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Brexit : “La France n’a pas d’intérêt à faire cavalier seul”

Pendant les négociations sur le Brexit, la France a eu des intérêts à défendre aussi bien auprès du Royaume-Uni que de l’Union européenne. Quelle stratégie a-t-elle mené ? Le point avec Olivier de France, chercheur à l’Iris.

Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Boris Johnson, lors d'une rencontre à Paris le 22 août 2019 - Crédits : Wikimedia Commons
Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Boris Johnson, lors d’une rencontre à Paris le 22 août 2019 - Crédits : Wikimedia Commons
Olivier de FranceOlivier de France est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où il est responsable du programme Europe.

Il enseigne également la théorie politique à l’Université Paris VII Denis Diderot, et la géopolitique européenne à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Il est l’auteur de nombreuses études sur les évolutions politiques et stratégiques en Europe et des idées qui les nourrissent.

Ces derniers mois, Emmanuel Macron a joué la carte de la fermeté sur le Brexit : contrairement à d’autres dirigeants, il a notamment menacé de s’opposer à un nouveau report de la date de sortie si le Royaume-Uni le demandait. Selon vous, s’agit-il d’une posture ou a-t-il défendu des intérêts spécifiques ?

Je pense qu’il y a des deux. Sur le fond d’abord, Emmanuel Macron est le premier président français depuis François Mitterrand à faire du projet européen une partie palpable de son projet intérieur. Il a intérêt à ce que l’Europe puisse enclencher une dynamique nouvelle, puisque sa crédibilité dépend de sa capacité à imposer sa vision européenne sur la scène intérieure et extérieure. Si la question du Brexit pollue l’agenda européen jusqu’à phagocyter le nouveau budget européen et l’impulsion que peut lui donner la nouvelle Commission, le projet de renaissance européenne prônée par le président français aura du plomb dans l’aile.

Sur la forme ensuite, Emmanuel Macron se pense en président “disruptif” , capable de prendre les décisions qui s’imposent à un homme d’Etat, dans une lignée qui s’étend au général de Gaulle. Il lui faudrait alors en assumer la responsabilité face à l’histoire. N’oublions cependant pas qu’une frange non négligeable de la population française ne verrait pas d’un mauvais œil que s’exerce un peu de fermeté vis à vis d’un pays dont on considère qu’il a torpillé la construction européenne. Emmanuel Macron en retirerait donc un bénéfice politique intérieur, ce que les Européens ne perçoivent pas toujours.

Selon vous, la France était-elle en accord avec les autres pays européens sur le Brexit ? L’Allemagne, notamment, a semblé plus soucieuse d’éviter un no deal, et l’Irlande s’est même prononcée pour un délai supplémentaire sans conditions si le Royaume-Uni le demandait.

Depuis trois ans, les Européens n’ont affiché publiquement aucune divergence, l’exception faite du Conseil européen de juin 2019 où la France s’est montrée plus ferme. Elle y a fait durer les négociations et a obtenu que l’on réduise la durée du nouveau délai accordé au Royaume-Uni.

Cela se joue sur un mode qu’on appelle performatif en littérature : les Européens étant ravis d’avoir un dossier sur lequel ils s’accordent - par opposition par exemple à la question syrienne ou à la question migratoire - il y a d’autant moins de risque que cette unité se délite. Plus celle-ci tient dans le temps (c’est le cas depuis trois ans), plus un désaccord minerait la crédibilité de l’UE, donc moins il est probable. C’est une forme de prophétie auto-réalisatrice, qui a toutes les chances de durer jusqu’à la négociation d’un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni.

Y aurait-il eu un intérêt pour les Français à préférer un accord, même imparfait, au no deal ?

Je pense que l’on se dirige vers ce que j’appellerais un “Brexit de guerre lasse” . C’est un sentiment qui est partagé tant à Paris, Berlin et Bruxelles qu’à Londres et Dublin : tout le monde est épuisé et souhaite tourner la page du Brexit. A partir du moment où un accord est possible, on en saisit l’opportunité. A défaut, le problème risque de traîner en longueur et de parasiter encore longtemps l’agenda tant britannique qu’européen, ce dont personne n’a besoin au vu des défis que doivent affronter le Royaume-Uni et l’UE par ailleurs.

Cela a pu pousser les Européens, Paris y compris, à accepter des compromis significatifs sur la question de l’union douanière notamment. Subsiste cependant le risque que cette solution ouvre une porte dérobée au marché unique, qui plus est si Boris Johnson décide de faire du Royaume-Uni un “Singapour européen” et de concurrencer le marché unique à coup de dérégulations.

Selon vous, quel poids ont eu, par rapport aux négociations européennes menées par Michel Barnier, les réunions bilatérales comme celles entre Emmanuel Macron et Boris Johnson ?

Depuis trois ans, il y a eu un vrai souci du côté de l’UE de ne laisser apparaitre aucune division qui soit exploitable par les Britanniques. Or, dès lors que l’Union européenne a tenu une position commune, elle a exercé un ascendant sur le Royaume-Uni dans les négociations. La France n’a donc eu aucun intérêt à faire cavalier seul. Sur le fond comme sur la forme, Emmanuel Macron a cherché à faire les choses en concertation avec Angela Merkel pour veiller à ce que l’Union affiche un front uni.

Dans l’hypothèse encore possible d’un no deal, quelle serait la meilleure attitude à adopter pour la France ?

Une sortie sans accord génèrerait une forte acrimonie politique entre le Royaume-Uni et l’UE, mais aussi entre Paris et Londres. Il faudrait retrouver d’abord les conditions de la confiance avant d’envisager quelque négociation que ce soit, ce qui peut prendre du temps.

De plus, toute négociation future serait européenne : les discussions seraient dominées par le poids des Européens et du marché unique, et se heurteraient aux mêmes enjeux qu’aujourd’hui, à savoir la contribution britannique au budget européen, la protection des citoyens européens et la question irlandaise. Néanmoins, la France conserverait naturellement sa marge de manœuvre dans le domaine régalien, avec l’Accord du Touquet sur Calais ou encore la coopération en matière nucléaire.

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