sur leur décision, ils trouveraient bien sûr une porte ouverte” et Emmanuel Macron, certes uniquement en réponse à une question sur ce point, a confirmé que “la porte restera ouverte aussi longtemps que les négociations ne seront pas terminées” , tout en laissant entendre que le temps qui passait ne faciliterait pas les choses.

L’article 50 ne mentionne pas la possibilité d’un retour en arrière une fois la procédure enclenchée, mais si l’ensemble des 27 se ralliaient à ces déclarations des gouvernements allemand et français, le consensus européen permettrait sans doute de trouver une solution institutionnelle à cette nouvelle situation. Il pourrait par exemple s’agir d’un gel des négociations de sortie sous la forme d’une décision à l’unanimité de report sine die de la date limite, ou encore d’une décision de réadmission prise à l’unanimité sur la base d’une nouvelle candidature britannique déposée immédiatement après la fin de la période de deux ans prévue par l’article 50.

Ce sont au total pas moins de quatre scénarios qui apparaissent ainsi possibles :

1. un échec des négociations se soldant par une sortie “sèche dans laquelle les relations entre le Royaume-Uni et l’UE27 seraient gouvernées par les règles de l’OMC ;

2. un hard Brexit” dans lequel ces relations seraient régies par un accord de libre-échange ne prévoyant pas de participation du Royaume-Uni à la libre circulation des personnes, au marché intérieur, au budget communautaire ou à la juridiction de la CJUE ;

3. un soft Brexit dans lequel Londres serait disposé à assouplir certains éléments de sa position en vue d’un accord d’association préservant une part significative des échanges avec les 27 ;

4. un arrêt de la procédure de l’article 50 et un retour de Londres au sein de l’UE.

Les conséquences de chacun de ces scénarios sur l’euroscepticisme dans le reste de l’Europe apparaissent ambivalentes. Ainsi une annulation du Brexit attesterait de la pertinence et de l’irréversibilité de la construction européenne, mais en occultant ce qui aurait été le coût d’une sortie de l’UE pour l’ensemble des acteurs elle pourrait aussi permettre au discours eurosceptique de continuer à présenter la sortie de l’UE comme une voie prometteuse.

A l’inverse, une sortie de l’UE comportant des coûts d’autant plus élevés qu’elle serait “dure” renforcerait la cohésion des 27 en dissuadant d’autres Etats membres de suivre l’exemple britannique. Ce qui n’empêcherait cependant pas les partis eurosceptiques de rendre la Commission européenne responsable de ces coûts élevés en incriminant son intransigeance dans la négociation (par exemple sur la question financière préalable à toute négociation sur les relations futures, ou encore sur l’indivisibilité des quatre libertés). Dans la mesure où une partie de ces coûts sera supportée non pas par les Britanniques, mais par les citoyens des 27, un tel argumentaire pourrait trouver une audience.

Vers d’autres Brexit ?

Si le choc qu’a représenté le référendum sur le Brexit a pu sembler contribuer à un regain de soutien des citoyens au projet européen depuis le référendum britannique, il n’est donc pas acquis que le déroulement des négociations conforte cette tendance. Les opinions eurosceptiques demeurent présentes et dans tous les scénarios, l’évolution du processus de Brexit pourrait en fait venir alimenter les thèses favorables à une sortie de l’UE conformément au “biais de confirmation” [1].

Au final, du fait du caractère encore embryonnaire de l’espace politique européen, le soutien des citoyens européens à la poursuite de la construction européenne reste tributaire des aléas politiques nationaux. Si le sentiment pro-européen s’est globalement renforcé en Europe depuis le 26 juin 2016, un revirement reste possible, notamment à la faveur de négociations du Brexit s’annonçant comme imprévisibles suite aux dernières élections du 8 juin 2017 en Grande-Bretagne.

Un nouveau “cygne noir” [2], c’est à dire un événement inattendu aux conséquences systémiques à l’image du Brexit ou de l’élection de Trump, reste donc possible lors des prochaines échéances électorales, notamment en Italie où le M5S continue de recueillir pas moins de 30% des intentions de vote. Face à la persistance de ce risque, la relance de l’UE n’en apparaît que plus nécessaire et urgente.

Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur.

Copyright Juin 2017-Huberdeau-Diploweb.com


[1] Le “biais de confirmation” mis en évidence par le psychosociologue américain Léon Festinger est le phénomène selon lequel les individus interprètent systématiquement les faits et les arguments dans un sens tendant à confirmer la vision de la réalité issue de leur ensemble de valeurs et de croyances. When Prophecy Fails (1956), Leon Festinger, Henry W. Riecken et Stanley Schachter.

[2] Selon la terminologie utilisée par N. N. Taleb s’inspirant des travaux de Bertrand Russell pour analyser la crise financière de 2007/2008. “The Black Swan : The Impact of the highly improbable” , 2010.

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