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Aux racines de l’europhilie écossaise

Si le résultat final du référendum britannique sur l’appartenance à l’Union européenne a pu en surprendre plus d’un, il était acquis bien avant le 23 juin dernier que l’Ecosse et ses 3 millions d’électeurs se prononceraient en faveur du “remain”. Malgré une participation légèrement inférieure à la moyenne nationale, les Ecossais ont en effet choisi de rester dans l’UE à 62%. Mais pourquoi cette petite nation est-elle depuis toujours à contre-courant de l’Angleterre ? Et surtout, quel futur peut-elle envisager alors que le Royaume-Uni s’apprête à entamer une procédure de divorce européen sans précédent ?

Scotland UK EU

L’Ecosse entre déception et colère après le 23 juin

Ils étaient plusieurs milliers mercredi 29 juin à s’être rassemblés devant le Parlement écossais d’Edimbourg pour réaffirmer leur volonté de rester dans l’Union européenne. L’envoyée spéciale de Libération y a décrit des scènes en apparence festives, rythmées par les slogans “fromage not Farage !” ou “hey, hey, hey, Theresa May, les immigrés sont ici pour y rester !”. Malgré tout, dans un public très hétérogène, des jeunes étudiants aux cadres supérieurs en passant par les retraités, un sentiment domine : l’Angleterre les a trahis.

Difficile en effet de ne pas constater que l’Ecosse, avec ses 5 millions d’habitants, n’a pas pesé bien lourd dans la balance face aux 50 millions d’Anglais, qui eux se sont prononcés clairement en faveur du Brexit. Et cette divergence de sensibilité politique entre ces deux nations constitutives du Royaume-Uni n’est pas un évènement isolé dans l’histoire politique britannique, loin de là. L’Ecosse a systématiquement envoyé, entre 1959 et 2010, une majorité de députés travaillistes au Parlement national de Westminster, et cela même pendant les 18 ans de monopolisation de la vie politique par les conservateurs de 1979 à 1997. Les Ecossais sont habitués à ne pas voir leurs votes se refléter à l’échelle nationale. A tel point que depuis 2010 ils se sont même détournés des partis traditionnels pour leur préférer le Scottish National Party (SNP) qui détient aujourd’hui 56 des 59 sièges écossais à la Chambre des communes, et une majorité au Parlement local à Edimbourg.

Or il semblerait que cette fois-ci, la pilule ne passe plus : les Ecossais ne veulent pas que le reste du royaume - les Gallois se sont également prononcés en faveur d’une sortie de l’UE - ait une si grande influence sur leur avenir. Déterminée à ne pas se laisser entraîner dans un Brexit, l’Ecosse ne dispose toutefois pas d’une multitude d’alternatives. A moins d’un second référendum sur l’indépendance ? En 2014, l’un des arguments phares de la campagne contre l’indépendance avait justement été le risque d’une sortie de l’UE, laissant entendre que l’Ecosse ne bénéficierait pas d’une adhésion à l’amiable, mais devrait repartir à zéro en tant qu’Etat tiers.

Depuis, de nombreux électeurs qui ont voté contre l’indépendance il y a deux ans disent avoir changé d’avis à la suite du Brexit. D’autant plus que l’UE semble davantage ouverte au dialogue. En témoigne la récente visite de Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise, à Bruxelles. Mais si MM. Juncker et Schulz, présidents du de la Commission et du Parlement européens, ont accepté pour la première fois d’écouter les doléances de la dirigeante, la porte n’est pour l’instant qu’entrouverte. Tant que l’Ecosse est britannique, les Européens ne veulent pas être accusés d’ingérence.

Nicola Sturgeon et Jean-Claude Juncker

Les Ecossais, les plus européens des Britanniques

Pourquoi un tel attachement des Ecossais à ce que la plupart des Anglais appellent “the continent” , comme si les îles britanniques constituaient un bloc à part, tantôt européen tantôt atlantiste ? La réponse comme souvent se trouve dans les livres d’histoires, comme l’explique un récent article de la Tribune de Genève.

L’attachement à l’Europe serait dû en partie à la politique étrangère écossaise au Moyen-âge, explique l’article. L’Ecosse n’a en effet pas toujours été sous le giron anglais. En réalité, il faut attendre le XVIIe siècle pour assister à l’union des couronnes d’Ecosse et d’Angleterre, et encore un siècle pour que l’Acte d’union vienne, en 1707, souder politiquement les deux pays. Avant ce tournant historique majeur, pas encore tout à fait accepté par les Ecossais en dépit des siècles, la Grande-Bretagne était régulièrement le terrain de conflits entre les deux nations. A l’international, un des meilleurs alliés du Royaume d’Ecosse contre les anglais fut d’ailleurs… le Royaume de France.

Une alliance franco-écossaise baptisée la “auld alliance” - la vieille alliance en Scots - qui court sur six siècles. En 1296, un traité entre les deux pays prévoit même que si l’un des deux pays venait à subir une attaque de l’Angleterre, l’autre envahirait celle-ci. 5 000 soldats français ont ainsi combattu aux côtés des Ecossais pendant la bataille de Flodden Field en 1513 (qui s’est soldée par la victoire des Anglais). Et bien que l’alliance ait officiellement été dissoute en 1560, tout citoyen français ou écossais a pu demander sans recours la double nationalité jusqu’en 1903 ! Autres anecdotes : les rois français étaient entourés de gardes écossais jusqu’en 1830, et les marchands écossais ont eu priorité sur l’achat des crus bordelais jusqu’en 1670. Même après 1707, le commerce illégal de clairet - vin rosé de l’époque - entre la France et l’Ecosse était chose commune.

En parallèle, la religion a également fortement contribué à lier l’Ecosse au continent européen. Le protestantisme a en effet été apporté en Ecosse peu après la Réforme de Calvin en 1560, et après cette date de nombreux mercenaires écossais se sont joints aux armées protestantes scandinaves et néerlandaises. Les Pays-Bas justement, ont apporté à l’Ecosse son système bancaire - la Banque d’Ecosse s’inspirait de celle d’Amsterdam - universitaire ou encore commercial. La fameuse Compagnie néerlandaises des Indes occidentales avait son pendant écossais, la Compagnie écossaises des Indes et d’Afrique.

Autant d’éléments qui ont permis aux Ecossais de se rattacher historiquement à un continent boudé par leurs grands frères anglais.

Après un passé continental, un avenir européen ?

Le futur de l’Ecosse vis-à-vis de l’UE est incertain, à l’image de celui du Royaume-Uni. Si le court plaidoyer de l’eurodéputé SNP Alyn Smith, qui a, la semaine dernière, appelé l’UE à “ne pas laisser tomber” l’Ecosse après son vote pro-européen, a été très chaleureusement accueilli par ses pairs, on a également assisté à la prudence de l’exécutif de Bruxelles vis-à-vis d’une possible sécession de l’Ecosse.

La possibilité d’un second référendum d’indépendance n’est ainsi pas si évidente. D’abord, seul le Parlement britannique peut autoriser un tel scrutin. Alors que le pays et l’ensemble des partis politiques sont bouleversés par le résultat du référendum du 23 juin, le prochain gouvernement, qui devrait être en place à la mi-septembre, ne sera certainement pas enclin à rouvrir ce dossier explosif. Ensuite, l’Ecosse indépendante imaginée en 2014, et celle qui pourrait naître dans le futur ne sont plus les mêmes. Avant le Brexit, les Ecossais pouvaient envisager de continuer à coopérer facilement avec l’Angleterre en tant que membre de l’UE, avec un possible partage de la livre sterling et une frontière intra-européenne facilitant les échanges. Aujourd’hui, une Ecosse indépendante membre de l’UE partagerait une frontière matérielle avec l’Angleterre, serait probablement obligée d’adopter l’euro à moyen terme et perdrait en partie son principal partenaire commercial.

Les Ecossais sont-ils prêts à courir un tel risque au nom de l’indépendance ? Pourrait-on imaginer un accord Ecosse-UE à l’inverse de celui dont bénéficie le Groenland, province du Danemark qui a voté pour quitter la CEE en 1985, mais qui participe toujours à certaines politiques européennes ? L’imaginaire en la matière n’a pas de limites.

Partant du postulat qu’une Ecosse indépendante et européenne n’est pas une possibilité à court ou moyen terme, Edimbourg s’engage désormais dans un bras de fer avec Londres qui s’annonce des plus musclés. Les députés écossais disposent en effet d’assez de pouvoir pour rendre la vie dure au prochain gouvernement national. Comme l’a expliqué un économiste au journal Les Echos, Westminster voudra tout d’abord en terminer avec le principe selon lequel les lois écossaises doivent être conformes aux lois de l’UE. On voit mal les députés écossais lâcher cet acquis facilement.

Entreprise autrement plus complexe, le Parlement écossais pourrait aussi tenter de ralentir le processus du Brexit. Pour cela, il pourrait refuser de voter les nouvelles lois permettant de réallouer les anciennes compétences de Bruxelles qui seront retransférées au Royaume-Uni. Et si Londres décide de voter ces lois sans l’accord des Ecossais - ce qui est légalement possible - cela ne ferait que jeter de l’huile sur le feu et ne résoudrait en rien la crise profonde qui s’annonce dans le pays.


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