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Bernard Cazeneuve : “notre priorité est de réconcilier les peuples européens avec l’Union européenne”

Le 25 mars, l’Europe fête ses 60 ans. Un anniversaire symbolique s’inscrivant dans le contexte délicat du Brexit, d’une désunion entre les Etats membres et d’une montée de la défiance des citoyens.

Pour évoquer l’ensemble des défis qui se présentent à l’UE et les moyens de relancer la construction européenne, Bernard Cazeneuve a accordé une interview exclusive à Toute l’Europe. Selon le Premier ministre, l’Europe doit désormais se “centrer sur quelques priorités stratégiques” afin de “réconcilier tous les peuples européens avec l’Union européenne”.

Bernard Cazeneuve, en janvier 2017

Touteleurope.eu : L’Europe fête ses 60 ans en célébrant l’anniversaire du traité de Rome. Quelle force aura la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement, qui sera adoptée à Rome le 25 mars ? Cette déclaration symbolique doit-elle signifier que l’Europe avance unie ?

Bernard Cazeneuve : Nous célébrons cet anniversaire dans un contexte très particulier pour l’Union européenne, alors que le Royaume-Uni s’apprête à engager le processus de sa sortie de l’Union et que les discours populistes et anti-européens se font plus bruyants partout en Europe. Il ne s’agit pas d’un sommet commémoratif comme les autres. Les 27 Etats membres, dont la France, qui sera représentée par le Président de la République, rappelleront haut et fort que l’Union européenne reste leur horizon commun et qu’ils entendent, ensemble, peser dans le monde et défendre leurs valeurs. Ce projet politique conserve plus que jamais son sens. Comment peut-on envisager de faire face aux défis sécuritaires, migratoires, environnementaux, économiques et sociaux, qui nous sont lancés en nous recroquevillant sur nous-mêmes ? Comment peser face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, dans la désunion ? Ceux qui l’affirment nous promettent à un destin funeste.

Bernard Cazeneuve est Premier ministre depuis le 6 décembre 2016. Avant d’entrer à Matignon, il a occupé les postes de ministre de l’Intérieur durant les attentats terroristes qui ont frappé la France en 2015 et 2016, ministre délégué au Budget et de ministre délégué aux Affaires européennes.

Les Européens abordent ce 60e anniversaire dans le contexte difficile du Brexit, d’une certaine désunion entre États membres et d’une défiance importante de la part des citoyens. Comment leur redonner confiance ? Quelles priorités l’UE doit-elle se fixer ?

Beaucoup de nos concitoyens, tout en restant majoritairement attachés au projet européen, doutent de sa valeur ajoutée. Je suis tout à fait lucide sur ce point. La meilleure façon de rendre hommage aux signataires du traité de Rome, c’est de mettre en lumière tout ce que fait aujourd’hui l’Union au quotidien, pour ses citoyens. Le paradoxe est là : l’Union est devenue si présente dans nos vies que nous n’en avons même plus conscience ! Le financement des Restos du cœur et de l’aide aux plus démunis, la rénovation des trésors de notre patrimoine que sont le Mont-Saint-Michel ou les grottes de Lascaux, la liaison entre Strasbourg et Paris en train en 1h45 au lieu de 4, un million de bénéficiaires du programme Erasmus en France depuis sa création : c’est tout cela l’Europe ! Les “60 belles histoires européennes” qui ont été recensées pour l’occasion en France nous le rappellent au travers d’exemples très concrets. Sans parler de la paix que nous connaissons sur notre continent depuis plus de soixante ans, ce que nous ne devons jamais oublier.

Quant à notre priorité pour l’avenir, elle est très claire : réconcilier tous les peuples européens avec l’Union européenne. Pour cela, nous devons continuer à nous concentrer sur quelques priorités stratégiques : faire face à la menace terroriste et sécuritaire, renouer à long terme avec une croissance durable dont chacun perçoit les fruits, construire une Europe sociale porteuse de progrès et d’équité, défendre nos valeurs et nos normes, en particulier commerciales, dans le monde. Dans tous ces domaines, nous avons connu des avancées tangibles ces dernières années. L’Union doit poursuivre cet effort et démontrer qu’elle sait protéger efficacement ses citoyens et apporter des réponses à leurs préoccupations et leurs aspirations.

En vue de relancer l’Europe, la France semble favorable à l’option d’une Europe à plusieurs vitesses, où chacun trouverait sa place dans le projet européen. Pensez-vous pouvoir convaincre les Européens de l’Est, qui rejettent pour le moment cette idée ? Quels sont les enjeux à plus long terme ?

L’unité des 27 est aujourd’hui primordiale. Mais l’unité, ça n’est pas l’uniformité. Ainsi que l’a affirmé le Président de la République à plusieurs reprises, et notamment à l’occasion du sommet qu’il a organisé à Versailles le 6 février avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, notre priorité doit être d’aboutir à des résultats tangibles au service de nos concitoyens. Assumons d’être pragmatiques : si certains Etats membres doivent, pour cela, montrer le chemin en avançant en éclaireurs, il n’y a pas de raison de les en empêcher ! L’Union ne saurait se résumer au plus petit dénominateur commun, il faut conserver une ambition plus grande pour l’Europe. Et d’ailleurs, il n’y a là rien de nouveau : la zone euro, l’espace Schengen, c’est déjà l’Europe différenciée et aucun de ces projets n’a mis à mal l’unité de l’Union, bien au contraire. A long terme, ces précédents montrent qu’il peut s’agir d’un vecteur puissant d’intégration.

Bernard Cazeneuve aux côtés d'Angela Merkel, le 14 février 2017 à Berlin

Bernard Cazeneuve aux côtés d’Angela Merkel, le 14 février 2017 à Berlin - Crédit photo : Gouvernement, Cyrus Cornut

Dans son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, la Commission européenne envisage de recentrer les missions de l’UE à 27 autour de politiques spécifiques, en redonnant certains pouvoirs aux États. Est-ce une piste que la France soutient ?

Cette idée rejoint celle que j’évoquais plus haut : pour être efficace, l’Union européenne doit centrer son action sur quelques priorités stratégiques et sur des domaines dans lesquels sa valeur ajoutée est incontestable. C’est d’ailleurs le sens de la “feuille de route” que les chefs d’Etat ou de gouvernement ont adoptée en septembre dernier, à Bratislava. Le sommet de Rome devra permettre de réaffirmer cette orientation. Là encore, cette idée ne renie rien de ce que nous avons construit : je vous rappelle que le principe de subsidiarité, en vertu duquel les Etats doivent continuer de décider dans tous les domaines où leur action est plus efficace, est inscrit dans les traités européens ! Par ailleurs, ce scénario n’est pas exclusif d’autres voies tracées également par la Commission dans ce Livre blanc : approfondir l’intégration dans certains domaines essentiels, avancer de façon différenciée, lorsque c’est nécessaire et justifié. Ces scénarios peuvent se combiner intelligemment.

“L’Europe peut se relancer par la défense” , a déclaré François Hollande dans une récente interview à six journaux européens. Que propose la France pour développer cette politique européenne de la défense ?

La France est, depuis plusieurs années, à l’avant-garde du combat pour une Europe plus sûre. Cela s’est traduit par des mesures fortes pour renforcer sa sécurité intérieure : création d’un corps européen des garde-frontières, mise en place de contrôles systématiques aux frontières extérieures, PNR européen, renforcement des règles sur la détention et la circulation des armes à feu, interconnexion et interopérabilité des fichiers de sécurité… Ces mesures sont primordiales pour lutter efficacement contre la menace terroriste. Mais une Europe sûre doit aussi se doter des capacités d’agir contre les menaces extérieures. La France milite depuis longtemps pour la création d’un fonds européen dédié à la défense et à la sécurité. Il doit permettre à l’Union de se doter de capacités militaires et de ressources industrielles pour construire son autonomie stratégique. Je me réjouis que le Conseil européen en ait acté le principe, en décembre dernier. Je salue également la toute récente décision du Conseil de créer une capacité permanente de planification et de conduite des opérations militaires, qui préfigure un état-major européen, et que la France appelait également de ses vœux.

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