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Avec le Partenariat européen pour l’innovation, “nous sommes en train de changer la façon de faire de la recherche agricole”

Lancé en 2014 par la Commission européenne, le partenariat européen pour l’innovation agricole (PEI-AGRI) a vocation à créer des synergies entre acteurs du monde agricole et de la recherche. Alexia Rouby, chargée de recherche à la direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne, en précise le fonctionnement.

Capture écran de la vidéo de présentation du Groupe opérationnel BIOBO (amélioration du rendement du sol par la fertilisation organique), financé dans le cadre du Partenariat européen pour l'innovation - Agriculture - Crédits :  Youtube EIP-AGRI Service Point
Capture écran de la vidéo de présentation du Groupe opérationnel BIOBO (amélioration du rendement du sol par la fertilisation organique), financé dans le cadre du Partenariat européen pour l’innovation - Agriculture - Crédits : Youtube EIP-AGRI Service Point

Quels sont les objectifs du Partenariat européen pour l’innovation ?

Alexia Rouby : Le Partenariat européen pour l’innovation agricole (PEI - AGRI) finance des projets transnationaux ou locaux d’innovation dans l’agriculture, ainsi que des activités de mise en réseau d’acteurs de l’innovation et de l’agriculture. C’est une initiative qui a pour but de mettre les politiques européennes au service d’un même objectif : l’innovation pour une agriculture plus productive et plus durable.

Commençons par les projets d’innovation transnationaux : comment les soutenez-vous ?

Alexia Rouby : Il s’agit de projets, européens ou plus vastes, regroupant des acteurs d’au moins trois pays. Le nombre de partenaires au sein de ces consortiums varie entre 10 et, pour le plus important, 110.
Ils sont financés, à hauteur de plusieurs millions d’euros, par le programme européen de recherche innovation Horizon 2020 dans le cadre d’appels à projets. A la Commission européenne, nous recueillons les besoins de recherche, notamment grâce aux remontées des activités de mise en réseau. Puis nous lançons, chaque année, des appels au niveau européen.

Dans ce cadre, nous avons souhaité développer une approche interactive de l’innovation en exigeant qu’une grande partie des propositions soient “multi-acteurs” . Nous voulons non seulement des chercheurs mais aussi des associations d’agriculteurs ou des conseillers agroalimentaires, voire des ONG… Et que les acteurs du terrain, par exemple les agriculteurs dans le cas d’un projet sur les pratiques agricoles, soient impliqués dès le départ dans la formulation des questions, l’organisation des expérimentations et la diffusion des résultats via leur réseau professionnel ou leurs activités entre pairs.

De 2014 à 2020, 60 % des initiatives (190) ont ainsi été multi-acteurs, ce qui représente un milliard d’euros de financements. Parmi elles, on trouve des projets visant à accroître la culture et la consommation durables de légumineuses à travers l’Europe, à aider les acteurs de l’agriculture biologique à utiliser exclusivement de l’alimentation biologique et régionale pour leurs élevages, ou encore à accélérer la transformation numérique du secteur agroalimentaire grâce à un réseau européen de centres d’innovation.


Co-organisé par le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, la Région Normandie, la Commission européenne et le réseau européen PEI-AGRI, le second sommet du PEI s’est tenu en France, à Lisieux les 25 et 26 juin 2019. Dédié à la contribution du PEI Agri à la transition agro-écologique, ce rendez-vous a permis de présenter 120 projets innovants aux 150 acteurs venus de toute l’Europe.

Le PEI finance également des projets à moindre échelle ?

Alexia Rouby : Oui, il y a également des initiatives locales, régionales voire nationales, qui sont financées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), et notamment de la politique de développement rural. Les acteurs de ces projets décident dans un premier temps de se rassembler au sein de “groupes opérationnels” pour travailler à des solutions concrètes à un problème ou une opportunité d’innovation. Une fois les besoins et les partenaires identifiés, ces groupes font appel aux autorités de gestion de chaque Etat membre pour un financement.

En France, ce sont les régions qui mettent en place le programme, et donc rédigent les appels à projets qui seront financés par l’Union européenne. Elles peuvent ainsi choisir des thèmes qui correspondent aux enjeux et priorités du territoire. Dans l’Ouest de la France par exemple, des appels ont été lancés pour développer l’autonomie protéïque, afin de réfléchir aux solutions permettant d’alimenter les animaux sans dépendre des importations de soja. Nous avons également conseillé aux autorités de gestion de laisser ouverts une partie des appels à projets, pour recueillir les idées d’innovation qui viennent directement du terrain.

Les autorités de gestion peuvent également, si elles le souhaitent, financer la préparation du projet en amont : soutien au montage, recours à des services de soutien à l’innovation, facilitateurs, intermédiaires… C’est à travers ce soutien qu’a pu notamment se constituer un groupe opérationnel mêlant 65 acteurs de trois régions (Auvergne, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon) pour développer des pratiques permettant de ne préserver que la “bonne” flore microbienne dans les fromages au lait cru. Et leurs résultats ont ensuite été appliqués par des acteurs d’autres régions sur leurs propres productions.

SOS PROTEIN, une illustration du PEI à l’ouest de la France
Avec un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards d’euros, l’élevage représente le premier maillon d’une industrie agroalimentaire très présente en Bretagne et Pays de la Loire. Pour nourrir leurs animaux, ces régions dépendent massivement de l’importation de matières premières riches en protéines, principalement le soja. Pour limiter cette dépendance, les acteurs de l’Ouest, fédérés dans un ensemble de projets animés par le pôle agronomique de l’Ouest, ont mis en place le programme de recherche et d’expérimentation SOS PROTEIN.

Le PEI soutient enfin la mise en réseau des acteurs : de quelle manière ?

Alexia Rouby : Tout d’abord, nous organisons des ateliers et des séminaires pour faciliter la rencontre entre groupes opérationnels qui travaillent sur des sujets similaires dans différents pays d’Europe. Nous l’avons fait notamment sur l’agriculture biologique, l’eau, la bioéconomie, l’économie circulaire ou encore l’agroécologie en juin dernier. Ils donnent ensuite lieu à la diffusion de documents d’information.

Par ailleurs, nous avons l’ambition de créer un véritable guichet unique de l’innovation agricole à travers notre plateforme européenne en ligne du PEI agri (en anglais) : un endroit où tous les acteurs de l’innovation agricole puissent trouver des informations pertinentes et interagir.

Enfin, nous avons des “focus groups” , composés chacun de 20 experts sélectionnés sur appels à candidatures. Ils se réunissent deux fois par an pour identifier les besoins d’innovation et de recherche sur des domaines précis, puis suggèrent des appels à projets pour de futurs groupes opérationnels. A titre d’exemple, les groupes d’experts sélectionnés en avril 2019 travaillent sur la santé des abeilles, la salinisation des sols ou encore la réduction des antimicrobiens dans l’aviculture.

A travers un réseau européen et national dynamique, le Partenariat européen pour l’innovation agricole (PEI - AGRI) permet de connecter les acteurs, de capitaliser et de valoriser leurs projets.

Quel bilan tirez-vous du PEI - AGRI ?

Alexia Rouby : C’est une première : ce dispositif unique en son genre a été mis en place il y a 5 ans à partir de zéro. Il n’y a aujourd’hui que dans le secteur agricole qu’on a cette synergie entre monde agricole et monde de la recherche, et cette interaction entre petits et grands projets. Cela a mis du temps à se mettre en place mais les résultats sont prometteurs. Il y a encore deux ans il n’y avait presque pas de groupes opérationnels, aujourd’hui on est en train passer le millier.

Les acteurs, notamment les chercheurs et les agriculteurs, doivent apprendre à travailler ensemble, ce qui n’est pas toujours évident. Ceux qui en ont l’habitude ont beaucoup de succès dans les appels, les autres rencontrent plus de difficultés. Pour les agriculteurs par exemple, il faut accepter de poser une question sans avoir la réponse le lendemain, que ça prenne du temps. Il y a donc eu beaucoup de formation, de communication et de facilitateurs pour aider ces différents acteurs à travailler ensemble vers un but commun.

Aujourd’hui nous sommes plutôt contents de ce que ça donne, nous avons des retours très intéressants et des résultats très positifs. Nous voyons beaucoup de nouveaux consortiums : la moitié de ceux qui participent aujourd’hui au volet “alimentation” du programme horizon 2020 n’étaient pas des bénéficiaires du précédent programme européen de recherche (2007-2013). Et on y trouve notamment des organisations professionnelles agricoles, des organisations de conseil, des instituts techniques très appliqués qui auparavant ne trouvaient pas forcément leur place dans un programme qui considérait l’excellence scientifique comme critère d’évaluation.

Dans le soutien “classique” à la recherche, les chercheurs travaillent d’abord en laboratoire sur un projet, font de la recherche plus appliquée sur le terrain puis contactent les agriculteurs pour avoir leur avis. Mais ils se rendent parfois compte que leur projet ne correspondait pas à un besoin. Dans l’innovation interactive nous faisons l’inverse : on met tous les acteurs ensemble au départ et la recherche est là pour servir les besoins concrets de l’agriculteur sur le terrain. On a vraiment changé… et je pense que nous sommes en train de changer, en partie, la façon de faire de la recherche agricole en Europe.

Que recommanderiez-vous aux agriculteurs qui ne participent pas à ce dispositif ?

Alexia Rouby : Mes recommandations ne s’adressent pas particulièrement aux agriculteurs, car si l’information ne circule pas au niveau national, régional mais aussi local, ils n’y sont pour rien. La programmation de la PAC étant à caractère notamment régional, il y a en revanche une certaine responsabilité des autorités de gestion régionales. Même si au niveau européen ce dispositif enregistre un certain succès, lorsque l’on interroge les acteurs du terrain on s’aperçoit que les informations ne passent pas forcément.

A l’heure où se négocie le futur budget de l’Union européenne pour la période 2021 - 2027, quelles sont vos priorités ?

Alexia Rouby : Tout d’abord, assurer la continuité du dispositif. Dans les propositions de la Commission européenne de mai-juin 2018, qui doit encore être validée par les Etats membres, cette ambition est non seulement maintenue mais surtout renforcée. Dans le programme Horizon Europe, qui succèdera à Horizon 2020, nous avons proposé de doubler le budget consacré à la recherche agricole. Et de rassembler recherche environnementale et agricole sous un même chapeau.

Concernant la PAC, le PEI AGRI est maintenu, et on y ajoute la possibilité d’avoir des paiements d’avance. Parce que pour des agriculteurs ou des petites entreprises, il est parfois difficile d’avancer les fonds pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Ce qui constitue un obstacle à leur participation.

Enfin, nous demandons à chaque Etat membre de mettre en place une “stratégie sur le fonctionnement de systèmes de connaissance et d’innovation agricole” (AKIS). Celle-ci vise à répertorier l’ensemble des organisations qui produisent de la connaissance, l’échangent et la mettent à disposition : instituts de recherche, écoles, agriculteurs innovants, conseillers, intermédiaires… Les Etats doivent regarder comment ce réseau fonctionne chez eux, quels liens existent entre le conseil public et le conseil privé, comment les conseillers ont accès à l’information qui vient de la recherche, comment celle-ci est relayée aux agriculteurs, comment les agriculteurs s’informent eux-mêmes, les outils de soutien aux décisions… La connaissance et l’innovation deviennent ainsi des objectifs transversaux de la future PAC. 

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