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Bino Olivi : “Face à la mondialisation, la réponse que les Européens attendent ne vient pas”

Bino Olivi - DRBino Olivi a été pendant près de vingt ans le porte-parole de la Commission européenne.
Les éditions Gallimard rééditent aujourd’hui son livre “L’Europe difficile” , qui raconte l’histoire de la construction européenne vue du côté des négociateurs et des institutions communautaires.

Comment jugez-vous l’état général de l’Union européenne ?

La construction européenne est en crise. Il s’agit d’une crise profonde, parce que l’Union ne dispose pas des instruments nécessaires pour poursuivre son intégration, et qu’elle continue de s’élargir. A mon avis, il faut maintenant une pause dans l’élargissement. Les premiers pays vraiment européens, au-delà des frontières actuelles de l’Union, sont ceux des Balkans. Mais l’adhésion des Balkans, ce n’est pas pour demain. Il faut d’abord résoudre la question du Kosovo.

Diriez-vous que la crise que traverse aujourd’hui l’Europe est la plus grave de son histoire ?

Peut être. Parce que c’est une crise totale, de fonctionnement, d’institutions et donc de système. C’est aussi une crise de motivation. La motivation est complètement différente de celle qui pouvait exister en 1957.

Pour en revenir aux Balkans, la situation est grave car cela peut exploser à tout instant. C’est une région de fous, de nationalistes liés par le sang à la tradition, mus par les persécutions, par la haine, par tout ce qu’il y a de plus mauvais dans l’histoire du monde. Seule l’action de l’Union européenne pourra résoudre cette question.

Or, si on ne peut pas fonctionner à 27, comment fera-t-on lorsqu’on sera 30 ou 32, avec tous les Etats des Balkans ? C’est l’un des premiers facteurs de crise, qui contient tous les autres.

Certains comparent la situation actuelle avec celle qui a suivi l’échec de la Communauté européenne de défense, en 1954, et se rassurent sur l’avenir de l’Union en disant que la CEE est finalement née de cet échec. Ce parallèle vous semble-t-il pertinent ?

Je n’aime pas ces comparaisons avec le passé. Aujourd’hui, l’Europe est tout à fait différente.

Alessandro Giacone : Après l’échec de la CED, il était relativement facile de rebondir sur autre chose, parce qu’il restait des choses à faire. Une fois le marché commun achevé, on peut peut-être penser à quelques améliorations sectorielles, mais il n’y a pas ce grand champ d’action qui existait après 1954.

Bino Olivi : Je crois surtout qu’il faut en finir avec la question des frontières. Si l’Europe veut être un protagoniste politique, elle ne peut pas être une Europe à la carte. Or, on ne sait pas ce qu’elle sera après-demain ou l’année prochaine ou dans 5 ans. Il faut en finir avec les élargissements.

Et en ce qui concerne la Turquie ?

Voila qui pourrait être le chapitre final, l’occasion de définir définitivement les frontières de l’Union. La Turquie, c’est emblématique, c’est l’extrême. C’est l’inconnu. Je n’ai pas sur ce sujet une position totalement définie, mais je constate qu’on parle turc jusqu’aux frontières de la Chine !

L’identité culturelle est fondamentale, et le premier instrument de la culture est la langue. Bien sûr, il y a plusieurs langues en Europe, mais il y a une certaine continuité entre elles. D’un point de vue culturel, la religion compte également. Le Maroc, qui avait demandé à adhérer à l’Union européenne, n’a rien à voir avec la culture européenne. Je m’excuse auprès des Marocains, mais ce n’est pas l’Europe !

Vous écrivez dans la préface de votre livre : “Le ‘non’ français du 29 mai 2005 a véritablement révélé le passage entre la période de l’intégration heureuse et universellement partagée et l’ère du doute et du refus” . Qu’est-ce qui explique selon vous un tel basculement ?

C’est le changement de motivation. L’Europe existe depuis soixante ans. C’est beaucoup, cela représente deux générations et demie. Pendant cette période, les changements immenses dans la société ont modifié la mentalité des gens. Les intérêts culturels, économiques, humains, ne sont plus les mêmes.

Je me souviens des années 50, des années extraordinaires où l’on est passé d’une longue guerre, avec des dictatures dans pratiquement tous les pays, à la liberté, avec la certitude que rien ne pourrait être pire que dans le passé. Tout devait s’améliorer : la richesse, le logement, les automobiles, les communications…

L’autre jour à Berlin, à l’occasion du cinquantenaire du Traité de Rome, je faisais l’anatomie de l’article 224 du Traité, à savoir la clause de sauvegarde industrielle. Celle-ci permettait à un pays de rétablir temporairement ses protections douanières si l’un de ses secteurs industriels se trouvait en difficulté à cause d’importations provenant d’un autre pays membre.

Cette clause avait été exigée par la France et l’Italie pour se protéger de l’industrie allemande. Les négociateurs s’étaient battus jusqu’à minuit à Rome, la veille de la signature du Traité ! Et savez-vous quel est le pays contre lequel cette clause a été le plus souvent invoquée ? L’Italie, justement. Entre temps s’était développée dans le Nord de l’Italie une industrie moderne, basée sur des produits modernes tels que l’électroménager.

La Communauté économique européenne a eu cette chance extraordinaire de voir le jour à un moment où le cycle économique, l’industrie, la chimie, ont totalement changé, grâce au progrès technique. Ce nouveau cycle économique, couplé au grand marché, a entraîné la multiplication des échanges.

Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Le cycle économique actuel tend vers le mondialisme, ce qui fait craindre la disparition des identités nationales. La hausse des prix du pétrole a aussi joué un rôle important. Les choses sont plus difficiles.

Pensez-vous que le discours français sur l’Europe puissance, l’Europe protectrice, l’Europe sociale, puisse influencer l’orientation de l’Union européenne ou, au contraire, qu’il n’a aucune chance de trouver un écho favorable auprès de nos partenaires ?

Personne aujourd’hui ne peut renoncer à l’Europe, pas même les Anglais qui pourtant auraient bien aimé. Il existe des règles communes, que vous devez respecter pour peser, par exemple au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’organisme qui doit fournir des règles à la mondialisation. Si vous ne respectez pas ces règles, vous comptez pour rien.

Les Français confondent indépendance et puissance. Ils pensent que plus on est indépendant, plus on est puissant. L’histoire de ces cinquante dernières années prouve justement le contraire. Si on veut une Europe puissante, il faut avoir des règles communes, des règles claires, respectées par tous. On en revient à la crise de l’Europe actuelle.

Et sur l’aspect social, protecteur ? On dit beaucoup en France que l’Europe menace notre modèle social…

C’est l’affaire du plombier polonais, une histoire idiote ! Le plombier polonais a toujours existé sous une forme ou une autre, parce que la France est un pays d’immigration. C’est un grand pays, avec de grandes distances et beaucoup de terres. C’est un pays objectivement heureux, qui a tous les facteurs fondamentaux du développement.

Par ailleurs, la France a une réglementation sociale qui peut-être ne fonctionne pas très bien aux yeux des Français, mais qui est la meilleure d’Europe. Et pendant les cinquante dernières années, cette protection s’est toujours améliorée. C’est grâce au marché commun qu’on a pu donner une protection sociale aux agriculteurs, accorder des congés payés aux travailleurs du bâtiment. L’agriculture française a bénéficié dans les dernières décennies d’une protection aux frais de toute la Communauté européenne.

L’Europe actuelle, avec l’euro, est l’Europe la plus exportatrice, la plus riche qui ait jamais existé. La France est un pays très riche. Mais elle connaît des problèmes de répartition des richesses, des rigidités qui tiennent justement à la protection dont bénéficient certains Français. Il y a donc un problème intérieur français.

Un mot sur les célébrations du cinquantenaire du Traité de Rome ?

J’étais à Berlin pour la cérémonie officielle. J’ai beaucoup apprécié l’attitude de la chancelière allemande, Angela Merkel. C’est une femme extrêmement douée, qui est devenue la personnalité politique la plus importante en Europe. Aujourd’hui, les classes politiques européennes se ressemblent toutes, elles sont loin d’être excellentes. Dans les années 50, c’était différent. Il y avait des personnalités et des pensées politiques qui suscitaient l’adhésion des gens.

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